Pourquoi l'éviction de Clarisse Crémer du Vendée Globe est-elle symptomatique du sexisme qui oppresse les championnes-mères ?
- L’affaire Clarisse Cremer : un bébé et un sponsor qui refuse de se mouiller
- Un règlement non adapté à la maternité des sportives de haut-niveau
- Vagues d’indignation dans le monde du sport féminin
“Force est de constater que les règles choisies par le Vendée Globe interdisent à une femme d’avoir un enfant ». C’est dans un long post Instagram daté du 2 février 2023 que la navigatrice Clarisse Cremer a réagi à son éviction du Vendée Globe 2024, lâchée sans ménagement par son sponsor Banque Populaire, avec qui elle collaborait depuis 2019.
Au coeur de cette affaire qui fait couler beaucoup d’encre depuis ce jeudi : la question trop souvent éludée de la maternité des sportives. Et plus précisément, celle des navigatrices qui voient leur congé maternité se transformer en pénalité professionnelle, faute d’aménagement des règlements.
L’affaire Clarisse Cremer : un bébé et un sponsor qui refuse de se mouiller
“Alors que rien ne m’y obligeait, j’avais informé mon sponsor Banque Populaire dès février 2021 de mon projet d’enfant. Ils m’ont tout de même choisie pour ce nouveau Vendée Globe et ont communiqué sur notre engagement mutuel à l’automne 2021”, écrit Clarisse Cremer en introduction de son post Instagram.
https://www.instagram.com/p/CoKHEkhrxid/
Sauf que deux ans et un bébé plus tard, les choses sont bien différentes. Alors que la navigatrice, qui a donné naissance à sa fille en novembre 2022, terminait sa rééducation post-partum avant de revenir à la compétition, son sponsor a décidé de la remplacer à la barre de l’Imoca Banque Populaire XII.
J’ai bien sûr pris du retard face aux autres concurrents au départ, cette maternité m’ayant empêchée d’être présente sur les courses qualificatives pendant un an.
Ayant pris du retard sur son cumul de miles du fait de sa grossesse et de son congé maternité, Clarisse Cremer est “sous le choc” de cette décision. “Les règles du Vendée Globe pour l’édition 2024 imposent à tous les skippers une concurrence basée sur le nombre de milles parcourus en course. Sur ce critère, j’ai bien sûr pris du retard face aux autres concurrents au départ, cette maternité m’ayant empêchée d’être présente sur les courses qualificatives pendant un an. Aujourd’hui Banque Populaire décide que cela représente pour eux un “risque” qu’ils ne souhaitent finalement pas courir”, écrit celle qui détient le record de la femme la plus rapide de tous les Vendée Globe.
Et d’ajouter que son sponsor ne souhaite pas “laisser le destin choisir à [sa] place”. ”Ils sont prêts à assumer le risque d’un trimaran géant, et tous les aléas naturels, techniques et humains liés à la course au large, mais visiblement pas celui de la maternité”, assène-t-elle, assurant qu’elle a le temps, selon elle, de revenir aux minimas requis au départ de la grande course au large.
Un règlement non adapté à la maternité des sportives de haut-niveau
De leur côté, les dirigeants de la Team Banque Populaire ont tenu à réagir lors d’une conférence de presse convoquée rapidement ce même jeudi 2 février 2023. “On est dans une situation très complexe en termes d’émotion. On a essayé de trouver beaucoup de solutions avec elle pour convaincre le Vendée Globe, trouver des solutions réglementaires mais on n’a pas été entendu. On n’a rien à reprocher à Clarisse. C’est déchirant pour nous…”, ont ainsi déclaré Laurent Buffard, directeur de la communication, Thierry Bouvard, directeur du sponsoring, et Ronan Lucas, directeur du Team Banque Populaire, en préambule de la rencontre, comme le rapporte Ouest-France.
“Déterminé à prendre le départ de la course à ses côtés en 2024, plusieurs solutions ont été proposées par le Team Banque Populaire à l’organisateur pour que le règlement prenne en compte la situation des femmes dans le Vendée Globe et la question de la maternité”, précise par ailleurs le communiqué.
Mais l’organisation de la course n’entend pas porter toute la responsabilité de l’affaire, et a donc, à son tour, publié un communiqué après l’annonce de l’éviction de la navigatrice.
“Face à une course de plus en plus attractive, l’Organisation a dû faire évoluer son règlement pour l’édition 2024. À la demande générale de le publier très tôt, il a été dévoilé dès le mois d’octobre 2021 afin d’apporter la plus grande visibilité sur les règles de participation à tous les prétendants et leurs sponsors, à plus de 3 ans du départ. Cette demande était tout à fait légitime, le processus de qualification et de sélection se déroulant sur 4 ans”, peut-on y lire. “Afin de préserver l’équité envers l’ensemble des prétendants au prochain Vendée Globe, l’Organisation de la course ne peut en aucun cas se permettre de changer les règles, alors que le processus de sélection était déjà engagé”, précise l’institution, rappelant par ailleurs que pour l’heure, aucun.e skippeur.euse ne peut être assuré de sa participation à l’édition 2024 [du fait du système de cumul des miles, ndlr].
“C’est violent, je suis dans l’incompréhension totale”, a estimé Clarisse Cremer auprès du Parisien, expliquant être désormais “sans projet et sans salaire”. Alain Leboeuf, patron de l’organisation avait reconnu il y a plusieurs mois “être devant un cas d’école”, et avait promis une réflexion pour modifier le règlement, mais seulement à partir de l’édition 2028.
Vagues d’indignation dans le monde du sport féminin
Outre la situation personnelle de l’athlète Clarisse Cremer qui émeut les amoureux.ses des courses au large et les amateurs.rices des records, cette affaire met en lumière une fois de plus la non prise en compte de la maternité des sportives dans le monde professionnel. “Comme souvent, un règlement non genré, c’est un règlement conçu et adapté pour les hommes. En réalité, il est genré, il est masculin. Et tout le monde trouve normal que les femmes s’y conforment. On leur demande de s’adapter, elles, pas le règlement…”, a ainsi commenté une internaute-enseignante sous le pseudonyme @LadyVal.
Comme souvent, un règlement non genré, c’est un règlement conçu et adapté pour les hommes. En réalité, il est genré, il est masculin. Et tout le monde trouve normal que les femmes s’y conforment.
De nombreuses personnalités du sport féminin se sont indigné de cette annonce à l’instar de Béatrice Barbusse, sociologue, autrice du Sexisme dans le sport (Ed. Anamosa) qui a déploré sur Twitter : “C’est le genre de décision qui me rend à la fois dingue et triste… C’est pas comme si les femmes n’attendaient pas depuis plus d’un siècle dans le #sport… non ! on peut patienter encore quelques années… Qu’ont fait les femmes pour mériter si peu de considération ?”
La ministre des Sports, Amélia Oudéa-Castéra a également réagi : “J’ai échangé avec @a_leboeuf, qui reconnaît que le règlement de la course devra impérativement évoluer pour permettre aux navigatrices de vivre sereinement leur maternité. Pour 2024, les chances de Clarisse ne sont pas éteintes”.
“Une organisation sportive qui met les femmes à l’amende et un sponsor qui se cache derrière l’organisateur pour lâcher sa championne devenue mère au lieu de rester en mer… Le sport féminin encore saqué, ça ne bouge pas”, a twitté de son côté la double championne olympique Maryse Éwanjé-Épée.
Et à la championne de judo Clarisse Agbégnenou de rétorquer à son tour : “Ainsi donc en 2023, vous continuez à creuser les inégalités F/H et sanctionnez les femmes parce qu’elles ont le ‘malheur’ de donner la vie tout en menant de front leur carrière professionnelle ?”.
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