Témoignage : "Je recueille les animaux dont personne ne veut"
Stéphanie consacre ses jours et souvent ses nuits à sauver des animaux handicapés qui, sans elle, seraient euthanasiés. Elle nous raconte.
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Stéphanie Lisicki, 31 ans, est la fondatrice et présidente de l’association Suzi Handicap Animal, située en Basse-Normandie. Elle s’est spécialisée dans le sauvetage d’animaux maltraités, malades, malformés ou en fin de vie que les refuges classiques ne peuvent prendre en charge. De compagnie, ou de ferme, elle les accueille tous et finance les soins qu’elle leur apporte grâce aux dons que chacun peut faire sur son site www.suzihandicapanimal.net
« J’ai grandi avec des animaux abîmés »
« A la maison, quand j’étais petite, nous n’avions que des chiens et des chats à qui il manquait des pattes ou qui étaient aveugles, jamais d’animaux « normaux » ! Ma mère travaillait dans un refuge et ne pouvait s’empêcher de ramener chez nous ceux que personne ne voulait adopter. J’ai donc grandi avec des animaux différents et abîmés par la vie, un peu comme moi qui souffrais d’une grave malformation des reins. Enfant, j’ai failli mourir plusieurs fois. J’ai subi des opérations lourdes, je devais porter des poches urinaires et ma scolarité était plus que chaotique. Ça n’était pas idéal pour se faire des amis et je me suis d’autant plus attachée à mes animaux.
« Les yeux de la jument m’ont bouleversée »
Un peu avant mes 8 ans, ma mère m’a emmenée voir les poneys dans un centre équestre. Dans le premier box se trouvait Suzi, une jument gravement blessée lors d’un concours hippique. Il lui manquait un grand morceau de poitrail et elle souffrait de troubles neurologiques. Pour l’empêcher de se frotter compulsivement contre les parois de son box, on lui avait mis un collier avec des clous. Ses yeux profondément tristes m’ont bouleversée. Dès lors, j’ai eu l’obsession de la sortir de là et de la sauver. Ses propriétaires avaient le projet de l’euthanasier mais ils la gardaient encore un peu pour la reproduction car elle était d’une bonne lignée. Ils l’affublaient de sobriquets humiliants à cause de ses troubles, cela m’était insupportable. Mes parents ont fait un crédit pour la racheter. A partir de là, elle a fait partie intégrante de la famille. Je m’occupais d’elle chaque jour. Sa façon de se battre pour surmonter ses difficultés me donnait l’énergie de ne pas baisser les bras face à la maladie. Elle a partagé ma vie pendant de nombreuses années et est décédée alors que j’avais 24 ans.
« J’ai voulu rendre hommage à ma Suzi »
Sa mort fut un choc terrible qui a dégradé encore mon état de santé. C’est à ce moment-là qu’a germé l’idée de rendre hommage à ma chère Suzi en aidant d’autres animaux comme elle. Au fil du temps, j’avais déjà recueilli de nombreuses bêtes handicapées et en 2014, j’ai créé l’association Suzi Handicap Animal. Je me suis fait connaitre par le bouche à oreille, par les vétérinaires avec qui j’avais travaillé en tant qu’assistante, et beaucoup par ma page Facebook. Très rapidement, les animaux ont afflué. Chaque jour, je reçois dix ou quinze appels de partout en France, même de l’étranger, pour me signaler des animaux à récupérer.
« J’organise des rapatriements par co-voiturage »
Parfois, ce sont les gendarmes qui m’en amènent certains très mal en point, retirés à leurs propriétaires pour maltraitance, voire torture. D’autres fois, ce sont des vétérinaires qui me demandent de les prendre car leurs maîtres n’arrivent plus à les assumer. Je recueille aussi des animaux nés avec une malformation et immédiatement abandonnés. Quand l’animal est loin de l’Orne où je suis basée, j’organise un rapatriement par covoiturage sur la base de la bonne volonté et de l’inventivité des 120 000 personnes qui me suivent sur les réseaux sociaux. Il m’est déjà arrivé de parcourir 1600 km pour aller chercher une brebis dont la patte avait été arrachée par un chien !
« Chez moi, les animaux vivent en liberté »
Très vite, il a fallu que je m’agrandisse. En 2018, j’ai acheté un grand corps de ferme à retaper. Mon compagnon et mon père ont construit différents bâtiments où les animaux vivent en liberté. Il y a une unité de vie pour les chats avec une terrasse entièrement sécurisée. Une pour les chiens, avec des modules de jeux à l’extérieur. Une autre pour les chiens plus lourdement handicapés qui se déplacent avec des chariots. Une pour les chevaux, une autre pour les animaux de la ferme. Et au milieu, une clinique où des vétérinaires viennent plusieurs fois par semaine pour réaliser des soins et des examens.
« Pour eux, je me lève malgré ma maladie »
Je me lève tôt pour nourrir mes 170 pensionnaires. J’ai nommé chacun d’entre eux, je connais leur histoire, leurs pathologies, les traitements à leur donner, leurs besoins, leurs préférences. Puis je nettoie et désinfecte toutes les litières, je fais tourner les lessives avec les couvertures, coussins sur lesquels ils dorment, je donne le bain à ceux qui sont incontinents. Vient ensuite le temps des soins, des câlins et des jeux. Je dois lever certains chevaux ou vaches paralysés grâce à un harnais et un tracteur pour les masser au moins deux fois par jour et leur éviter les escarres. Il y a aussi tout le travail administratif et de communication pour encourager les dons. Quelques bénévoles viennent m’aider mais ne se bousculent pas car la tâche est rude et pour certains, ingrate. Les matins où les douleurs dues à ma maladie me clouent au lit, je réussis tout de même à me lever grâce à mes animaux. Je le leur dois, je le dois à Suzi…
« Je ne pratique pas l’acharnement »
Dans notre refuge, les trois-quarts des animaux ne sont pas adoptables car trop handicapés ou traumatisés. Ils restent avec nous jusqu’au bout. Il n’est pas question de pratiquer l’acharnement thérapeutique avec eux, mais de leur offrir une fin de vie la plus agréable possible afin qu’ils connaissent peut-être le bonheur dont ils ont été privés jusque ici. Il arrive régulièrement qu’un animal nous soit confié avec une espérance de vie très réduite et qu’il vive encore des mois, même des années, parce qu’il est soigné et aimé. Bien sûr, si un animal souffre et ne prend plus aucun plaisir à vivre, je l’accompagne en douceur vers la fin.
Hélas, je ne peux accueillir tous ceux qui en auraient besoin, j’ai une longue liste d’attente… Mais je voudrais au moins que mon refuge contribue à faire changer le regard du public sur le handicap au sens large. Nous organisons des visites pour les scolaires, accueillons des enfants et adultes handicapés. Quand un enfant en fauteuil roulant voit un chien qui lui aussi est dans une sorte de traineau, a l’air complètement décontracté et joyeux, joue à la balle avec enthousiasme, il est évident que ça lui fait du bien et l’aide à considérer son propre handicap autrement ! »
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