Post-partum en temps de Covid : la solitude décuplée des mères
- Isolement extrême des parents et absence de suivi
- L’apprentissage de l’allaitement, dégât collatéral majeur
- Le spectre de l’infection
- Des ambiances familiales délétères
- Une détresse toujours aussi forte
Refus du père en salle de naissance, port du masque pendant le travail… Lors du pic de la crise de la Covid-19, les futures mères ont été contraintes à vivre un accouchement « pas comme les autres ». Malheureusement, pour la plupart d’entre elles, l’épreuve était vouée à se prolonger bien après le retour de maternité. Une réalité toujours d’actualité.
« Les difficultés des unes et des autres ont fluctué au gré des restrictions sanitaires et des éclairages scientifiques », souligne Anne Evrard, co-présidente du Ciane. Dès le printemps 2020, le collectif constitué d’associations françaises spécialisées dans la périnatalité met en place une ligne d’écoute gratuite. Le standard est pris d’assaut. Préoccupations majeures des femmes, une fois rentrées chez elles : la possible transmission du virus mère-enfant ou d’éventuelles séquelles chez le bébé en cas d’infection lors de la grossesse.
Isolement extrême des parents et absence de suivi
Du côté de Maman Blues, association œuvrant à atténuer la difficulté maternelle, on souligne le sentiment d’isolement généré par le premier confinement. « Il a augmenté de manière exponentielle les difficultés classiques rencontrées par les femmes pendant cette période délicate », explique Elise Marcende, présidente de Maman Blues. « Les femmes ont été dans l’impossibilité de recevoir leurs proches pour leur présenter le bébé ou pour bénéficier d’un relai. Et lorsque le compagnon était en télétravail, il n’était pas disponible pour aider », illustre-t-elle.
Ce repli sur soi imposé n’a fait que corser le fameux « quatrième trimestre de grossesse », selon l’expression d’Anna Roy et Caroline Michel dans leur livre La vie rêvée du postpartum (Éditions Larousse)*. Durant cette période à fort impact émotionnel, l’incidence de dépression post-partum est évaluée à 15%. Sans parler du versant médical ! « Les femmes qui avaient un suivi à domicile ne l’avaient plus ; celles censées en entamer un, ne l’ont pas fait, imaginant que ce n’était plus possible », déplore Anne Evrard. « C’est dommage, avec le Ciane, nous avions mis en place très tôt un fichier des professionnels de santé qui consultaient en distanciel. »
Les femmes qui avaient un suivi à domicile ne l’avaient plus ; celles censées en entamer un, ne l’ont pas fait, imaginant que ce n’était plus possible.
L’apprentissage de l’allaitement, dégât collatéral majeur
Autre facteur aggravant : les maternités ont misé sur des sorties précoces – à 72 heures – pour limiter les risques de contamination. « Les mamans avaient l’impression d’être jetées puis isolées, après avoir été malmenées à l’accouchement, sans leurs proches », analyse Patricia Curtet. À cette époque, la sage-femme libérale met un point d’honneur à poursuivre les visites à domicile dans un contexte où les centres de Protection maternelle infantile (PMI) sont fermées d’office. « J’ai souvent retrouvé mes patientes scotchées devant les chaînes d’information en continu ; bien loin d’une sérénité propice au maternage, décrit-elle. Des allaitements ont été mis en échec par ce stress intense. »
Emmanuelle n’oubliera sans doute jamais son baby-blues à huis-clos, dans l’appartement de 30 mètres carrés, avec son compagnon en télétravail. « J’ai eu la chance d’accoucher deux semaines avant le premier confinement mais je me suis ensuite retrouvée seule face à mes doutes. Une fois effectuée la visite de contrôle chez le pédiatre, il me restait Internet pour l’info et ma mère au téléphone pour le soutien », partage la trentenaire. « J’ai eu un mal fou à installer l’allaitement ; si j’avais pu aller à la PMI plus souvent, cela aurait été moins angoissant. J’étais aussi en panique à cause des difficultés d’approvisionnements, nous avons donc acheté du lait en poudre en avance. »
À partir de mi-avril 2020, nous avons reçu de plus en plus d’appels liés à des dépressions postnatales.
« Les sages-femmes libérales se sont très bien organisées pendant le premier confinement, ce qui a atténué l’onde de choc », précise Anne Evrard. Les infirmières des PMI – qui ont très vite rouverts -, sont passées aussi à domicile en postnatal, notamment auprès des primipares, des mères très jeunes ou celles en difficulté. « Mais côté corps médical, c’était très difficile car l’information scientifique variait beaucoup. Sans compter le manque de matériel au départ », remarque Anne Evrard.
Face à l’ampleur de la crise, on a assisté à une auto-censure de la part des nouvelles mères. « Les premiers temps, elles ne se sont pas autorisées à le dire, mais à partir de mi-avril 2020, nous avons reçu de plus en plus d’appels liés à des dépressions postnatales. Celles-ci se manifestant bien plus tôt que d’habitude, se remémore Elise Marcende. Généralement, les nouvelles mamans appellent trois ou quatre mois après la naissance. Avec le confinement, elles se sont manifestées entre la sixième et la huitième semaine, soit au pic du postpartum. »
Le spectre de l’infection
Point commun entre toutes : la peur de l’infection, de soi et des proches.
Pour Margaux, qui fait le choix de se confiner dans sa résidence secondaire avec sa tribu, il s’agit d’élaborer en catastrophe un plan B en vue de son accouchement. « Mon bébé est arrivé le 25 avril dans une clinique inconnue de Caen. Je suis sortie 48 heures après, pour fuir une ambiance stressante et un personnel médical qui avait du mal à se fournir en équipements de protection », se souvient la maman de 34 ans. Afin de ne pas contaminer le reste de la famille, elle trouve une sage-femme qui accepte de la recevoir en cabinet et non à domicile.
« J’ai emmené mon bébé une seule fois chez le pédiatre. Etant donné qu’il allait bien – pour mon troisième enfant, j’avais les repères -, j’ai zappé les autres visites par peur qu’il attrape la Covid. Le rapport bénéfice-risque a été vite calculé », admet-elle.
Selon Patricia Curtet, les personnes issues d’un milieu favorisé ont géré bon gré mal gré « l’anarchie covidienne », contrairement aux publics des PMI, socialement plus fragiles. Plusieurs associations ont mis en place des lignes d’appels pour répondre aux personnes en souffrance. « Quand le monde de la périnatalité n’est pas disponible, on peut toujours joindre son généraliste ou son pharmacien », pointe Anne Evrard. Des réflexes encore peu installés au sein de la population.
J’ai emmené mon bébé une seule fois chez le pédiatre.
Conscient de la situation, le Ministère des Solidarités et de la Santé soutient alors le projet de recherche Cov-Mum pour « mesurer l’impact émotionnel de la séparation dont sont victimes les patientes, accouchées dans la période de confinement ». Il leur a été proposé deux entretiens téléphoniques menés par une psychologue à une dizaine de jours du post-partum, puis à 6-8 semaines. Au menu des échanges : les conditions du retour à domicile, le vécu de l’accouchement, le lien mère-enfant, ou encore les relations avec le conjoint.
Des ambiances familiales délétères
Si, à la sortie du premier confinement, le fonctionnement des maternités et des services de gynécologie obstétrique publics ou privés en reviennent à ce qu’ils doivent être, l’état de stress chronique demeure, ou s’aggrave, selon les fluctuations du virus. Pour Patrica Curtet, le sentiment de solitude s’atténue mais la prudence reste la règle. Les grands-parents ne veulent pas visiter les nouvelles mères… ou n’y sont pas conviés. Les partis pris des uns et des autres génèrent de fortes tensions dans des couples déjà à bout.
« Après l’accalmie de l’été 2020, l’arrivée de la deuxième vague a remis un coup de pression », confirme Anne Evrard. « Paniqués à l’idée de contaminer leur compagne ou leur bébé, les pères nous appelaient pendant leur trajet travail-domicile pour ne pas inquiéter leur moitié. » Nouvelle donne du second confinement : les écoles sont restées ouvertes. La question de la transmission de la Covid par les enfants passent en tête dans les appels pour les familles avec fratrie, surtout quand l’un d’eux fréquente la maternelle. « En marge du sentiment de solitude, l’absence de parole scientifique ferme a fait beaucoup de dégâts », relève Anne Evrard.
Paniqués à l’idée de contaminer leur compagne ou leur bébé, les pères nous appelaient pendant leur trajet travail-domicile pour ne pas inquiéter leur moitié.
Au standard de Maman Blues, les appels se multiplient mais raccourcissent (cinq à dix minutes), en écho aux poussées d’angoisse. « D’habitude, nous avons des discussions longues, liées aux suites d’ accouchements traumatiques par exemple. Là, les gens avaient besoin d’entendre en urgence un interlocuteur, la tension retombant très vite sitôt des explications claires et factuelles reçues », témoigne Elise Marcende.
Une détresse toujours aussi forte
Depuis la fin 2020, l’association Maman Blues assiste à une forte hausse des demandes : des personnes en difficultés latentes qui n’avaient pas encore franchi le pas. « Sur Instagram, de janvier à mars 2021, nous avons reçu 60 messages privés ; soit bien plus que ce qu’on observe d’habitude », explique Elise Marcende, qui relève le même emballement sur Facebook, la messagerie générale de l’association, ou encore du côté des référentes locales. « La crise a laissé des traces, des inquiétudes audibles sur notre hotline. L’incertitude autour des annonces possibles du gouvernement accentue le phénomène », interprète la présidente.
Selon elle, il faudra porter attention, ces prochains mois, aux couples victimes d’angoisses particulièrement intenses au cours de la grossesse. Des craintes souvent liés à la peur de l’infection, au changement brutal d’organisation familiale. La charge émotionnelle ne se révèle parfois pas sur le coup. « On entend la lassitude ; les gens ont moins de ressources pour faire face, ils continuent à appeler avec des demandes simples », remarque Anne Evrard.
Si une certaine continuité a été instaurée depuis l’été 2020, les sorties précoces se poursuivent. Les sages-femmes libérales essayent de travailler en concertation avec les hôpitaux. « Cette crise a révélé à quel point nous souffrons du manque de communication avec le milieu hospitalier », dit Patricia Curtet. La professionnelle met en avant l’absence de compte-rendu de l’accouchement qui nuit au suivi à domicile.
Dans ce grand flou périnatal, elle souligne toutefois une bonne nouvelle : accélérée par le contexte sanitaire, la loi qui recommande la désignation d’une sage-femme référente vient d’être votée à l’Assemblée nationale et devrait être débattue incessamment au Sénat. « Cette mesure permettrait de suivre chaque future mère de sa préparation à la naissance jusqu’au post-partum », résume-t-elle.
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