Reportage : le van gynéco au service de la santé des femmes
9 heures du matin, à Plan-d’Aups, dans l’arrière-pays varois. Les commerces n’ont pas encore ouvert. Maëva Selingue gare le camion le long de la halle en bois, le raccorde à l’électricité, prépare le matériel pour les soignant.es, etc. Sac à main orné d’une tête de mort à l’épaule, cigarette roulée à la main, la première patiente est déjà là.
Nathalie*, 55 ans, s’occupe de personnes âgées dans cette commune à l’écart des grands axes, à 600 mètres d’altitude. Pour voir un.e gynécologue, il lui faudrait poser une demi-journée pour descendre à Aubagne. Son dernier suivi remonte à six ans, sa dernière mammographie à huit, explique-t-elle avant d’égrener les cancers familiaux et les utérus « à risques » retirés chez ses sœurs. Un frottis et une palpation des seins plus tard, Nathalie se rhabille, enchantée : « Ce Gynécobus est une idée géniale, c’est une mamie qui me l’a fait découvrir. »
Éléonore*, 17 ans, grimpe dans le camion et s’installe sur le tabouret. « Que peut-on faire pour vous ? », lui demande la sage-femme, Laure Fabre, et le gynécologue, Gérard Grelet. L’adolescente souhaiterait avoir une contraception. Très vite, un autre motif à sa venue émerge : les rapports sexuels avec son copain lui font mal car elle se contracte. Derrière la porte fermée de la salle d’examen à l’arrière du véhicule, elle confiera à la sage-femme avoir eu accès à du porno, dont des scènes de viol, dès 9 ans : les films étaient à disposition sur la tablette prêtée par son grand-père… Éléonore accepte d’être revue à l’hôpital de Brignoles-Le Luc auquel est rattaché le Gynécobus.
Des consultations mobiles comme réponse aux déserts médicaux
Depuis septembre 2022, du lundi au vendredi, le Gynécobus parcourt les territoires de la Provence verte et Verdon pour apporter des soins dans les villages isolés et atteindre les femmes qui ont renoncé à consulter.
Ce dispositif mobile de consultation spécialisée en gynécologie stationne au moins une fois par mois dans une des quarante-quatre communes incluses dans le parcours. À son bord, un.e gynécologue et une sage-femme proposent aux patientes la panoplie d’une consultation classique : bilan complet de prévention, frottis, échographie pelvienne, contraception, rééducation… Il suffit de prendre rendez-vous par téléphone ou sur Doctolib.
Ce dispositif est pionnier en France et répond à un immense besoin en termes d’accès à la santé : quand le passage du camion blanc médicalisé est annoncé dans un village, les créneaux ouverts sont pris à toute vitesse.
Il a fallu quatre ans à Laure Fabre, une quarantenaire pétillante, pour mener à bien son projet : « Lorsque j’avançais la piste de la mobilité comme réponse aux déserts médicaux et moyens d’accès aux femmes qui ne consultent plus, il n’y avait pas une grande réceptivité. Le Covid a permis de faire bouger les lignes. »
Un cabinet à quatre roues sur la place du village
Trouver les financements, lever les freins des corporations médicales jalouses de leur pré carré, convaincre l’Agence régionale de santé, obtenir le soutien des politiques – tous des hommes, à l’exception d’une seule femme – n’a pas été une mince affaire.
D’ailleurs, Hervé Philibert, le président de la communauté de communes de Provence-Verdon, un des premiers élus à l’avoir soutenue, concède volontiers que la surreprésentation masculine parmi ses pairs ne facilite pas la compréhension des enjeux de santé spécifiques aux femmes : « Le problème de la désertification médicale est bien connu mais je n’avais pas vraiment celui de la gynécologie en tête. »
Il a donc posé la question à son épouse. Elle lui a répondu que c’était « une énorme galère », qu’il fallait des mois avant de décrocher un rendez-vous. « J’ai vite compris ce que cela signifiait en termes d’accès pour de nombreuses femmes. »
Une fois les difficultés surmontées, la question de l’emplacement du camion a surgi. Où allait-il stationner dans les communes ? « S’il s’était agi de soins dentaires, le sujet de sa visibilité n’aurait jamais existé ! précise Laure Fabre. Pourquoi une consultation de santé pour les femmes devrait être discrète ? J’ai même entendu le mot ‘pudeur’. Ce projet interroge sur ce qui est déplacé quand une consultation gynécologique est emmenée au cœur d’un village »
Sans surprise, les localités avec qui les échanges sont le plus fluides sont celles qui ont mis le Gynécobus en plein centre. À Plan-d’Aups, il est au milieu du village. « Quand j’en ai entendu parler, j’ai tout de suite dit : ‘Je le veux pour ma commune’, raconte Carine Paillard, la maire de la bourgade. Je le vois bien avec mon parcours : entre le travail et les enfants, les mères s’oublient. Nous priorisons les rendez-vous pour nos petits et n’avons pas le temps pour les nôtres. »
Une santé de proximité
13 heures. Le Gynécobus quitte Plan-d’Aups. Il est attendu à Rougiers, l’après-midi. Maëva, 26 ans, qui a été ambulancière dans les Alpes, enchaîne tranquillement les virages des petites routes et va s’arrêter sur la place, à côté des platanes. La commune de mille six cents habitant.es n’a plus de médecin traitant, alors un gynécologue…
Celui de Danielle, 76 ans, est parti à la retraite. De toute façon, « à nos âges, les médecins ne font plus rien, comme s’il ne nous restait qu’à crever », lâche-t-elle en rigolant. Entre petites phrases bien senties et rires communicatifs, l’ambiance est détendue. Il y a longtemps, on lui « a enlevé des petits machins dans les seins », elle fait donc régulièrement une mammographie mais elle est venue pour un contrôle de routine : ne lui faudrait-il pas un frottis ? « Tout dépend », s’enquiert le Dr Gérard Grelet. Mène-t-elle une « vie dissolue » ? La réponse de Danielle ne se fait pas attendre : « Ah ah ah ! j’en connais certaines mais moi non. Je n’ai plus de rapports, mon mari est mort et je n’ai pas besoin de remplaçant ! » Pas besoin de frottis donc, mais Danielle repart en ayant appris à faire une autopalpation mammaire.
Marie, 40 ans, lui succède. Cette infirmière s’inquiète d’une douleur persistante à l’ovaire gauche : « Le seul rendez-vous gynéco que j’avais trouvé était en visio, pas top. » Une échographie pelvienne lui permet d’être rassurée.
Un bus pour améliorer l’état de santé globale des femmes
Outre la mobilité, l’originalité du Gynécobus est de proposer des consultations réalisées par un binôme sage-femme-gynécologue. « Un des buts était de faire une médecine holistique, qui prend en compte la santé des femmes dans tous ses aspects », détaille Laure Fabre, qui a lâché son cabinet en libéral, où elle gagnait « beaucoup mieux sa vie », pour coordonner le dispositif. « Cela nous a amenés à questionner comment on mène une consultation. On remet de l’écoute, c’est très apprécié. »
Aucun geste médical n’est pratiqué sans l’aval de la patiente, idem lorsque le corps est touché. La parole se libère alors facilement. À l’instar de Catherine*, la soixantaine, qui souffre de sécheresse vaginale. Il y a des années, un gynécologue l’avait examinée brutalement et maltraité verbalement : « C’est tout desséché là-dedans. » S’en sont suivies des années à éviter toute consultation et d’inconfort quotidien alors qu’une crème hormonale aide la réhydratation des muqueuses. Elle ressort avec une ordonnance. Problème réglé.
Replacer l’humain au coeur du soin
À 75 ans, le Dr Gérard Grelet, ancien chef de service de la maternité de Pertuis, soutient le Gynécobus bénévolement depuis le début. La pluridisciplinarité l’intéresse particulièrement : « Les médecins ne doivent pas rester enfermés dans leur tour d’ivoire. Avec le binôme, nous pratiquons le partage de compétences : j’avais envie de faire quelque chose d’innovant en matière de santé publique. »
Cette approche rencontre un grand succès chez les soignant.es volontaires : ils et elles sont une quarantaine, payé.es à la vacation, à se relayer dans le bus en assurant deux journées par mois. 17 heures, l’heure de rentrer à Brignoles. Maëva presse les deux compères : l’hôpital ferme à 18 heures et il lui faut encore déposer les prélèvements au laboratoire, faire le réassort du matériel… Le lendemain matin, la jeune femme reprend la route à 8 heures.
L’équipe médicale sera composée d’une gynécologue de l’hôpital d’Aix-en-Provence et d’une sage-femme libérale à Istres, Sandrine Peiri. Cette dernière fait trois heures de trajet aller-retour pour rejoindre le camion. Mais la récompense vaut le déplacement, s’enthousiasme-t-elle : « Humainement, travailler en binôme est génial et les patientes nous disent : ‘Merci d’être venue jusqu’à nous.’ Ça me stimule ! »
Le Gynécobus fait aussi du bien aux soignant.es, qui y retrouvent le sens de leur engagement.
(*) Les prénoms de certains témoins ont été modifiés.
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