Pierre Cardin : itinéraire d'un créateur de légende | Vogue Paris

Le premier, il a conquis la Chine, l’Inde et le Japon avec des vêtements extravagants en avance sur leur temps. Pierre Cardin est le dernier survivant des couturiers du XXème, siècle. Un documentaire rend hommage à ce phare de la création française, un mystère flamboyant qui a sculpté une mode pour dandy à la séduction virile et cosmique.

Alors que le couturier français nous quittait le 29 décembre 2020, hommage à son génie et au documentaire de P. David Ebersole et Todd Hughes qui lui est consacré, retour sur sa carrière explosive que Loïc Prigent décryptait dans le dernier numéro de Vogue Hommes automne-hiver 2020-2021 sorti le 18 septembre dernier.

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De prime abord, il y a un paradoxe entre l'iconographie folle de l'oeuvre de Pierre Cardin et son apparence tranquille. C'est un monsieur aux cheveux blancs né en 1922, voûté, que l'on apercevait encore récemment aux défilés de Jean Paul Gaultier. Quand on le croise, il parait escorté par des collaborateurs qui le protègent comme une sainte relique et on pourrait penser qu'il est fragile. Mais quand on l'approche, le voilà riant, trinquant au champagne, articulé comme un comptable au rapport, espiègle comme un gamin, sûr de lui comme un baron. Pierre Cardin est toujours Pierre Cardin, a la hauteur de sa mode, qui a été, est et sera ébouriffante.

Sardonique, le survivant des couturiers du XXème siècle n'est pas tendre avec ses chers collègues disparus : “Yves Saint Laurent, c'est l'élégance mais pas la création”, “Coco Chanel, c'est un seul vêtement"… Et la pire des pires : “Karl Lagerfeld ? Je ne connais pas son travail". Oui, Pierre Cardin pourrait donner des cours de vacheries à Mariah Carey. Et c'est vrai qu'il balance les aphorismes mode à la mitraillette : “Je ne tiens pas à imiter les autres mais à être imité”. C'est un fou de travail que le travail a conservé pendant des décennies, intact, vif.

© Archives Pierre Cardin

“La géométrie est essentielle pour moi, elle est sans doute ce qui définit mon travail". En effet, des panoplies extraterrestres, des chapeaux circonflexes, des robes satellites, des manches d'exclamation géantes, des torses d'hommes transformés en triangles, des robes à cerceau pour des bals spatiaux, carnaval à Cap Canaveral. Des chasubles qui se portent bras écartés pour bien montrer l'ampleur textile. Des visages barrés de lunettes de soleil computer flippantes, des tenues de gala pour fêter l'an 3000 à Pompéi, des volumes qui cherchent toujours l'inédit. Des vêtements qui sentent l'intérieur d'une DS neuve orange garée devant le Cnit sur le parvis de La Défense.

L'homme de Pierre Cardin est un mystère flamboyant. Le marquis de Galactica. Un dandy cosmos. Il porte les vêtements des Trente Glorieuses qui ne savent pas encore qu'elles ne seront que trente. “C'est peut-être délicat à porter mais ça se portera facilement dans quinze ou vingt ans, tempère-t-il à la fin de ses défilés, mais il y a du portable parce qu'il faut également penser aux clients et à ce qu'ils vont mettre immédiatement". Ses vêtements pour homme sont des performances. Des pantalons argent, des cibles pop, des cravates parce que oui, les cravates Pierre Cardin continuent leur présence. “Ce ne sont pas des choses simples, ce sont des choses très pures”.

© Reg Lancaster/Getty Images

L'homme a le sens de la formule : “J'ai choisi d'avoir des rêves immenses pour ne pas les perdre de vue”. En 1992, il devient le premier couturier académicien, folie furieuse. “Je ne m'y attendais pas, et voilà Pierre Cardin, couturier !”, lâche-t-il laconique, parlant de lui à la troisième personne. Et le voilà en 2016, qui défile sur du Jean-Michel Jarre dans l'Académie pour ses soixante-dix ans de création. On note dans le public quelques académiciens que certaines de ces audaces réveillent dans une bonne humeur. Pas fou, il décline les fameuses broderies de feuilles vertes de l'uniforme officiel de l'Académie française sur ses tenues pour dames. Capitaine de sa propres industrie, Pierre Cardin a pressenti l'importance du prêt-à-porter une bonne décennie avant ses collègues, dès le milieu des années 1950. Il a fait la couverture de Time torse nu, entouré de ses produis dérivés et de sa signature à la cursive optimiste. Couturier investisseur, il achète en collectionneur des totems de l'immobilier libertin : le parlais de Casanova à Venise, le château de Sade à Lacoste, et le restaurant Maxim's, rue Royale, qu'il décline à travers le monde précurseur d'un Starbucks Art Nouveau.

“J'aurais pu être sculpteur. Je cherche toujours une idée qui choque, qui provoque, qui étonne”

Dans les images d'archives en noir et blanc, Pierre Cardin découpe avec d'énormes ciseaux, il se met à genoux au sol pour dessiner à toute allure des bouts de patronages. On le sent déchaîné, sûr de son talent, ambitieux, rapide, un torrent d'idées impossible à contredire. “J'aurais pu être sculpteur si je n'avais pas été couturier. Je cherche toujours une idée qui choque, qui provoque, qui étonne". Avec l'ego en or massif de ceux qui n'ont plus les moyens de feindre la modestie : “Je ne voulais pas être le second, je voulais être le premier”.

Celui qui a commencé tailleur à Vichy dans les très mauvaises années s'est rattrapé une modernité en habillant les Beatles, en posant des zips sur les vestes de costumes. Il a cousu des strings sur les pantalons d'hommes. Il a fait défiler des hommes en sous-vêtements bien avant la calvinkleinisation des corps masculins. Pierre Cardin amène de façon tonitruante une séduction virile cosmique. Il sort des salons snobs de la couture pour parler à la rue, et avec un mégaphone.

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Poussez les portes du Palais Bulles de Pierre Cardin

Perché sur les hauteurs de Théoule-sur-Mer face à la baie de Cannes, le Palais Bulles, rosi par le soleil du Sud, subjugue par ses courbes organiques à la fois féminines et futuristes. Erigé en 1984 par Pierre Bernard avec la complicité de l’architecte Antti Lovag, ce superbe lieu aux mille hublots, acquis par le couturier Pierre Cardin, en 1992, accueille festivités et défilés. L’occasion d’une visite guidée, sous tous les angles, de cette villa unique au monde.

Après la Seconde Guerre mondiale, Cardin a l'énergie de ceux qui veulent réussir. Il collabore avec Christian Bérard sur les costumes de la Belle et la Bête de Cocteau en 1946, habillant Jean Marais en prince bling recouvert de cristaux. Il enchaîne les jobs chez Paquin, Schiaparelli, Dior, si bien qu'il a participé au lancement du New Look avec Christian Dior. Mais le voilà viré injustement de la maison Dior, ce qui lui rendra le service de lancer sa propre maison à partir de 1950.

Dans les années 1980,  la publicité “Pierre Cardin Pour Monsieur” est un sommet de testostérone, le film ressemble à une préface furieuse d'American Psycho : des hommes en smokings et des femmes en robes rouges se roulent des pelles dans la rue, un homme d'affaires est assailli par des reporters à la sortie de sa berline et, surtout, le bouchon du flacon explose et le jus du parfum éjacule sur fond noir pendant qu'une chanteuse hurle “Pierre Caaaaardinnn”. Toute résistance est inutile. Le monde entier se lève et fonce acheter Pour Monsieur.

© Archives Pierre Cardin

Pierre Cardin est l'un des phares de la création française, démonstration que l'étoile des marques de mode peut briller longtemps après son apparition, et dans des contrées très lointaines. Ses premiers contacts avec la Chine populaire datent de la fin des années 1970, il défilé à Pékin dès 1979. “J'ai vu un peuple travailleur. J'ai vu un milliard d'individus et je me suis dit : si je gagne un dollar par habitant, je gagne un milliard par jour”, dit-il plaisamment. Le voilà à la conquête de l'Inde, du Japon, qu'il va engloutir sous des milliers de produits Pierre Cardin. Il a prédit la mondialisation. En 2018, cinquante ans après son premier voyage, il défile sur la muraille de Chine. “Créer, mais pour le peuple, pour un maximum de gens !”. Il signe tellement de centaines de licences Pierre Cardin qu'il est plus simple de lister les produits qu'il ne fait pas : les crics de pneu, les kayaks et les avions. Ah non, pardon, il a fait des avions Cardin.

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“Pierre Cardin”, documentaire de P. David Ebersole et Todd Hughes

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