Ressuscitée aux États-Unis, la piquette en pleine reconquête
Longtemps synonyme de mauvais vin, la piquette redore son blason auprès des vignerons et des consommateurs. Des spécialistes racontent comment la boisson, populaire aux États-Unis, commence à (re)gagner l’Hexagone.
Si l’on vous parle de piquette, il vous vient tout de suite à l’esprit une bouteille de mauvais vin, et les aigreurs d’estomac qui vont avec. En effet, contrairement à la plupart des grands crus, cette «boisson de ménage» comme le définit le dictionnaire est légèrement alcoolisée et sa couleur rouge claire obtenue par addition d’eau avec du marc de raisin. Longtemps vendue de façon confidentielle en France, elle s’exporte désormais sur les tables étrangères, notamment aux États-Unis où elle rencontre un vif succès. À tel point que des vignerons français comme Julien Guillot, propriétaire des Vignes du Maynes à Cruzille et Nicolas Fernandez du domaine La Calmette à Trespoux-Rassiels, mettent désormais un point d’honneur à redonner ses lettres de noblesse à la piquette, au sens premier du terme. Accompagnés d’une sommelière et d’un caviste, ils nous en dévoilent ici tous ses secrets.
Retour aux fondamentaux
On confond la piquette avec du vin mais il s’agit en réalité d’une liqueur obtenue par la fermentation d’une eau de source passée et de restes de raisin après pressurage. Au Moyen-Âge, elle était la «boisson désaltérante du travailleur» et notamment du viticulteur, indique le vigneron Julien Guillot. Et pour cause, ce breuvage très populaire contient moins d’alcool que le vin, 6% à 7% pour la piquette contre 12,5% pour le vin, et permettait à l’époque de rester concentrer sur son labeur. «Durant cette période, les vignerons faisaient les récoltes en famille, ajoute-t-il. Les enfants profitaient aussi des arômes frais de la piquette pour se remettre à neuf.»
Pour déguster le fameux nectar, il faut le laisser fermenter deux semaines puis reposer six mois, avant de le mettre en bouteille. Et à chaque vigneron sa recette ! Le propriétaire du domaine des Vignes du Maynes se sert pour la sienne de marcs rouges de pinot noir, gamay et de jus de raisin chardonnay. L’ensemble embouteillé au printemps donne à son breuvage des saveurs de framboises et de groseilles. De son côté, le viticulteur Nicolas Fernandez l’élabore à partir de marcs de malbec, cépage noir de cuve français, qui apporte au liquide final une couleur rouge digne d’une «véritable bouteille de vin».
Vinaigre
Il faudra attendre le XIXe siècle pour que la piquette acquiert sa piètre renommée à cause d’une réaction dite de la «piqûre acétique». «À l’époque, cette boisson se vendait en barrique de 225 litres, raconte le viticulteur Nicolas Fernandez. Au contact de l’air, l’éthanol se dégradait et tournait rapidement au vinaigre.»
Et l’histoire ne s’arrête pas là puisque cette boisson paysanne fut interdite dès 1907. Étiquetée comme vin artificiel à cause de sa provenance, elle était perçue comme une concurrence déloyale par les grands vignerons, explique Jean Sagnes, professeur d’histoire contemporaine émérite à l’université de Perpignan, dans un article publié en 2007 dans La Revue de œnologues et des techniques viticoles. Ces derniers ont d’ailleurs manifesté pour que l’appellation de «vin» soit réservée uniquement aux boissons «fermentées produites à partir de raisins frais», rapporte la première sommelière MOF française Pascaline Lepeltier.
Un succès retrouvé aux États-Unis
Plus d’un siècle plus tard, alors que la loi a été abrogée et que sa vente fut de nouveau autorisée après contrôle de la douane française, la piquette s’est refait une santé de l’autre côté de l’Atlantique. Depuis 2017, elle rencontre un franc succès aux États-Unis grâce au producteur de vin new-yorkais Todd Cavallo. Dès son lancement, sa cuvée Wild arc Farm a été écoulée en quelques jours, nous apprend Pascaline Lepeltier, installée depuis dix ans dans la Grosse Pomme. Depuis, d’autres bouteilles ont vu le jour à l’instar de Monte Rio Cellars en Californie, Old Westminster dans le Maryland ou encore en format canette avec Benjamin Bridge au Canada.
https://instagram.com/p/CHVarP0H_2H
«Cette boisson acidulée, effervescente et moins assommante qu’un vin intéresse les producteurs, d’autant plus que le coût de production est moins élevé car elle nécessite moins de matière», note la sommelière. Même constat en France, qui profite récemment du rayonnement américain. Le vigneron Julien Guillot observe depuis l’année dernière un engouement de la jeune génération, notamment des millennials, pour cette boisson peu alcoolisée et plutôt écolo. «On utilise un déchet comme matière première. En somme, la piquette est une boisson recyclée», assure le propriétaire des Vignes du Maynes dont la piquette séduit aussi bien en Belgique et au Japon.
https://instagram.com/p/CDy5N1UJ2Zi
Vente en ligne
Produite à l’arrivée des premières chaleurs de mars, la piquette s’écoule généralement via des micro-cuvées, disponibles à la vente directement chez le viticulteur. Certains cavistes comme la cave du restaurant Sauvage (1) dans le VIe arrondissement de Paris proposent dès le printemps à leurs clients la cuvée Pinpin du domaine La Calmette (vendue 8€ sur leur site), la véritable piquette P(ik)etnat du domaine des Grottes (34€ les trois sur leur site) ou encore la piquette des Vignes du Maynes (vendue 8,50€).
Idéale à l’apéro
Fraîche et agrémentée de délicates notes sucrées, la piquette accompagne à merveille les apéritifs estivaux, selon les vignerons Nicolas Fernandez et Julien Guillot, notamment les plateaux de fromages ou de charcuterie. Elle se sert également au plat de résistance. À la table du bistrot gastronomique Racines (2) à New York, la sommelière Pascaline Lepeltier aime assortir piquette et mets acidulés : «Sashimis au thon gravelax, shitakés fermentés avec un peu de vinaigre ou encore radis fermentés finement coupés parfumés à l’estragon». Le délice peut se poursuivre jusqu’au dessert. Dans son restaurant parisien Sauvage, Sébastien Leroy l’associe avec une salade de fruits frais.
(1) Restaurant et bar à vins Sauvage, 55 Rue du Cherche-Midi, 75006 Paris. Tél. : 01 45 48 86 79.
(2) Restaurant Racines, 94 Chambers St, New York 10007, États-Unis.
Source: Lire L’Article Complet