Pourquoi la ménopause est-elle (souvent) représentée de façon dégradante ?

En mai 2014, la chaîne de télévision France 2 diffusait un téléfilm intitulé Un si joli mensonge dont le scénario mettait en scène une femme ménopausée, incarnée par l’actrice Corinne Touzet, face au désir d’enfant de son nouveau compagnon. Quelques temps après la diffusion du téléfilm, l’actrice expliquait dans un magazine : « Que ce soit clair, je ne suis pas ménopausée ! J’avoue que voir en titre dans la presse sur internet ‘Corinne Touzet ménopausée’ était un raccourci assez violent ».

Les propos de l’actrice illustrent le fait que la physiologie est loin d’être neutre : elle met en jeu des significations et des représentations sociales. Dans notre société, on peut ainsi conjuguer ménopause et violence.

Une perception qui diffère selon les sociétés

Comme le soulignent certains travaux en anthropologie, la notion de « ménopause » n’est pas universelle : dans le Japon traditionnel, étudié par Margaret Lock, et chez les Mayas, rencontrés par Yewoubdar Beyene au Mexique, aucun terme ne recouvre la définition de la ménopause telle qu’elle existe en Occident. Beyene rapporte que les femmes mayas montrent une grande incompréhension à aborder un processus qui, à leurs yeux, n’est pas spécifiquement chargé de significations.

Pour les Japonaises rencontrées par Lock, la ménopause est intégrée dans le processus de vieillissement plus large : elles prêtent attention à l’arrêt des règles et de la fertilité ni plus ni moins qu’au blanchiment des cheveux ou à la baisse de la vue. Elles ne conçoivent pas cette cessation comme une période de déséquilibre particulier, mais comme une partie du processus normal de vieillissement. Celui-ci n’est d’ailleurs pas l’objet d’une distinction particulière entre les sexes : le terme qui englobe ce processus de vieillissement, « konenki », est utilisé aussi bien pour parler du vieillissement des femmes que des hommes.

Dans d’autres sociétés dites « traditionnelles », un statut différent est conféré aux femmes menstruées et fécondes et à celles qui n’ont plus de règles et sont stériles. Ainsi, chez les Baruyas de Nouvelle-Guinée, pour qui les menstruations constituent un flux dangereux, l’autorité des femmes grandit à partir de la ménopause, comme le montre les travaux de Maurice Godelier. Les femmes ménopausées acquièrent des libertés de parole et d’action que les femmes en âge de procréer n’ont pas : elles peuvent, par exemple, endosser un rôle politique.

Chez les Beti au Cameroun, l’ethnologue Jeanne-Françoise Vincent observe que la ménopause marque l’accès à un nouveau statut social qui valorise les femmes et leur permet de devenir les égales des hommes. Au contraire, la soumission est vécue par les femmes qui sont en période de menstruation, notamment en matière sexuelle. Le rôle de cheffe au sein des sociétés secrètes des femmes ne peut ainsi être endossé que par une femme ménopausée. Ce rôle fait de celle qui l’assume un personnage éminent, doté de responsabilités fortes et d’un pouvoir réel. Dans ces sociétés patriarcales, les représentations associées à cette transformation physiologique ont pour effet de desserrer l’étau de la domination masculine et de modifier les catégories des représentations du féminin et du masculin.

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Une histoire liée à celle du genre

Loin de n’être qu’un processus biologique, la ménopause est bien aussi l’objet de représentations sociales qui diffèrent selon les sociétés. Elle est également une notion qui a une histoire. Ainsi, la catégorie médicale « ménopause » a connu des transformations au gré de l’évolution des savoirs sur le corps. Avant le XIXe siècle, le terme « ménopause » n’existe pas. Dans les traités de médecine, on parle de la « cessation des menstrues » jusqu’au 18e siècle, moment à partir duquel apparaît le terme d' »âge critique ».

En 1816, dans un ouvrage intitulé Avis aux femmes qui entrent dans l’âge critique, le médecin français Charles de Gardanne fait usage du terme menespausis afin d’évoquer cette période. Ce terme souligne la cessation flux menstruel : il est formé sur le grec mêniaia « menstrues », de mêne « mois » et pausis « fin, cessation ». Dans la deuxième édition de l’ouvrage en 1821, il adopte le terme « ménopause » qu’il utilise dans le titre : De la ménopause ou de l’âge critique des femmes.

L’émergence de la catégorie « ménopause » s’inscrit dans le contexte particulier d’affermissement de la bicatégorisation des sexes dans la manière de penser le corps, dont le processus émerge à la fin du 18e comme l’ont montré les travaux de Thomas Laqueur. Auparavant, c’est un modèle unisexe qui prévaut. Pendant de longs siècles, la femme est perçue comme une version moindre de l’homme – et non son opposé – qui dispose d’un corps presque identique, à une différence près : les organes génitaux diffèrent sont à l’intérieur chez les femmes, et à l’extérieur chez les hommes. Dès la fin du 18e siècle, le corps et ses fluides deviennent les principes d’une distinction entre les deux sexes.

C’est dans ce contexte de « fabrique du sexe » que naît la ménopause, quand la catégorisation binaire accède à une place dominante dans la pensée. C’est ce contexte qui fait émerger cette biologie proprement féminine, classée du côté du déséquilibre et hiérarchisée par rapport à la biologie masculine.

La théorie des humeurs

Au 19e siècle, la théorie des humeurs, héritée de la médecine hippocratique, sert alors à expliquer le fonctionnement du corps humain. Dans ce cadre, la ménopause est pensée comme le résultat d’un manque de force pour expulser le sang des règles, dû au vieillissement. Les médecins conseillent aux femmes des saignées ou l’apposition de sangsues pour évacuer cette pléthore sanguine.

Car c’est à un cortège de pathologies qu’elles doivent faire face : « Les maladies qui affligent les femmes à l’âge critique sont si nombreuses », explique De Gardanne avant d’énumérer un cortège de maux tels que : « fièvres, inflammations (de la peau, de l’oeil, de la bouche, des amygdales), maladies des articulations, ulcères, furoncles, ophtalmies, angines, pharyngites, hémorroïdes, ulcères de l’utérus, cancer de l’utérus, tumeurs aux mamelles, polypes de la matrice et du vagin, apoplexie sanguine, vomissements de sang, douleurs de tête, hépatite, calculs biliaires, prurit des parties génitales, inflammation de la matrice, rhumatisme, épilepsie, hystérie, paralysie ». Dans les ouvrages médicaux, la ménopause apparaît dès lors comme un bouleversement délétère, une pathologie infinie.

Au tournant du 20e siècle, la théorie hormonale prend le pas sur celle des humeurs et la médecine va définir la ménopause comme une carence hormonale. Dans le contexte occidental, la ménopause devient peu à peu l’objet d’un processus de médicalisation. Le gynécologue américain Robert A. Wilson soutient au cours des années 1960 que la ménopause est une pathologie due à une carence en hormones au même titre que le diabète et le dysfonctionnement de la thyroïde.

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