Serge Joncour : "Dès la frontière hongroise, on voyage dans le temps"
L’écrivain Serge Joncour, auteur d’une dizaine de romans, a reçu le prix Femina en 2020 pour Nature humaine (éd. Flammarion). Il ne prend plus l’avion depuis trente ans, mais n’a pas perdu le goût du voyage, l’Europe constituant pour lui «un territoire d’exploration infini». Il se rend régulièrement en Hongrie, un pays qui le fascine.
GEO : Puisque vous ne prenez plus l’avion, comment vous rendez-vous en Hongrie ?
Serge Joncour : En train depuis Paris car, pour moi, le voyage compte autant que le séjour. Je passe la nuit à l’hôtel à Munich, ville dont la gare, remplie de restaurants et donc d’odeurs de cuisine, est un monde en soi. Je repars au matin, dans ce qui était, jusqu’à il y a dix ans environ, un vieux train avec un restaurant extraordinaire. Un TGV autrichien l’a remplacé mais il ne roule pas à grande vitesse sur cette ligne et il faut sept heures pour arriver à destination. Parcourir Paris-Budapest sur les rails permet de comprendre quelque chose de l’Europe. On longe la chaîne blanche des Alpes, la Forêt-Noire, puis le Danube et on en prend plein les yeux. Dès la première gare hongroise, à Hegyéshalom, aux quais déserts et hors d’âge, on est immédiatement dépaysé. On passe de maisons autrichiennes parfaitement alignées et bien tenues à la campagne avec des carrioles tirées par des mules. En quelques poignées de kilomètres, on fait un bond en arrière de plusieurs décennies. A chaque arrêt du train dans les gares, une voix métallique venue de haut-parleurs très puissants délivre des annonces interminables en hongrois. Cette langue – rugueuse, anguleuse et incompréhensible –, c’est ce qui vous attrape en premier, avant même d’arriver à Budapest.
Parlez-nous la capitale hongroise…
Il y a les bains de Széchenyi et leurs multiples bassins. On en trouve toujours un dont la température est parfaite. J’aime être plongé dans une eau chaude mais pas trop, ça fait un bien fou. J’aime aussi les thermes Gellért avec leur hôtel Art déco vieillot et le restaurant où je commande une schnitzel, cette escalope panée d’origine viennoise qui est l’une des spécialités du pays. De manière générale, les Hongrois ont la manie des portions généreuses, ce qui m’enchante ! Il faut ensuite prendre le funiculaire [le plus ancien moyen de transport de la ville, en service depuis 1870] qui mène en haut de la colline de Buda. Cela permet de changer de point de vue sur la ville et de l’embrasser du regard. Là-haut, le château royal et l’église Mátyás plongent le visiteur dans une ambiance de littérature fantasy et de roman gothique, surtout la nuit. Enfin, j’aime aller aux halles centrales, un marché gigantesque et splendide avec tous ses vendeurs de paprika et d’autres merveilles, notamment l’unicum, une liqueur miraculeuse dont personne ne connaît la recette mais qui guérit tout.
Vous avez souvent poussé au-delà de la capitale, dans une Hongrie rurale, délaissée par les touristes. Racontez-nous…
Oui, je me suis rendu dans l’Est, à Debrecen, la deuxième plus grande ville du pays, et à Miskolc. Ces cités se dépeuplent. A Miskolc, j’ai été invité par la minuscule Alliance française, dont les élèves nourrissent une grande fascination pour notre pays. Pour se rendre là-bas, il faut rouler des heures dans la puszta, ces steppes très plates qui se trouvent au pied des Carpates. Des usines allemandes ultramodernes se sont délocalisées là mais les habitants eux-mêmes sont rares. On a le sentiment d’un temps qui s’est arrêté, d’un passé qui insiste. On croise des puits à balancier en bois qui pompent l’eau pour les bêtes, des troupeaux de moutons et de bœufs gris. C’est un territoire onirique. J’ai le souvenir, par exemple, d’un rassemblement de plus d’une centaine de chevreuils qui nous regardaient passer. De chacals aussi et de fortes concentrations de loups, d’ours, de lynx. Les gens de là-bas parlent de sorciers et de chamans…
➤ Article paru dans le magazine GEO de mars 2021 (n°505, Portugal).
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