Retour au travail après le congé maternité : "On attend des mères qu’elles reviennent comme si rien n’avait changé"

Au retour du congé maternité, se passe-t-il, nous fait nous questionner Thi Nhu An Pham ? Pour beaucoup de femmes, c’est « une onde de choc », qui vient les bousculer dans toutes les sphères de leur vie.

Dans l’ouvrage La Reprise (ed. Payot), publié ce mercredi 24 mai 2023, la créatrice, productrice et host du podcast éponyme « La Reprise », entend bien lever le tabou autour de ce « retour à la normal » qui se révèle être une épreuve de plus du post-partum. Rien n’y échappe : les difficultés sont économiques, organisationnelles, professionnelles, psychologiques et intimes. Le tout brassant dans une société qui n’accompagne pas ces nouvelles mères sur lesquelles pèsent aussi le poids des inégalités et des discriminations.

Le bouleversement est total pour celles qui endurent ce tsunami en silence et peinent à trouver l’équilibre dans leur nouvelle vie. Dans son ouvrage, Thi Nhu An Pham leur donne la parole.

Marie Claire : Pour avoir déjà vécu vous-même le retour de congé maternité, quelle est votre définition de la reprise ?

Thi Nhu An Pham : Pour moi, c’est une période de transition à la fois personnelle, émotionnelle, familiale et professionnelle. Le principe même de la transition est propre à chacun et n’est pas défini dans un temps donné, ce n’est pas juste le jour J du retour dans une entreprise mais c’est vraiment une période de transition, car on réintègre le travail, mais on n’est plus comme avant.

Notre organisation change et on peut se poser des questions sur son travail et comment on le perçoit en tant qu’individu. Le retour du congé maternité est une période qui nécessite un effort d’adaptation énorme et énergivore pour trouver un rythme et concilier travail et famille. On s’est focalisées pendant des mois sur son enfant et on doit maintenant se réadapter.

À la lecture de votre ouvrage, on a le sentiment que c’est une histoire de rééquilibrage, autant sur le plan professionnel, que physique ou émotionnel. Est-ce le cas ? 

Je ne sais pas si on peut trouver un équilibre, surtout dans le monde du travail qui ne laisse pas la place. Je n’aime pas non plus le mot « rééquilibrage », car cela appelle à revenir à « avant », or ce n’est pas possible. Mais il y a un rythme à trouver, une réadaptation à faire, car toutes les dimensions qui nous constituent sont en déséquilibre lors de la reprise.

Il faut trouver un équilibre entre vie professionnelle et personnelle, faire concilier les contraintes horaires avec les modes de garde, etc. Mais aussi individuellement, en tant que mère et en tant que femme. L’identité de mère doit se construire, ce n’est pas inné.

J’ai beaucoup appris des témoignages que j’ai recueillis : au-delà des problèmes organisationnels, la reprise est aussi toute une introspection à laquelle les femmes ne s’attendaient pas, car personne ne leur en avait parlée. Elles redécouvrent leur travail et leur employeur avec des yeux neufs, car elles ne sont plus les mêmes.

Il y a aussi un équilibre familial à construire au sein du couple. Lorsqu’arrive le travail, on a encore moins de temps avec tout le monde. On est dans le stress et dans une course contre la montre perpétuelle, et le peu de temps qu’il nous reste on le donne à celui qui en le plus besoin : le bébé.

Il est d’autant plus important d’évoquer la période qui vient après le congé maternité, car la difficulté de trouver cet équilibre est couplée à la présence de nombreuses inégalités. Les hommes le ressentent-ils aussi ?

(Rires) Non. Les hommes qui sont dans une recherche d’information et qui tentent de comprendre comment vivent les femmes, peut-être, mais, sans l’avoir vécue, c’est difficile de comprendre à quel point cette période est compliquée dans tous les sens.

Les hommes ont vécu l’accouchement en tant qu’assistant, ils n’ont pas vécu l’énergie de l’effort. Ce n’est aussi principalement pas eux qui se lèvent la nuit. Cette inégalité dans la répartition des tâches fait qu’ils ne voient que la partie émergée de l’iceberg.

Pour autant, leur reprise n’a rien à voir avec celle des femmes. Elle se fait d’une façon plus rapide. Selon les témoignages de certains pères que j’ai eus, c’était comme des vacances pour eux.

 Les hommes ne ressentent pas cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête.

Ils n’ont pas eu un congé paternité aussi long que leur compagne et n’ont donc pas la sensation de devoir faire à nouveau leurs preuves comme l’ont la majorité des femmes à la reprise. Ils ne ressentent donc pas cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête.

À la maison, ils avaient une femme qui assuraient la majorité des tâches, si ce n’est toutes. En fait, ils ont vécu une reprise assez sereine, car l’intendance familiale était prise en charge. Mais, lorsqu’elles reprennent le travail, les femmes doivent gérer ce qu’elles géraient déjà durant leur congé maternité, et c’est infaisable. Et comme on ne se pose jamais la question des effets de cette période sur le couple, on ne s’interroge par sur la répartition des tâches.

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Vous évoquez aussi l’importance d’accepter que la reprise ne se passe pas toujours comme prévue ou aussi bien qu’espérée, pourquoi appuyer sur cet aspect ? 

Il n’y a pas d’échec ou de réussite. Il y a des reprises terriblement difficiles et, dans la grande majorité des cas, ce n’est pas du fait des femmes.

Tout repose sur leurs épaules, notamment les tâches domestiques et familiales. Mais on ne peut pas demander à une personne de faire des doubles ou triples journées en dormant peu.

Le monde du travail manque aussi de bienveillance et peut être discriminant. Ce ne sont donc pas elles qui sont en échec, c’est la société qui l’est et qui va droit dans le mur.

On ne peut pas demander à une personne de faire des doubles ou triples journées en dormant peu.

Je ne veux pas que l’on prenne la reprise comme une réussite individuelle. C’est une transition. Il y a une période d’adaptation progressive. Le problème est qu’il y a des attentes irrationnelles sur les femmes qui reviennent de congé maternité : on attend d’elles qu’elles reviennent comme si rien n’avait changé.

Vous insistez également sur l’importance que les femmes soient accompagnées et informées pour mieux vivre leur reprise. Que peut-on mettre en place ?

Le sujet de l’accompagnement des femmes est sociétal, politique et professionnel.

La plupart du temps, il n’y a pas de place en crèche. Les femmes prennent sur leurs congés pour pallier ce problème de garde. Il y a un vrai enjeu dans le secteur de la petite enfance et un besoin de multiplier les places, ainsi que de former le personnel.

Au sein des entreprises, il faut accompagner le retour de maternité. Une reprise se passera mal si une femme sent qu’elle est mal perçue, qu’il y a de la manipulation ou des discriminations. Il faut une politique parentale et voir la reprise comme une période de transition et pas comme un non-sujet.

Cela passe par l’intégration de ces femmes comme si elles étaient une nouvelle recrue et le respect de leurs droits, comme la visite médicale dans les huit jours de reprise, le rattrapage salarial ou l’entretien professionnel dès le retour. Cet entretien est primordial pour faire le point sur ses envies, ses besoins et cela peut être un moyen pour l’employeur de montrer qu’il a compris qu’elle a changé.

Aujourd’hui, on a le cliché de la mère qui reviendrait à contre-cœur au travail et qui a du mal à se séparer de son bébé, tandis que d’autres ont hâte de revenir. Il faut leur demander et suivre leur évolution. Il y a un tel silence sur ce sujet qu’elles se sentent fautives et c’est perturbant pour elles qu’il n’y ait pas d’informations sur cette période ».

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