Quand des grands-parents maltraitants font valoir leur droit de visite auprès de la justice

  • "On est les grands-parents, on a des droits"
  • Un historique familial violent pas toujours pris en compte
  • L’enfant comme moyen de manipulation
  • Protéger son enfant et devenir hors la loi
  • Traumatismes en héritage
  • Une épée de Damoclès au-dessus de la tête

371-4. Ce numéro, insignifiant pour la plupart d’entre nous, résonne douloureusement chez Marine et Frédéric, Aline, Florence et Laure*. 

Cet article du Code Civil qui atteste qu’un “enfant a le droit d’entretenir des relations personnelles avec ses ascendants” évoque chez nos témoins un véritable traumatisme.

Censé protéger les liens familiaux, notamment en cas de séparation de couple, ce texte est parfois “instrumentalisé par des grands-parents malveillants”, alertent nos témoins. “L’article 371-4 permet de renouer avec des petits-enfants perdus de vue, mais aussi indirectement d’imposer des liens”, abonde Me Marie-Hélène Mathioudakis, avocate spécialisée en droit pénal et droit de la famille. 

Marine et Frédéric, Aline, Florence et Laure ont tous.tes été assigné.es en justice par un de leurs parents, pour “droit de visite” ou “garde partagée” de leurs petits enfants. Pour échapper à ces jugements et protéger leurs propres enfants, certains d’entre eux ont dû fuir, d’autres se sont vus calomniés et dénoncés aux services sociaux. L’une d’elle a même terminé en garde à vue. 

En racontant leur histoire, il et elles souhaitent briser un tabou et mettre fin à la stigmatisation des « parents maléfiques face aux grands-parents bienveillants ». Et, pourquoi pas, faire avancer la loi pour que la sécurité des enfants reste la priorité. 

« On est les grands-parents, on a des droits »

L’histoire de Marine et Frédéric illustre banalement le sujet. Le couple a deux enfants. Frédéric raconte avoir été maltraité et psychologiquement persécuté par ses géniteurs tout au long de sa vie. “Je ne me suis jamais sentie à l’aise avec mes beaux-parents, ils rabaissent constamment leur fils”, assure sa femme, Marine. 

Quand elle tombe enceinte la première fois, les parents de Frédéric semblent voir là un moyen de réécrire l’histoire. “Ils voulaient une place de parents, il y avait cette attente qu’on leur confie notre premier enfant”, témoigne le couple. 

Ils voulaient une place de parents, il y avait cette attente qu’on leur confie notre premier enfant.

Malgré leurs réticences, Marine et Frédéric tentent d’assurer le lien grands-parents petits-enfants. Ils prévoient un calendrier de visites dans un cadre informel. Très vite, la situation s’envenime. “Il fallait que les visites planifiées soient respectées à la lettre” se souvient le couple. D’après eux, les incidents se multiplient lors de ces dernières. “Quand ma belle-mère parlait d’elle à notre enfant, elle disait ‘maman’ et quand elle parlait de moi, elle disait ‘mamie' ». Puis il y a eu des “comportements déplacés et inquiétants”, confie Marine qui ne souhaite pas les détailler dans un souci d’anonymat.

Quand Marine et Frédéric tentent de dire stop, ils s’entendent dire : “On est les grands-parents, on a des droits”. 

“En effet, il y a des droits. Notamment prévus par l’article 371-4. Mais celui-ci prévoit que c’est uniquement l’intérêt de l’enfant qui prévaut. Malheureusement, dans certains cas, il devient un prétexte pour (ré)activer des conflits ou ajouter une pression aux parents”, analyse Me Mathioudakis. 

Un historique familial violent pas toujours pris en compte 

D’autant que ce « droit » reste valable même si ces grands-parents ont abusé leurs propres enfants dans le passé. Toutes nos familles interrogées ont évoqué des maltraitances physiques et psychiques, certaines évoquent même des “antécédents d’inceste” dans la famille. Des éléments rarement pris en compte dans la bataille juridique, qui débouche généralement, selon nos témoins, sur un droit de visite, voire même d’hébergement, accordé au profit des demandeurs.

C’est l’histoire de Florence. Durant sa propre enfance, son père était “adepte des claques dans la gueule”, “peu présent et violent”. Mais quand la jeune femme tombe enceinte, l’homme se radoucit. Une douceur d’apparence qui ne tient pas longtemps. Rapidement, il use de qualificatifs possessifs concernant l’enfant à naître, puis il annonce vouloir “choisir le prénom…”.

Six mois après, je recevais une lettre de son avocate, il m’avait retrouvé et voulait faire valoir ses droits sur ma fille. 

Florence tente de temporiser mais c’est comme “un coup d’épée dans l’eau”. Lorsqu’il se présente chez elle, juste après la naissance de sa fille, la situation dérape : alors qu’elle essaye de mettre les choses au clair et de réattribuer le rôle de chacun, “il s’emporte, lève les poings”. Florence coupe court à la situation, le met à la porte et décide de couper les ponts pour son bien-être et celui de son bébé. 

Sauf que, “six mois après, je recevais une lettre de son avocate, il m’avait retrouvée et voulait faire valoir ses droits sur ma fille”. Le grand-père écarté demande “les mêmes droits qu’un père”, soit “une garde partagée durant la moitié des vacances scolaires et un week-end sur deux”. 

“Ici, il n’y a pas de principe de précaution. L’idée n’est pas de dire ‘comme ce grand-parent fut un parent violent ou agresseur, le lien peut mettre en danger l’enfant’. Très souvent, les juges aux affaires familiales ne prennent pas en compte l’historique familial, en disant que ce conflit ne suffit pas pour ne pas mettre en place un droit de visite », éclaircit Me Mathioudakis. 

L’enfant comme moyen de manipulation

L’histoire d’Aline fait écho à celle de Florence. Issue d’une famille dysfonctionnelle selon ses termes, elle maintient malgré tout le lien avec un père « dont elle a peur », “parce que c’est la famille ». Quand elle tombe enceinte, son père tente un rapprochement. “Il était différent, doux”, confie-t-elle. 

Mais dès la naissance, la relation s’électrise. L’homme ordonne à la jeune maman de venir le voir alors même qu’elle habite à 3h de chez lui. Les disputes sont nombreuses, mais Aline tente de tempérer. “Il s’était déjà disputé avec mon frère et disait qu’il allait lui envoyer les services sociaux”. 

Il a appelé le 119 en expliquant que j’étais une femme battue, que j’étais instable depuis mon accouchement et je prévoyais de tuer mon fils.

Au bout d’un moment, Aline ne supporte plus les menaces et les disputes. Elle décide alors de couper les ponts, non sans crainte. “J’avais peur qu’il vienne nous faire du mal. Puis j’ai reçu un courrier recommandé, me stipulant qu’il demandait des droits de visite et d’hébergement.” En parallèle, elle apprend que son père l’a dénoncée aux services sociaux. “Il a appelé le 119 en expliquant que j’étais une femme battue, que j’étais instable depuis mon accouchement et je prévoyais de tuer mon fils parce que je ne supportais plus les enfants”. 

Une enquête est menée, l’homme persiste dans ses agissements. Trois mois plus tard, une autre lettre de dénonciation arrive, cette fois chez l’employeur du conjoint d’Aline. « On ne l’a jamais empêché de voir notre fils, mais il n’a jamais cherché prendre de vraies nouvelles, il voulait juste se venger », souffle la jeune femme. Une position que connaît bien Me Mathioudakis qui explique que dans ce genre d’affaires, les grands-parents qui attaquent ne veulent souvent “même pas de la garde. L’enfant est un levier », pour faire pression sur les parents. 

Protéger son enfant et devenir hors la loi

Que se passe-t-il, alors, si on décide de se soustraire au jugement accordant un droit de visite aux grands-parents ? “À partir du moment où vous avez un jugement, vous devez l’appliquer. Si les parents ne présentent pas l’enfant, ils risquent jusqu’à 15000 euros d’amende et 1 an d’emprisonnement”, répond Me Mathioudakis. 

Laure a malheureusement connu ces procédures. Pour elle, « ça a été jusqu’à la garde à vue ».

Quand son conjoint décède, alors même qu’ils étaient en train de se séparer, sa belle-mère devient rapidement inquiétante. « Elle s’est persuadée qu’elle n’aurait plus de lien avec sa petite fille, alors que je ne voulais pas du tout ça », se souvient Laure. 

Elle décide donc d’envoyer sa fille chez sa grand-mère une première fois, pour montrer sa bonne volonté, sauf que l’enfant revient « perturbée ». « Elle avait perdu ses repères, mangeait et dormait mal », illustre la maman. Pour trouver une solution qui satisfera tout le monde, elle propose des alternatives que sa belle-mème aurait refusé en bloc.

À chaque fois que je ne présente pas ma fille à sa grand-mère, les gendarmes viennent à la maison.

Celle-ci exige de voir sa petite-fille 15 jours consécutifs l’été. Laure s’inquiète : « Là-bas, elle n’était pas considérée comme elle-même, mais comme la fille de son père mort. Elle dormait avec sa grand-mère, mangeait à la place de papa, faisait un gâteau pour son anniversaire… ». La maman s’oppose à la demande.

Quelques semaines plus tard, elle reçoit une convocation au tribunal. « C’était un référé en urgence sous 15 jours. Elle demandait un droit de visite et d’hébergement pour la moitié des vacances scolaires et un mois entier l’été », raconte-t-elle. Considéré « non-urgent », le jugement sera finalement rendu deux ans plus tard. « On lui a accordé un droit de 42 jours par an. C’est un coup de massue”. 

La mère de famille fait appel de la décision, mais l’affaire dure et, face à la détresse de sa fille, Laure décide de risquer la non-présentation. Une nouvelle routine s’installe alors. « À chaque fois que je ne présente pas ma fille à sa grand-mère, les gendarmes viennent à la maison, je suis convoquée, je dois m’expliquer, faire des prises d’empreintes et des photos ». Rappel à la loi, puis garde à vue de 6h :  Laure risque la correctionnelle. 

« Le parent qui protège son enfant a un statut de prévenu mis en cause. C’est une multiple peine. D’autant qu’au-delà de l’humiliation émotionnelle, un casier judiciaire peut avoir un impact sur la vie professionnelle », complète l’avocate. 

Traumatismes en héritage

Les traumatismes qui découlent de telles batailles judiciaires ne sont évidemment pas en reste. Laure nous confie que sa fille à commencé à se mutiler le bras à 7 ans. “Elle préférait mourir que d’aller chez sa grand-mère« , confie la maman.  

Les filles de Marine et Frédéric étaient « très anxieuses » durant le temps des procédures. « Elles nous ont demandé ‘est-ce que si on a un enfant, vous nous ferez un procès ?’”, raconte le couple.

Pour Aline et Florence, c’est leur maternité qu’on a volée. « Je vivais dans la peur. Mon compagnon et moi avons perdu l’innocence des jeunes parents », soupire Aline. Et à Florence de compléter : « Cela m’a empêché de faire beaucoup de choses dans la vie. Redonner sa confiance, faire rentrer des gens dans son cercle c’est compliqué. Le 371-4 s’applique à toute personne ayant côtoyé l’enfant et qui pense avoir noué un lien. N’importe qui peut demander des droits », souligne-t-elle.

Si la loi ne permet pas « à n’importe qui » de demander un droit de visite et/ou d’hébergement, elle n’est plus, depuis 2013, seulement dirigée aux personnes de la famille. « Si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l’un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables », précise l’article. Ce serait le cas, par exemple, d’un.e ancien.ne partenaire d’un des deux parents qui aurait côtoyé l’enfant plusieurs années.

Nadia Es-Borrat, psychologue intervenant au sein de l’association La Dérive 371-4 (dont toutes les familles qui témoignent dans cet article font partie, ndlr), note « une demande d’écoute et de partage, un besoin d’expression et de normalisation » de la part des concerné.es, parce que « le poids de la honte est lourd« . 

« Il y a un risque de traumatismes et de stress chez les enfants. Mais aussi chez les parents, qui s’oublient en se focalisant sur leur protection. La minimisation des répercussions est dangereuse, on assimile le conflit à une mésentente ou un caprice. Pourtant, au milieu, l’enfant subit », poursuit-elle. 

Une épée de Damoclès au-dessus de la tête 

Malgré les années de procédure, Marine et Frédéric, Aline, Florence et Laure ont « tenu bon. Et ont eu gain de cause. Mais pour combien de temps ?

« Les mutilations de ma fille ont enfin été prises en compte par un juge. Le droit de visite a été modifié en visite en lieu médiatisé. Finalement, la grand-mère a renoncé à ses droits. Aujourd’hui je n’ai plus d’obligations, mais si elle veut se ressaisir, elle peut », nuance Laure.  

Pour Marine et Frédéric, la décision de justice qui leur a été favorable les a « libérés d’un poids énorme, mais cette loi est un moyen et pas une fin, cela n’arrêtera pas des grands-parents qui sont là pour la vengeance. On reste dans une logique d’affrontement », appuient-ils.

Il y aura toujours quelque chose pour raviver la flamme, je ne sais pas quand je pourrais être complètement tranquille.

Si elle sait son fils en sécurité, le jugement ayant été rendu en sa faveur, Aline appréhende « l’après ». « Il y aura toujours quelque chose pour raviver la flamme, je ne sais pas quand je pourrais être complètement tranquille ». 

Du côté de Florence, un droit de visite sur 6 mois a été accordé à son père, en lieu médiatisé. Pourtant, “il n’est jamais venu, alors qu’il a fait traîner les procédures durant huit ans. Pendant un an, j’ai eu peur qu’il réclame quelque chose d’autre. Aujourd’hui, je le vis mieux, mais je garde le dossier à la maison », confie-t-elle.

La psychologue Nadia Es-Borrat acquiesce : le temps de reconstruction est conséquent. « C’est une épreuve qui s’inscrit dans le parcours de vie, ce n’est pas l’histoire de quelques mois. On est obligé de se construire autour ». 

Reste pour les familles l’espoir de faire bouger la loi. « En tant qu’avocat, notre dernier bastion, c’est rappeler au juge qu’un enfant est concerné et qu’il risque d’être au milieu d’un conflit. Il faut revenir à l’origine du texte et accorder de l’importance au ressenti et à la parole de l’enfant », plaide Me Mathioudakis.

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