Première greffe d’utérus en France : ce que cela va changer pour les femmes
C’était une première en France : le 31 mars 2019, une greffe d’utérus avait été pratiquée à l’hôpital Foch de Suresnes (92). Une opération pour le moment réussie, comme l’a expliqué Déborah, 34 ans, celle qui a pu bénéficier de cette greffe sur France Inter, ce mardi 7 janvier 2020. Née sans utérus, elle pourra à partir du mois d’avril passer à l’étape suivante : le transfert embryonnaire.
Cinquante-deux transplantations d’utérus ont déjà été réalisées dans le monde, notamment en Suède où est né le premier bébé issu d’une telle intervention en octobre 2014. L’organe provenait d’une donneuse vivante, une amie de la famille âgée de 61 ans. En décembre 2018, un premier bébé avait également vu le jour au Brésil suite à la transplantation d’un utérus d’une donneuse décédée, preuve que la technique fonctionne.
Généralement, le don d’utérus est pratiqué entre mère et fille. « La première greffe française est également basée sur ce principe : une mère donneuse et une fille receveuse, annonce le Pr Jean-Marc Ayoubi, chef du service de gynécologie, obstétrique et médecine de la reproduction de l’hôpital Foch, à Suresnes. Vingt patientes candidates ont été sélectionnées sur plus de cent dossiers examinés ». L’équipe du Pr Ayoubi a reçu l’autorisation de pratiquer huit greffes au titre d’essais cliniques, puis ses résultats seront évalués avant qu’il puisse en effectuer d’autres.
Le CHU de Limoges a aussi reçu le feu vert des autorités pour des implantations d’utérus provenant de patientes en état de mort cérébrale. Une autre équipe travaille également sur ce type de greffe dessus à Rennes.
Quelles femmes peuvent en bénéficier ?
« La greffe d’utérus est le plus grand progrès en gynécologie depuis l’apparition de la fécondation in vitro (FIV)« , estime le Pr Mats Brännström, qui dirige le département d’obstétrique de l’Université de Göteborg (Suède) où 15 transplantations d’utérus ont été réalisées. Mais toutes les femmes infertiles ne pourront pas y recourir. Seules celles souffrant d’infertilité utérine sont éligibles, surtout les femmes atteintes du syndrome de Rokitansky (MRKH, pour Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser).
Cette maladie congénitale, qui touche une femme sur 4500, se caractérise par l’absence totale ou partielle du vagin et de l’utérus. Elle est souvent diagnostiquée à l’adolescence, lorsque les règles ne viennent pas alors que la pilosité et la poitrine se sont développées normalement. Pour permettre aux femmes d’avoir des rapports sexuels avec pénétration, leur vagin peut être agrandi à l’aide de dilatateurs ou par intervention chirurgicale. Mais sans utérus, il leur était jusqu’à présent impossible de porter un enfant.
En France, plus de 2000 femmes pourraient être concernées
Les femmes ayant subi une ablation de l’utérus après un cancer ou une hémorragie de la délivrance pourraient aussi bénéficier d’un transfert d’utérus. Rien qu’en Europe, près de 200 000 jeunes femmes seraient au total concernées, dont plus de 2000 en France.
Quels sont les risques d’une telle intervention ?
Transférer un utérus réclame un savoir-faire minutieux car cet organe est richement vascularisé. Sa capacité à accueillir un embryon et à développer un placenta ne doit pas être altérée. « L’intervention est longue et très complexe en raison du risque d’hémorragie ou de thrombose« , explique le Pr Jean-Marc Ayoubi. Il faut prélever l’organe sans faire courir de risque à la donneuse, puis le transférer à la receveuse et relier tous les vaisseaux utérins du greffon à son système sanguin.
Lors d’un don entre mère et fille, le succès est au rendez-vous dans 85% des cas
Quand cela est possible, l’utérus est ensuite connecté au vagin. Réalisée de manière traditionnelle, l’intervention peut prendre de 12 à 15 heures : jusqu’à 10 heures pour le prélèvement et 5 pour l’implantation. « Mais grâce à la chirurgie robotisée que nous avons développée avec l’équipe suédoise, nous avons gagné 5 à 6 heures », souligne le Pr Ayoubi. Le robot, piloté à distance par le chirurgien, est en effet d’une grande précision, ce qui rend l’intervention moins invasive et réduit les risques pour la donneuse.
L’opération est considérée comme réussie lorsque des règles surviennent dans les six mois qui suivent. Lors d’un don entre mère et fille, le succès est au rendez-vous dans 85% des cas, selon le Pr Brännström. Mais pour que la receveuse ne rejette pas la greffe, elle doit prendre des médicaments immunosuppresseurs afin de museler son système immunitaire. Seules les transplantations entre sœurs jumelles homozygotes (« vraies jumelles ») permettent de se passer de ce traitement.
Le recours à la FIV obligatoire
Les femmes atteintes de MRKH possèdent généralement des ovaires fonctionnels. Mais suite à une greffe utérine, elles ne peuvent pas tomber enceinte spontanément, dans la mesure où les trompes de Fallope ne sont pas implantées avec l’utérus. Elles se nécroseraient trop rapidement. Pour obtenir une grossesse, une fécondation in vitro reste donc incontournable.
L’accouchement se déroule sous césarienne. « Après une ou deux grossesses, l’utérus greffé est retiré, ce qui permet aux femmes d’arrêter le traitement immunosuppresseur », précise le Pr Jean-Marc Ayoubi. Ce dernier ne pose pas de problème pour l’enfant à naître mais, lorsqu’il est pris à long terme, il augmente le risque de cancer chez la mère, notamment de lymphomes.
La fin d’une inégalité ?
Pour les femmes sans utérus qui désirent un enfant, il n’existe hormis la greffe aucune autre solution que l’adoption ou le recours à la gestation pour autrui (GPA), interdite en France. « La transplantation n’est pas une alternative à la GPA, affirme le Pr Ayoubi. Cela permet aux femmes non seulement de concevoir, mais aussi de porter et de mettre au monde leur enfant ».
L’avènement de la greffe utérine ouvre ainsi la voie vers plus d’égalité entre les femmes, qu’elles soient nées avec ou sans utérus. Une avancée majeure dans la mesure où la société juge encore beaucoup la gent féminine sur sa capacité à procréer. Mais des questions inévitables se posent sur le plan éthique.
Réparer une injustice de la nature
L’utérus n’est pas un organe comme les autres. Il est chargé d’une valeur symbolique forte. Comme le remarque un rapport de l’Académie des sciences de 2015, « cette greffe n’est pas vitale ». Elle n’est pas destinée à assurer la survie, mais à donner la vie, alors que le prélèvement n’est pas dénué de risques pour la donneuse. Sa principale vertu est de réparer une injustice de la nature, source de souffrance psychologique.
Il faudra veiller à ce que les donneuses vivantes soient réellement consentantes et acceptent en toute connaissance de cause
Si la technique se généralise, il faudra veiller à ce que les donneuses vivantes soient réellement consentantes et acceptent en toute connaissance de cause. Quand une mère donne son utérus à sa fille atteinte de MRKH, elle atténue son sentiment de culpabilité de l’avoir fait naître sans utérus. Dans ces conditions, comment lui refuser ? Mais la relation mère-fille peut devenir ensuite compliquée. Après un tel cadeau, difficile de ne pas lui accorder le droit de s’immiscer dans l’éducation de l’enfant.
Et que ressentira cet enfant lorsqu’il apprendra qu’il est venu au monde grâce à l’utérus de sa grand-mère ? Le problème est moins épineux pour les transplantations post mortem avec donneuse anonyme, mais trouver un greffon compatible est extrêmement difficile, ce qui réduit les chances de devenir mère. Un renoncement pas toujours facile.
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