Rencontre : Wilo&Grove sort l’art du cadre

Démocratiser l’art, le tout avec une bonne dose d’humilité et de bonne humeur, tel est le crédo des filles de Wilo&Grove. Fanny Saulay et Olivia de Fayet sont les drôles de dames derrière ce projet créé en 2017. Dans une autre vie, elles étaient expertes en art moderne dans la plus grande maison de ventes aux enchères au monde. Un CV qui peut impressionner mais dont elles ont su faire leur force pour rendre moins impressionnant justement le mot art, décloisonner cet univers, le débarrasser de sa réputation dorée et le rendre accessible aux néophytes.

Avec leur galerie, le Wiloft, elles accompagnent les néo-collectionneurs avec une méthode bien rodée… et bien à elles. Douceur et didactisme sont les maîtres mots de leur stratégie dites « de l’entonnoir », comprenez affiner la quête du futur acheteur d’art, saisir ses envies, sa demande pour l’amener vers « l’oeuvre qui lui est destinée ». Conscientes que la question de  l’achat d’oeuvre d’art en taraude plus d’un – encore plus après un an d’une vie sans musée – elles ont rassemblé leurs conseils avisés dans un livre qui leur ressemble. Avec humour et rigueur, dans Sortons l’art du cadre, elles décryptent un marché de l’art méconnu avec ses codes (et ses écueils) et multiplient arguments et conseils invitant à sauter le pas. Une discussion avec elles s’imposait pour en dire plus sur cet art qui nous fait tous envie… et dont nous sommes tant en manque en ce printemps…

Marie Claire Maison : pourquoi s’offrir ou offrir de l’art en 2021 ?

Olivia : « On sort d’une longue année difficile à ne pas pouvoir ni voyager, ni même aller au musée et donc fatalement pouvoir s’entourer de belles choses. Notre environnement visuel s’est appauvri d’où cette envie d’acheter une belle oeuvre d’art pour transformer notre quotidien.

Puis la pandémie a aussi changé notre manière d’acheter et même de consommer. On a de plus en plus envie d’achat qui ont du sens. L’oeuvre d’art répond à cette quête. Elle ne finira pas sur un trottoir ou sur Le Bon Coin. On sait qu’elle nous suivra de déménagement en déménagement, qu’elle se transmettra de génération en génération…

Enfin, et je dirais même surtout, cet achat est un acte militant. En choisissant une oeuvre, on soutient un artiste, on reconnaît le fruit d’un cheminement artistique, d’un travail de la main… »

Comment expliquez-vous que certains soient encore réticents à cet acte d’achat ? Qu’est-ce qui retient certaines personnes à franchir ce cap ? 

Olivia : La réticence existe, c’est vrai. Elle est due à une communication du marché de l’art très médiatisée mais toujours via des ventes aux enchères ultra fermées, des sommes astronomiques et un milieu de l’art contemporain perçu comme extrêmement intellectuel. Cette vitrine est faite pour séduire les plus fortunés, mais elle est paralysante pour une autre partie de la population qu’elle laisse au bord de la route…

Et comment réussit-on justement à embarquer ce public de néophytes vers l’achat d’une oeuvre d’art ?

Fanny : En privilégiant une autre approche. Offrir une autre vision du milieu. Avec le projet Wilo&Grove et encore plus la parution de ce livre, nous avons fait le choix du didactisme. Il faut expliquer ce monde de l’art, le rendre moins opaque surtout et tendre la main vers ce public précis qui a envie d’art mais n’ose pas encore entrer dans une galerie pour l’acheter. La priorité est vraiment de faire tomber les a priori, abattre les barrières qui existent évidemment mais qui font du mal autant aux artistes qu’aux personnes qui pourraient acquérir une oeuvre et ressentir le bonheur apporté par ce bien unique.

Le Wiloft, le showroom galerie dans le IX ème arrondissement de Paris

Quel serait votre argument premier pour franchir cette frontière du fantasme de l’oeuvre d’art chez soi à l’investissement véritable ?

Olivia : Le plaisir que procure l’achat d’une oeuvre d’art tout simplement. Une oeuvre que l’on sent destinée pour nous et qui apporte un supplément d’âme à notre intérieur, c’est ça l’argument premier. On peut exprimer sans limite sa personnalité via l’art. Et une fois le cap passé, une fois sa peur dépassée, on peut même ressentir aussi une grande fierté à avoir dénicher LA pièce.

Dans votre livre, vous expliquez à très juste titre que l’art n’est pas toujours ce qu’on croit, à savoir une toile à suspendre chez soi ? Comment définiriez-vous l’art en 2021 ?

Fanny : On imagine toujours une pièce maîtresse comme un tableau c’est vrai quand on évoque l’oeuvre d’art. Mais il existe de multiples oeuvres en terme de styles évidemment, mais aussi de formats… Petites oeuvres sur papier, petites sculptures, céramique, photographie, tout peut s’acheter, se mixer pour constituer une collection qui nous ressemble. Notre métier c’est justement d’ouvrir les gens à ces techniques multiples et montrer la vaste palette de l’univers contemporain.

Quelles pistes conseilleriez-vous à un débutant pour acheter de l’art ?

Olivia : Pour commencer, il est nécessaire de définir son budget car il faut savoir cibler sa recherche, et cela passe forcément par le prix. Pour affiner au mieux et délimiter le périmètre de recherche, il faut questionner aussi la maturité du projet afin de choisir le meilleur interlocuteur possible. Professionnels des salles des ventes, galeries d’art, marketplaces spécialisées, particuliers ce n’est pas les options qui manquent… La vente d’œuvres d’art est soumise à des règles strictes, c’est pourquoi il est recommandé de se tourner vers des professionnels aguerris et parfaitement au courant de la loi.

Enfin à la galerie, nous aimons utiliser « la stratégie de l’entonnoir ». Il faut parler librement du projet avec son interlocuteur, donner un maximum d’informations pour que ce dernier comprenne ce que le futur acheteur apprécie. A quoi ressemblera l’environnement de la future oeuvre ? Son exposition dans la pièce ? Le style des lieux ? Faire des essais à partir de photos de la pièce pour que l’acheteur puisse se projeter au quotidien avec son oeuvre est également possible. L’idée c’est d’affiner sa recherche au maximum.

Fanny Saulay et Olivia de Fayet dans leur Wiloft

Choisir sans réfléchir, vous conseillez ?

Olivia : Si le choix doit être instinctif, la décision doit être elle mûrement réfléchie. Il faut savoir écouter son coeur pour constituer une collection car tout autre motivation (de spéculation ou d’investissement entre autres) doit passer au second plan. Quel que soit le niveau de prix, quand on achète ce qu’on aime on ne peut pas faire d’erreur.

Fanny : A la galerie, les clients en quête de « l’oeuvre » reviennent fréquemment sur leur premier coup de coeur. Mais il y a tellement d’oeuvres à découvrir qu’on les invite à déambuler dans le Wiloft, se perdre dans l’espace, oublier surtout les tendances et les idées préconçues pour se laisser la chance d’être happé par l’oeuvre qui leur est destinée.

A partir de combien d’oeuvres peut-on se dire collectionneur d’art ?

Olivia et Fanny en choeur : Deux !

Olivia : Une fois qu’on a la première chez soi, on pense souvent à la suivante, au plaisir procuré par la recherche et le coup de coeur. Et puis s’ajoute un autre plaisir à la constitution d’une collection : découvrir d’autres artistes, les repérer, suivre leur évolution…

Comment maîtriser sa composition d’oeuvres comme un vrai galeriste ?

Fanny : En acceptant de prendre son temps ! Par exemple, on déconseille les commandes d’oeuvres où le collectionneur prend le risque d’être déçu. Il faut privilégier les coups de coeur et prendre plaisir à combiner les pièces dénichées. C’est là aussi un vrai challenge autant pour nous en tant que galeristes que pour le collectionneur en herbe. L’oeuvre veut dire quelque chose de la personne et la collection reflète tout ce que l’on est. D’ailleurs, parmi les différents types de collections, la collection d’oeuvre d’art est certainement la plus personnelle. Vous ne trouverez jamais la même chez votre voisin.

Une dernière question un peu pratique pour la route : comment conserver ses oeuvres soigneusement sélectionnées ?

Olivia : Toutes les oeuvres ne nécessitent pas le même entretien. Les oeuvres sur papier et les photographies par exemple ne doivent jamais être exposées au soleil ou dans des pièces humides qui vont nuire à la qualité du papier. Idem on évite les changement radicaux d’emplacement. Préférez toujours plutôt un environnement stable où lumière comme température ne varient pas pour éviter les mauvaises surprises.

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Sortons l’art du cadre par Fanny Saulay et Olivia de Fayet chez Flammarion, 19,90 euros, disponible dès le 26 mai

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