Photo, sculpture, tableaux… Avec Singulart, Véra Kempf transforme l'achat d'art en ligne
La fille à suivre. – À 31 ans, Véra Kempf est la cofondatrice de Singulart, une galerie d’art en ligne. D’abord regardée comme un ovni peu crédible, la startup, accompagnée par l’accélérateur de Google, s’est imposée en quatre ans sur un marché mondial. La recette ? Un regard neuf sur le marché et un appétit vorace pour la Tech.
Au commencement était Robert Capa, André Friedmann de son vrai nom, et la passion qu’il inspire à une jeune fille, Véra Kempf. À 31 ans aujourd’hui, la cofondatrice de Singulart, voue toujours un culte à ce célèbre photographe hongrois, connu pour ses reportages de guerre et pour l’agence Magnum, qu’il a cofondée. Sa passion la poussera même, étudiante, à se spécialiser sur l’Europe centrale et à apprendre le hongrois. «Ses images me touchent beaucoup, mais il a surtout une vie fascinante», souffle-t-elle.
Robert Capa n’aurait peut-être jamais été connu sans le génie de sa compagne, Gerda Taro, photographe talentueuse mais longtemps connue pour son seul rôle d’architecte de la légende Capa. C’est elle qui lui invente un pseudonyme et une histoire, bluffe auprès des agences de presse, le représente et fait son succès. «Elle lui a permis de vivre de son talent, en somme. J’aime à dire que c’est ce que nous faisons aujourd’hui», avance Véra Kempf.
Galerie d’art sans frontières
Sur Singulart, la galerie en ligne qu’elle a cofondé en 2017, Véra Kempf représente des peintres, dessinateurs, sculpteurs et photographes du monde entier, dont elle achemine les œuvres d’un bout à l’autre de la planète. «On sélectionne des artistes déjà reconnus localement, on les aide à fixer leurs prix et on les vend à l’international.» Marketing, référencement, logistique… Singulart s’occupe de tout. Derrière le site, décliné en dix langues, se cache une équipe de cent personnes de 25 nationalités différentes, dont la plupart sont polyglottes. Environ 60 œuvres y sont achetées chaque jour, pour un panier moyen de 2000€. «Avant qu’on se lance, le marché n’était pas du tout organisé pour qu’un Américain achète l’œuvre d’un peintre russe, sauf à un certain niveau, grâce aux foires internationales ou aux galeries renommées, explique Véra Kempf. Les artistes ne pouvaient vivre de leur art que sur un marché local et les collectionneurs, très demandeurs de nouveautés, étaient privés de nombreuses œuvres.»
À 23 ans, diplômée en relations internationales, Véra Kempf part au Congo-Brazzaville. Là-bas, elle côtoie des entrepreneurs pour la première fois. «Fille de deux profs, issue d’un milieu 100% service public, j’ai compris qu’on pouvait monter une entreprise avec un autre but que gagner de l’argent, mais qu’un business model sain était gage de liberté», résume-t-elle. De retour en France, elle est chargée par un entrepreneur de développer un projet de pâtisserie, Carré Paris. Pendant plus d’un an, elle apprend sur le tas, touche à toutes les façettes de l’entrepreneuriat, conçoit un chou à la crème cubique – «je me suis éclatée» – et, surtout, organise des week-ends entre startupeurs de la restauration. C’est là qu’elle rencontre le serial entrepreneur Denis Fayolle, derrière l’application La Fourchette ou l’e-shop de bricolage Mano Mano. Tous deux recrutent Brice Lecompte et le trio créé Singulart en 2017.
Outsider à succès
Dans le milieu de l’art, l’aventure fait d’abord grincer les dents. Inconnue des galeristes et des curateurs, sans diplôme d’histoire de l’art, Véra Kempf passe pour une amateure, marchande d’art de seconde zone. Qu’importe : son obsession, c’est que «ses» artistes puissent gagner leur vie. «On a pris le contrepied d’un certain élitisme, qui voudrait absolument que les artistes explorent des concepts ou des techniques pointues, explique-t-elle. Ce qui compte, pour nous, c’est l’émotion et la rencontre avec l’œuvre.»
Cette stature d’outsider explique en partie son succès, aux yeux de François Bracq, à la tête des partenariats innovants chez Google, qui accompagne Singulart depuis plus de trois ans. «Au départ, on n’y croyait pas, reconnaît-il d’emblée. Avant eux, beaucoup se sont cassés les dents sur ce créneau parce qu’ils venaient du monde de l’art et en avaient les réflexes, pas toujours adaptés à la vente en ligne. Mais Singulart applique les leviers du e-commerce à son marché, non l’inverse, c’est ce qui fait sa force.» Véra Kempf porte l’amour de l’art, la vision et la mission – aider les artistes à vivre de leur travail – et son acolyte Brice Lecompte, venu de la Tech, la maîtrise de la data et du web marketing.
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2020, année de l’hypercroissance
Quel marché ouvrir ? Dans quel pays investir ? Comment proposer la meilleure œuvre au meilleur client potentiel ? À quels critères – délai de livraison, gratuité du transport… – sont sensibles les Américains, les Russes ou les Chinois ? Épaulés par Google, les équipes de Singulart analysent leurs données avec le plus de finesse possible et tendent vers un service hyper-personnalisé. «On voit peu de startups aussi agiles et innovantes, assure Othmane Benzair, du programme Startup de Google. Le e-commerce, c’est de la Tech avant tout. Singulart l’a très bien compris, tout en ayant conscience qu’ils devaient connaître les codes du marché de l’art.»
Après une première levée de fonds d’1,5 millions d’euros en 2019, la startup a levé 10 millions en mai 2020. Soit au moment où, face aux restrictions sanitaires, le e-commerce explosait. «Notre volume d’affaires a doublé de mars à avril, ça a été très violent, confie Véra Kempf, on a dû ouvrir beaucoup de recrutements.» Une phase d’accélération pour la startup, qui ambitionne maintenant de créer des communautés locales pour réunir les artistes de Singulart et d’investir le second marché, c’est-à-dire les ventes d’œuvres non pas d’artiste à acheteur, mais entre collectionneurs. Une étape de plus pour une startup déjà solide. «Je pense sincèrement que ça n’est que le début de l’histoire», estime François Bracq, de Google. Une histoire que Véra Kempf reprendra dans quelques mois, le temps d’accueillir son enfant à naître.
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