Témoignage : "Comédienne, je me bats contre la surdité"

Perdre l’audition quand on est comédienne et passionnée de mots ? Une épreuve que Zoé a appris à transformer en s’écoutant en profondeur.

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Zoé Besmond de Senneville, 33 ans, comédienne, poète et modèle d’art

Entre 0,1% et 2% de la population française (principalement des femmes) souffre d’otospongiose bilatérale cochléaire, un trouble du métabolisme osseux qui atteint les os de l’oreille et apparaît entre 20 et 40 ans. Dans “Journal de mes oreilles” (Flammarion), adapté de son podcast *, la jeune femme raconte le choc du diagnostic et sa perte d’audition progressive, pour sensibiliser le grand public à cette maladie génétique dont personne ne parle…

* www.souncloud.com

Une première crise confondue avec une otite, le jour de ses 25 ans, à quelques jours d’une opération des dents de sagesse. C’est brutal et nouveau : enfant, Zoé n’a jamais souffert des oreilles. Puis les acouphènes arrivent, les sons lui parviennent de façon bizarre. Zoé souffre de plus en plus et se résout à passer un scanner et une IRM. Le diagnostic tombe : otospongiose bilatérale cochléaire. La maladie de Beethoven. Le ciel lui tombe sur la tête…

« J’étais une voiture cassée qu’on cherchait à réparer”

 » Mes questions restent sans réponse : les médecins sont bien incapables de me dire si la maladie va stagner ou évoluer, s’il faudra m’opérer… Il m’est seulement recommandé de prendre rendez-vous chez l’audioprothésiste pour m’appareiller. Deuxième choc. Ces “trucs” que j’avais demandés tout petits et le moins visibles possible occupent la totalité du canal auditif. Tous les sons sont transformés et amplifiés par les appareils, mon audition devient artificielle : le scooter à côté de moi ? un camion gigantesque ; quand je me gratte, je n’entends plus que cela ; ma voix prend une teinte nouvelle… Les migraines s’installent. Les réglages sont longs, je change plusieurs fois de modèles, je m’épuise et arrive en larmes à chaque consultation. Pourquoi ne m’a-t-on pas préparé à ce changement qui bouleverse ma vie ? Pourquoi ne suis-je pas soutenue par un orthophoniste ou un psy ? J’aimerais tellement aussi pouvoir partager avec d’autres patients atteints, comme moi, d’otospongiose. Mais je n’ai droit qu’à des médecins ORL, plus techniciens qu’humains, et des audioprothésistes, formés pour faire la promo de leur produit dernier cri. Pas de véritables soignants et que des hommes, peu empathiques dans l’ensemble.

“Je fais semblant de saisir ce qu’on me dit”

Et moi qui croyais que ces appareils allaient rétablir l’audition comme avant ! Le réglage ne remplace pas l’intelligence de l’oreille. Certains sons, comme les aigus, ne me parviennent pas bien. Simone, ma chatte, a compris : elle a appris à timbrer son petit miaulement qui était, au début, imperceptible à mon oreille. Mais mon problème n’est pas tellement d’entendre – à part les feuilles des arbres, le bruit de la pluie et le chant des oiseaux – , mais de ne pas pouvoir communiquer facilement avec les gens. J’ai beaucoup de mal à capter les différentes fréquences d’une voix, à saisir les blagues, les chuchotements, les murmures. J’apprends doucement à lire sur les lèvres, cela me demande deux fois plus d’attention. Avec les masques, cela est impossible ! Pour une comédienne, perdre l’audition – surtout quand les crises se déclarent le jour de l’audition – est un calvaire. Travailler en groupe, “répéter” (et faire répéter !), me stresse. Je fais souvent semblant de saisir ce qui se dit. Au début, j’avais le réflexe de cacher mes appareils sous mes cheveux. Aujourd’hui, il m’arrive de porter une queue de cheval pour forcer les personnes à s’adapter. Le soir, je me couche, éreintée. Je cherche le calme, le silence. Impossible d’avoir une vie sociale et encore moins amoureuse, confinement ou pas. Le seul avec lequel je cohabite, c’est Oto, c’est comme ça que j’ai surnommé la maladie. Ma façon de l’apprivoiser, d’amorcer le dialogue avec elle…

“J’enquête sur les non-dits de ma lignée”

Anxieuse et introvertie depuis l’adolescence, j’ai commencé un grand travail sur moi bien avant le diagnostic. Avec la maladie, je m’interroge plus que jamais : « Qu’est-ce que je ne veux pas entendre ?” Et m’intéresse à la psychogénéalogie, à la mémoire cellulaire, au chamanisme… J’enquête sur les non-dits et les mémoires traumatiques de ma lignée. La perte auditive peut s’aggraver pendant la grossesse. C’est décidé : je n’aurai pas d’enfant avant d’avoir fait la paix avec les parties de moi les plus sensibles et secrètes, et compris ce qui se joue dans ma vie et mon corps. Je pratique aussi le yoga kundalini, un yoga ancestral et spirituel, la méditation, je me nourris sainement, pour que mon corps puisse se régénérer. Quand serai-je guérie ? Une fois que la maladie serait freinée, que j’aurai récupéré mes facultés auditives ? Ou bien lorsque j’aurai accepté mes nouvelles limites ? Je ne sais toujours pas répondre à cette question.

« J’apprends à être à l’écoute de mes besoins »

Mais une chose est sûre : cette épreuve m’en apprend tous les jours et m’invite à explorer une voie inédite. Moi, la bonne élève toujours soucieuse de plaire, je suis de plus en plus à l’écoute de mes besoins. Je me recentre sur mes projets, ma créativité. Mais je m’efforce surtout de développer une écoute vraie, par le cœur et l’intuition, et non par les oreilles, la partie haute du cerveau. Le silence du premier confinement a fait beaucoup de bien à mes oreilles ! J’étais dans ma bulle. C’est durant cette période que m’a prise l’envie de raconter mon histoire. Au départ, il ne s’agissait que d’un écrit personnel, d’introspection, que j’ai converti en format audio pour le raconter avec mon corps et rendre le texte plus vivant. Les nombreux retours suscités par les quatre premiers épisodes que j’ai postés en ligne m’ont énormément touchée et donné envie de poursuivre. Le podcast a changé ma vie. Mon entourage s’est mis à faire des efforts, spontanément. Mais, surtout, j’ai pris conscience que je n’étais pas seule à vivre cela. Après, tout s’est enchaîné : des articles sont parus dans la presse, la proposition d’écrire un livre, plus accessible aux malentendants, des témoignages, des rencontres, et des partages…

“Il y a le mot “or” dans oreilles”

Le projet qui me tient à cœur ? Mettre en scène le “Journal de mes oreilles”, pour partager mon chemin, faire connaître l’otospongiose et libérer la parole sur la surdité, encore considéré comme un handicap honteux, assimilé à la vieillesse. Récemment, j’ai cherché le mot “oreilles” dans un livre de symboles ésotériques. Tout à côté, il y avait le mot “Or”, et je ne l’avais jamais vu. Maintenant, finalement, ce sont mes oreilles qui me guérissent.

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