Pourquoi se réfugie-t-on dans le passé, lorsque l’on est confiné.es ?

« Avec ma fille, on s’évade avec les Harry Potter », raconte Pauline. « Moi, je me suis refait tous les Friends« , ricane Camille, la trentaine comme Caroline, qui passe ses soirées à soupirer devant ses photos d’enfance en écoutant Lynda Lemay. Eva a recontacté ses ex sur Facebook.

Quant à Capucine, elle a mis sa tribu en mode cinéclub. Au programme : La boum, Indiana Jones, tous les Jacques Demy, des comédies musicales et tout ce qui lui rappelle ce temps où les smartphones n’existaient pas plus que les masques ou les attestations de déplacement.

Régresser face à la pandémie

Netflix se frotte les mains, qui reprogramme le so kitsch Dawson. Chez Spotify, on a observé en 2020 l’entrée dans le top 15 de la playlist « Années 80 », des écoutes doublées pour Téléphone et Michel Berger, et même un x 3 pour l’ami Cabrel. C’est clair, une tempête « bon vieux temps » s’est abattue sur nos foyers confinés et peine à quitter depuis nos horizons pour le moins bouchés.

Un mouvement régressif qui n’a pas échappé à Vincent Grégoire, chasseur de tendances chez Nelly Rodi. « Le climat actuel a accentué une perte de repères débutée dans les années 80, où l’on a cessé de fantasmer notre futur en mode science-fiction. Aujourd’hui plus que jamais, on veut se rattacher à des choses qui nous rassurent, qu’on connaît déjà, qu’il s’agisse d’odeurs, de couleurs, de matières ou de personnalités. »

Résultat : un paysage mode et culturel 2021 en total-look Retour vers le futur. Les superstars du moment s’appellent De Gaulle ou Mario Bros, on fond pour le macramé, les fleurs séchées et les cordons de lunettes, TF1 reprogramme les vieux De Funès, Jacquemus et Jean Imbert ne quittent plus leurs mamies, on passe sa vie en cuisine à mitonner des choux farcis, le Web s’émeut des « sheep cats », ces chats de mémères anachroniques, et la cocotte Le Creuset est l’ultime objet du désir.

Des shoots de nostalgie bénéfiques

Et si, au-delà d’un attrait pour le bon vieux temps, cette convergence vers un passé commun témoignait surtout d’une volonté de nous retrouver quels que soient nos âges ?

« Il y a un choc des générations qui a été accentué par la Covid, avec d’un côté les boomers, à risque, qui se pensent toujours punk, et de l’autre les plus jeunes, vrais transgressifs mais fascinés par cette époque sans Internet qu’ils n’ont pas connue », analyse Vincent Grégoire.

Ruminer un passé agréable est très positif. En faisant appel à nos expériences passées, on mobilise nos aptitudes à la résilience

Aussi se réconcilie-t-on autour d’un passé bienveillant et concret, loin d’une virtualisation devenue source d’angoisse. Mais est-ce à dire que pour survivre dans le présent, nous voilà condamné·es à errer dans ce décor vintage de carton-pâte comme Daniel Auteuil dans La Belle Époque, perdu dans le fantasme de sa jeunesse envolée ?

Pas du tout, selon le professeur Michel Joyeux (2), pour qui ces shoots de nostalgie sont au contraire conseillés en temps de crise. « Ruminer un passé agréable est très positif. En faisant appel à nos expériences passées, on mobilise nos aptitudes à la résilience. Ne culpabilisez pas et autorisez-vous votre petit quart d’heure de nostalgie quotidien. Ça protège du pessimisme et c’est bon pour la renaissance ! »

Un avis confirmé par la plupart des études actuelles, qui mettent à mal la mauvaise réputation originelle de la nostalgie, autrefois considérée comme une dangereuse et incurable pathologie mentale. Ouf, vous pouvez reprendre votre cycle Jacques Villeret.

1. « Les tendances des réseaux sociaux en 2021 », Talkwalker. 2. Auteur de Les 4 temps de la renaissance, éd. JC Lattès, 19,90 euros

Cet article a été initialement publié dans le n°821 de Marie Claire, daté de février 2021

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