TEMOIGNAGE. Paulette Decraene : ces deux fois où elle a vu pleurer François Mitterrand
Elle l’a rencontré en 1954, est devenue sa secrétaire particulière en 1974 et ne l’a quitté qu’à sa mort. À 88 ans, Paulette Decraene se souvient de François Mitterrand, avec respect et malice. Un destin à retrouver dimanche 9 mai à 20 h 50 dans L’homme qui ne voulait pas rompre, sur Histoire TV.
Vous rappelez-vous votre première rencontre avec François Mitterrand ?
La toute première, je devais avoir 9 ans ! Mon père et lui partageaient un passé de prisonnier et de résistant. Alors il passait souvent à la maison. Mais la vraie rencontre, c’est en 1954, quand j’ai commencé à travailler comme secrétaire au siège de l’UDSR qu’il présidait.
En 1965, vous êtes aux premières loges pour assister à sa première campagne présidentielle… et sa première défaite.
Je me partageais entre le siège du parti, un 3 pièces rue du Louvre, et son domicile, rue Guynemer, où se tenaient la majorité des réunions. Il y avait là les amis des premiers cercles, Georges Dayan, Jean Védrine, Louis Mermaz, André Rousselet… Cette fois-là, on a mis de Gaulle en ballottage, personne ne s’y attendait !
Aux élections de 1974, contre Valéry Giscard d’Estaing, l’histoire retient un débat télévisé d’entre deux tours catastrophique pour Mitterrand…
Il était extraordinaire en meetings mais pas prêt pour la télé ! Au lendemain de la défaite, au 3e étage de la tour Montparnasse (siège de campagne du Parti Socialiste, ndlr), tout le monde pleurait. Lui non. Il nous a dit : "Ne faites pas cette tête, la prochaine fois sera la bonne." Et en 1981, j’étais rue de Solférino quand il a gagné !
À partir de 1974, vous devenez sa secrétaire particulière. Quel patron était-il ?
Exigeant bien sûr, il détestait les fautes d’orthographe. Je lui faisais passer de petites notes tapées à la machine : "Mauroy vous a appelé" ou "Delors cherche à vous joindre", et il y répondait au stylo.
Vous souhaitait-il votre anniversaire ?
(Elle rit.) Oh non ! Il ne savait ni mon âge, ni même combien je gagnais ! D’ailleurs, quand je me suis aperçue que je gagnais moins que certaines secrétaires de ministre, j’ai fait un ramdam ! (Elle éclate de rire.)
Vous aviez la mainmise sur son agenda : qu’y trouvait-on de non politique ?
Pas de dîners en ville, plutôt des promenades dans l’après-midi ou des tournées de librairies à la recherche de premières éditions. Et puis, une fois par an, jamais à la même date, il retrouvait ses trois frères et ses quatre sœurs. D’ailleurs, je les connaissais toutes et déjeunais régulièrement avec Geneviève, qui n’habitait pas loin de l’Élysée, et Colette, qui habitait Bastille.
Étiez-vous dans le secret de l’existence de Mazarine ?
Oui. Quand il me disait : "Il faudrait trouver des images pour illustrer un devoir sur Charlemagne", je me doutais qu’il ne préparait pas un déplacement à Aix-la-Chapelle avec Helmut Kohl ! (Elle rit.). Ou quand il disait : "Il me faudrait un pull en cachemire noir… comme pour la fille de X voyez ?" Il parlait de la fille d’une autre secrétaire qui avait l’âge de Mazarine. Mais je n’en ai jamais parlé. Mon mari l’a découvert comme la plupart des Français en 1994, avec les photos de Paris Match !
L’avez-vous rencontrée à cette époque ?
Elle venait parfois le voir le soir, avec d’autres camarades. Et ils partaient ensuite tous au restaurant chinois. Il appelait ça "la petite classe". Mais jamais il n’aurait dit : "C’est Mazarine." Il ne disait rien.
Vous êtes restée à son service après sa réélection en 1988, et lorsqu’il se battait en secret contre son cancer de la prostate. Que montrait-il à ses proches ?
Rien. Il refusait de se plaindre et qu’on le plaigne. Vous savez, je ne l’ai vu pleurer que deux fois : à la mort de son "frère" Georges Dayan, et un jour d’hiver 45, en s’approchant du berceau de mon petit frère. Il venait de perdre son propre fils, Pascal, mort à l’âge de deux mois. Et il se trouve que mon petit frère était né en septembre 1945, comme Pascal.
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