Témoignage : "Je suis "maîtresse de maison" dans un village Alzheimer

Dans ce village landais pas comme les autres, Audrey exerce son métier d’aide-soignante pour le bien-être des patients atteints d’Alzheimer.

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Audrey Casellato, 30 ans. En plus de son diplôme d’aide-soignante, Audrey a suivi une formation d’Assistante de soins en gérontologie. Elle est « maîtresse de maison » de l’une des seize petites unités d’habitation du Village Landais Alzheimer, au cœur d’un parc arboré de cinq hectares.

Avec sa supérette, sa médiathèque et sa brasserie, le Village landais Alzheimer veut donner aux malades la sensation d’une vie normale. Ce projet expérimental, porté par le Conseil départemental des Landes, se fonde sur une prise en charge non médicamenteuse des résidents et vise à ce qu’ils se sentent « comme à la maison ».

« Les patients Alzheimer m’émeuvent »

Depuis dix ans que je suis aide-soignante, j’ai travaillé dans de nombreuses structures accueillant des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Ces patients-là me touchent, je me sens bien en leur présence, malgré leurs troubles cognitifs. Avec eux, la relation s’installe essentiellement grâce au non-verbal, le toucher, le regard, le chant. Cela me correspond bien ! Il faut surtout être très patiente, leur donner du temps, sans les brusquer, en respectant leurs rythmes et leurs désirs. Dans un Ehpad classique, faute de personnel et de moyens, on peut rarement leur offrir une telle prise en charge. Pouvoir exercer ma profession en plein accord avec mes valeurs, en étant dans la bienveillance et la bientraitance avec les résidents, c’est ce qui m’a donné envie de venir travailler ici.

« Je suis responsable du bien-être des villageois »

Le Village est aménagé dans un parc, avec un jardin potager, un terrain de boules, une balançoire, des poules, des ânesses et deux chats. Il comporte son épicerie, sa brasserie, sa médiathèque, son coiffeur, sa salle de sport et sa salle de spectacle. Autour de ce « centre », se déploient quatre quartiers de quatre maisonnées chacun. Dans chaque maisonnée, vivent sept à huit « villageois ». Je suis « maitresse de maison », c’est-à-dire que je suis responsable du bon fonctionnement d’une maisonnée et du bien-être de ses habitants. L’aménagement intérieur a été pensé avec une psycho-gérontologue offrir aux résidents un environnement rassurant. Tout est de plain-pied, lumineux, avec peu de couloirs et de recoins afin qu’ils ne se perdent pas. Les meubles et la vaisselle ont été chinés en brocante pour donner un aspect familier et chaleureux. Pour repérer sa chambre, chaque habitant dépose un objet personnel dans une petite niche à l’entrée. L’un d’eux a choisi comme emblème une bouteille de ketchup parce qu’il adore ça et en met dans tous les plats !

« Je peux prendre soin d’eux sans les contraindre »

Le matin, je ne tire pas les résidents du lit : ils se lèvent quand ils veulent. Puis ils viennent au salon prendre leur petit-déjeuner. Tout est mis à leur disposition sur la table afin qu’ils se servent eux-mêmes. Moi je suis là pour les guider dans leurs choix, en respectant leurs habitudes et aider ceux qui ont des difficultés. Malgré la maladie, ils restent acteurs de leur vie. Je m’adapte à leurs capacités restantes, je les stimule suffisamment afin qu’ils ne déclinent pas, mais sans trop leur en demander. Vient ensuite le temps des toilettes. Là encore, je suis à l’écoute de leurs souhaits. S’ils n’ont pas envie d’une douche, je leur propose une toilette au lavabo et on prendra la douche le lendemain. Je n’ai pas de protocole rigide à suivre, ni de timing à respecter à la minute près. Cela me permet de prendre soin d’eux sans les contraindre, en tenant compte de leur grande vulnérabilité.

« Etre libres de leurs mouvements fait baisser les angoisses »

Une fois habillés, très peu restent dans leur chambre et la plupart rejoignent le salon. Dans la maisonnée règne un esprit de famille entre les habitants. Ils sont très attentifs les uns aux autres, se font des bisous et des câlins. Quand l’un ne va pas bien, les autres le ressentent et m’alertent pour que je fasse quelque chose. Les disputes sont rares, sans doute parce que le climat général est apaisé. Le matin, souvent, nous faisons des jeux : ma spécialité, ce sont les jeux avec les mots (Petit bac, devinettes autour de proverbes, etc.). Ils adorent aussi chanter tous ensemble, des chansons de leur génération. Ceux qui le souhaitent peuvent sortir se promener dans le parc. Etre libres de leurs mouvements – tout est en libre accès au sein du parc qui est clos – fait énormément baisser leurs angoisses. Dès lors, il n’est pas utile de les assommer d’anxiolytiques.

« On veut encourager le vivre ensemble »

En fin de matinée, j’organise une sortie à la supérette pour aller faire quelques courses pour cuisiner le déjeuner. Au passage, nous nous arrêtons boire un café à la brasserie. Il n’y a ni prix, ni caisse : les villageois ne manient pas d’argent. Mais le fait de fréquenter ces lieux de socialisation les maintient dans une vie au plus proche de la normale. Ils se sentent moins diminués, privés, exclus. Quand nous rentrons à la maison, ceux qui en ont envie participent aux préparatifs du repas, épluchent les légumes, mettent le couvert. Ces petits gestes du quotidien leurs sont chers et les relient à leur vie « d’avant ». L’après-midi, c’est au choix lecture à voix haute à la médiathèque, concours de pétanque, jardinage, activité physique, concert de piano. Avant la crise sanitaire, des bénévoles animaient certains de ces ateliers. Car la philosophie du village est d’être ouvert sur le monde extérieur et d’inciter la population locale à y entrer. Ce qu’on veut encourager ici, c’est le vivre ensemble, au-delà des frontières d’âges ou de maladie.

« Je ne porte jamais de blouse blanche »

Pas de blouse ici, de même que les infirmiers, médecins et psychologues. Et franchement, ça change tout ! Par sa connotation médicale, ce vêtement renvoie trop les résidents à un statut de malades. En venant travailler avec une tenue de tous les jours, c’est agréable pour moi, et c’est un signal de « normalité » que j’envoie aux villageois. Il n’y a pas le personnel d’un côté, les patients de l’autre ! Ils savent qu’ils peuvent me parler, se confier. Et moi, j’ai toujours un œil sur eux. Si j’observe un petit souci de motricité qui n’était pas là la veille, un problème de peau, un transit capricieux, j’en fais immédiatement part aux infirmiers pour que cela soit traité au plus vite. J’ai remarqué que chez les patients Alzheimer, un symptôme somatique peut avoir des retentissements très forts sur leur état cognitif et émotionnel.

« Ici, on imagine des solutions d’avenir pour le grand âge »

Des chercheurs spécialistes de la maladie d’Alzheimer sont présents dans le village pour évaluer si la prise en charge innovante pratiquée ici est bénéfique au maintien des capacités cognitives et motrices. C’est valorisant de travailler dans un lieu qui œuvre à la recherche et imagine des solutions d’avenir pour le grand âge ! A mon niveau et d’après ce que je peux observer, je trouve que les villageois évoluent très bien. Malgré la pandémie, ils ont peu décliné, contrairement à ce que vivent de nombreuses personnes âgées en ce moment. La possibilité de fréquenter librement le parc a beaucoup contribué à atténuer le choc des confinements. Et les effectifs modérés dans chaque maisonnée ont permis que nous ne soyons pas trop touchés par le virus ».

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