Témoignage : "A bord d'un avion, je suis aussi un peu psy et un peu arbitre !"

Hôtesse de l’air… un métier chargé de toutes sortes de fantasmes que Fabienne exerce depuis des années. Elle nous raconte sa vie entre ciel et terre.

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Fabienne Baron, 54 ans, évoque sa profession de Personnel navigant commercial – hôtesse de l’air, c’est pour le grand public ! – sans langue de bois. Entre lieux paradisiaques, décalages horaires épuisants, passagers adorables ou « têtes-à-claques »… Elle raconte ses souvenirs dans « Carnet de vol d’une hôtesse de l’air« , coécrit avec Serge Herbin aux éditions City

« J’avais envie de voyager »

« J’ai fait mon premier vol en avion à 11 ans. Ma mère, ma sœur et moi partions rejoindre mon père au Togo où il avait créé une entreprise. Depuis ce jour, ce mode de transport est devenu assez banal pour moi : chaque été, nous rentrions en France pour voir la famille et y passer nos vacances. A l’adolescence, j’ai été envoyée dans un internat tenu par des religieuses en Bretagne, tandis que mes parents étaient restés en Afrique. Ça ne m’a pas vraiment convenu… J’ai fait les quatre cents coups, raté deux fois mon bac. A 20 ans, un peu par hasard et parce que j’avais envie de voyager, j’ai postulé auprès d’une compagnie aérienne, UTA. J’ai été recrutée, d’abord comme personnel au sol, puis comme personnel navigant commercial.

« Parfois, des vols de 21 jours »

A 22 ans, je me suis donc retrouvée hôtesse de l’air, sans en avoir particulièrement rêvé. Pourtant, je me suis glissée dans mon tout nouvel uniforme avec une vraie délectation, fière de la prestance qu’il me donnait. Mes premières années de carrière ont été un pur bonheur. A l’époque, UTA ne pratiquait que des longs courriers : nous pouvions partir pour des vols de 21 jours, rallier Paris à Nouméa en Nouvelle-Calédonie, en faisant des sauts de puce à Djakarta, Singapour, etc. Je n’avais aucune attache, pas d’amoureux ni d’enfants à laisser derrière moi. Je remplissais l’énorme valise verte que ma mère m’avait offerte pour l’occasion et hop, j’embarquais à bord des avions, libre et insouciante ! Pendant trois semaines, l’équipage se quittait très peu, nous formions un groupe ultra-soudé. L’ambiance était fabuleuse.

« Quand je rentre, j’ai encore la tête ailleurs »

En 1992, la petite compagnie UTA a été absorbée par Air France. Une géante employant des milliers de navigants. A partir de ce moment, et encore maintenant, j’ai très peu de chance de connaître un autre membre de l’équipage quand je pars en vol. C’est plus impersonnel mais c’est aussi l’occasion de rencontrer de nouvelles têtes. Les vols de 21 jours n’existent plus mais je suis susceptible d’aller partout dans le monde, avec jusqu’il y a peu, des escales de plusieurs jours. C’est comme ça que j’ai pu faire de la plongée à Djibouti, découvrir Montréal et devenir une inconditionnelle de cette ville, visiter les sites archéologiques du Pérou à cheval, voguer en pirogue jusqu’aux îles de Loos au large de Conakry, m’y faire des amis chers et retourner les voir à chaque escale en Guinée pour leur apporter des sacs pleins de matériel scolaire. Mon compagnon, dont je suis maintenant séparée, avait parfois du mal à comprendre la pointe de nostalgie qui m’habitait en rentrant de mes vols. Bien sûr, j’étais super heureuse de le retrouver mais j’avais encore un peu la tête ailleurs…

« Les cadences se sont resserrées »

J’ai bien conscience que mon métier fait rêver. Mais peu de gens imaginent qu’il existe aussi un envers du décor. Mon organisme doit en permanence s’adapter à d’énormes décalages horaires : je peux partir à des milliers de kilomètres dans un sens, par exemple vers les Etats-Unis et trois jours plus tard dans l’autre sens, vers l’Asie ! C’est très éprouvant. Les horaires ne sont jamais réguliers et les amplitudes de travail parfois très importantes, de jour comme de nuit. En outre, il n’est pas complètement naturel de travailler en étant enfermée dans un tube métallique, à 10 km au-dessus de la terre, dans une atmosphère très sèche qui finit par enflammer toutes les muqueuses. Et depuis quelques années, les escales un peu longues – nos récompenses en quelques sorte – ne sont plus que des souvenirs tant les cadences se sont resserrées.

« Notre mission est avant tout de garantir la sécurité »

En fait, les idées reçues autour de ma profession sont légion. Je ne parle pas seulement des fantasmes que la figure de l’hôtesse de l’air alimente, tout comme celle de l’infirmière, et qui nous valent bon nombre de dragueurs lourds ! Mais plus prosaïquement, beaucoup de passagers pensent de bonne foi que notre job se limite à les servir. Ils ignorent que s’ils ont un malaise cardiaque ou si un four prend feu à bord, c’est nous qui les sauveront. Car notre mission est avant tout de garantir leur sécurité. Et pour cela, nous sommes entraînées à la lutte contre les incendies, aux évacuations d’urgence, au secourisme et à la survie. Depuis quelques années, nous recevons même une formation spécifique pour gérer les « passagers indisciplinés » . Un euphémisme pour évoquer les profils agressifs, voire violents. Il y a quelques mois, j’ai dû gérer une jeune femme ayant abusé d’un mélange alcool-médicaments. Elle a complètement perdu les pédales, s’est mise à frapper son voisin, nous a lancé son plateau à la figure. Ayant entendu qu’elle venait de Saint Brieuc et habitant moi-même Saint-Malo, j’ai tenté une négociation non-violente entre bretonnes. Mais rien n’y a fait… et elle s’est retrouvée menottée au fond de l’avion.

« J’ai acquis des talents de physionomiste »

Sans aller jusqu’à de telles extrémités, les passagers grossiers et incivils sont hélas de plus en plus nombreux depuis une dizaine d’années. J’ai acquis de véritables talents de physionomiste et je les repère immédiatement dès qu’ils franchissent la porte de l’avion. Ce sont ces hommes et ces femmes d’affaires qui prennent l’avion comme on va acheter une baguette de pain et m’ignorent superbement quand je leur souhaite la bienvenue à bord. Ceux qui se prennent pour des stars et me commandent du « champâââââgne » d’un ton condescendant, évidemment sans ajouter « s’il vous plait« . Ceux encore qui font un scandale parce que l’avion n’a pas de wifi et qu’ils ne pourront pas consulter leurs chers réseaux sociaux sur leur téléphone pendant une heure. Ceux qui nous piquent des couverts, pensent-ils discrètement, et à qui je dois faire rendre leurs larcins.

« Le crash du Rio-Paris m’a anéantie »

Heureusement, il y aussi beaucoup de passagers adorables. J’ai une tendresse particulière pour les angoissés. Eux aussi je les reconnais d’un coup d’œil ! Le regard inquiet, la démarche mal assurée, les mains qui tremblent. S’il y a des turbulences un peu fortes, je m’arrange pour aller les voir. Je leur raconte une petite blague, je leur mets une main sur le bras pour les apaiser. Et dans les cas désespérés, je leur sors mon argument imparable : pensez-vous que je ferais ce métier s’il y avait le moindre risque qu’on n’arrive pas sain et sauf à bon port ? Pour être tout à fait honnête, j’ai longtemps été totalement détendue en vol, n’envisageant pas une seconde qu’il puisse m’arriver quelque chose de grave. Jusqu’à ce qu’un Airbus d’Air France s’abîme en mer entre Rio et Paris. C’était en juin 2009. Ce drame m’a laissée KO debout. Je connaissais plusieurs membres de l’équipage. Cela aurait pu être moi. Je suis restée plusieurs mois en arrêt maladie, incapable de remonter dans un avion. Et puis j’ai repris le cours de ma vie. Mais avec un petit fond d’appréhension que je ne connaissais pas avant… D’ici un an, je partirai en pré-retraite, avec le sentiment d’avoir fait le tour de ce métier. Comme je suis sauveteuse en mer bénévole, d’autres belles aventures m’attendent, c’est sûr ! »

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