Pourquoi le psy d'« En thérapie » a raté la cure en aimant sa patiente
- En thérapie, remake français de la série israélienne BeTipul, a été initié par Eric Toledano et Olivier Nakache.
- Elle met en scène les séances, au lendemain des attentats du 13 novembre, d’un psychanalyste qui reçoit quatre jours durant un patient différent, avant le vendredi, de se rendre lui-même chez sa thérapeute.
- En thérapie montre avec beaucoup d’intelligence les états émotionnels inconscients qui naissent dans le cadre de l’analyse, à savoir le transfert et le contre-transfert.
Les psys ne sont pas des machines et l’excellente série En thérapie diffusée depuis le 4 février sur
Arte, le montre bien. Elle met en scène des séances en temps presque réel d’un psychanalyste, Philippe Dayan (Frédéric Pierrot), qui reçoit un patient par jour dans son cabinet du 11e arrondissement de Paris avant de se rendre lui-même chez sa contrôleure Esther (Carole Bouquet). Tout au long de ces 35 épisodes, on le voit se débattre avec son humanité faite de doutes et de sentiments mêlés pour certains patients. Le visage de l’humain fait peu à peu oublier le masque du psychanalyste pour faire émerger la réalité du processus thérapeutique.
Evidemment, la série prend quelques libertés avec la réalité d’une vraie séance pour garder le spectateur en haleine. Il est rare de voir des psys aussi interventionnistes en séance ou des patients se montrer aussi agressifs avec leur thérapeute. De même, les analysants apportent rarement autant de matière à leur analyste. Mais En thérapie a le mérite de décrire avec beaucoup de réalisme le ping-pong émotionnel qui se met en place entre le patient et son thérapeute. Car, ce qui se joue dans le cadre de la cure, c’est toujours la « relation transféro-contre-transférielle », à savoir le
transfert de l’analysant et le
contre-transfert de l’analyste. Des termes savants pour parler des sentiments qui traversent à la fois le psy et son patient.
« On éprouve forcément des choses en écoutant ses patients »
Le transfert le plus spectaculaire est évidemment celui d’Ariane (Mélanie Thierry). La jeune chirurgienne déclare sa flamme à Philippe Dayan après avoir vécu de plein fouet l’attentat au Bataclan. « Le transfert est un processus, en principe inconscient, au cours duquel des sentiments ou des désirs sont projetés sur le thérapeute, explique Françoise Hirsch, psychologue clinicienne, cofondatrice de HirschBarfety Conseil, une agence de conseil en psychologie des personnages. Dans le travail analytique, on projette sur l’analyste sentiments, désirs ou émotions, mise en scène de souffrances antérieures indénouables. Installé à la place de personnes qui ont compté dans notre vie, cela provoque cet amour dit de transfert. »
Le cas d’Ariane met en lumière le rôle central de l’analyste dans la vie d’un patient. Elle est prise dans une dépendance vis-à-vis de Philippe Dayan qui se laisse dépasser. Pris dans sa propre histoire qui résonne dans la relation avec Ariane, il résiste à l’analyse d’Esther. « Le contre-transfert, c’est la façon de répondre du transfert du patient, insiste Corinne Ehrenberg, psychanalyste. On ne répond pas « au » transfert, mais on répond « du » transfert. On éprouve forcément des choses en écoutant ses patients, à charge pour nous d’en faire quelque chose pour le bien de la cure et du processus analytique ».
Toutes les réactions affectives de l’analyste envers son patient relèvent de ce phénomène. Il ne se limite pas à des sentiments amoureux. Loin de là. Il peut prendre des formes variées, comme l’ennui, la somnolence, l’agacement, le dévouement… On le voit d’ailleurs s’inviter dans la plupart des séances de Philippe Dayan. Il surgit à travers son agacement incontrôlable pour le couple formé par Damien (Pio Marmaï) et Léonora (Clémence Poésy), à travers son trouble devant les indiscrétions du policier de la BRI Adel Chibane (Reda Kateb) et, évidemment à travers son attraction pour Ariane.
Des séances de contrôle peu crédibles
« Il arrive que le psy s’endorme ou perde le fil », décrit Françoise Hirsch. Au thérapeute d’analyser cette sensation : qu’est-ce qui fait que le psy s’ennuie ; pourquoi le patient cherche-t-il à l’ennuyer ? Philippe Dayan, au contraire, reste collé à ce qu’Ariane lui déclare. « Elle est jolie, intelligente et, à un moment donné, il est complètement débordé par ses émotions », note la psychologue clinicienne. Pire, il sort de son rôle en s’asseyant sur le divan à côté d’elle (et plus si affinités). Il a eu pourtant un bon réflexe en retournant voir sa contrôleure.
« Esther essaye d’aider Philippe Dayan à décoder ses réponses au transfert d’Ariane et à comprendre les affects qui circulent entre lui et sa patiente », précise Françoise Hirsch. Mais pour Corinne Ehrenberg, les séances de contrôle sont assez peu crédibles. « Les auteurs ont bien compliqué la chose. Non seulement sa superviseuse était une de ses amies, mais elle était mariée avec leur maître à tous les deux, note-t-elle. Ils sont comme frères et sœurs sauf qu’elle était en couple avec son père, si on fait du maître une espèce de représentation de l’image paternelle. ».
A l’origine, le contrôleur concerne plutôt les psychanalystes en formation. Ils suivent des séances de supervision en parallèle à leur pratique mais par la suite, il n’y a plus d’obligation. « Il n’est pas rare qu’après trente ans d’exercice, on appelle un ami pour parler d’un cas qui nous met en difficulté, confie Corinne Ehrenberg. Il est très important de s’entendre parler pour élaborer ce qu’on éprouve dans son travail d’analyste ». Mais il arrive que le thérapeute soit dépassé par ses émotions, positives comme négatives, comme Philippe Dayan.
Une transgression
« J’ai du mal à travailler avec certains patients, reconnaît Françoise Hirsch. Plutôt que d’entretenir un contre-transfert qui va compliquer la relation, il vaut mieux adresser le patient à quelqu’un d’autre ». C’est aussi une piste envisagée par Philippe Dayan qui s’est encore soldée par un échec. Pour Françoise Hirsch, « la rencontre dans le réel ne peut s’opérer. Quelque chose tangue pour chacun d’entre eux justement parce que ce n’est pas un sentiment d’amour réel ».
En forçant le trait, on pourrait parler de sentiments incestueux. Dans un transfert, le patient projette généralement sur son psy l’une des deux figures parentales. Ariane est dans une situation d’extrême fragilité et rejoue, dans une répétition inconsciente, des événements du passé. De façon caricaturale, on pourrait dire que Philippe Dayan prend le rôle du père et, en envisageant de répondre favorablement à la proposition d’Ariane, il franchit une limite. « C’est une transgression, on pourrait dire un abus de transfert », admet Corinne Ehrenberg. Finalement, En thérapie est presque un cas pratique de toutes les erreurs à ne pas commettre en analyse.
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