Pensions alimentaires : ce que change la réforme pour lutter contre les impayés
À Tours, Emeline, 41 ans s’est récemment séparée de son mari dont elle a eu deux filles et un garçon de 12, 10 et 3 ans. Leur père a un droit de visite et hébergement classique, un week end sur deux et la moitié des vacances. Mais jusqu’à la mise en œuvre de la réforme des pensions alimentaires, ce 1er janvier 2021, Emeline désespérait de voir un jour son ex payer la pension due à ses enfants.
« Le Juge aux affaires familiales (JAF) avait fixé la pension à 100 euros pour chaque enfant. Mais mon ex paye de manière très irrégulière, voire pas du tout. Son excuse : « Je n’ai pas d’argent, j’ai trop de problèmes à résoudre en priorité ». Il n’a surtout pas d’argent pour ses enfants… Pourtant, il travaille ! En réalité, il ne paye pas parce qu’il s’imagine que la pension, je vais la dépenser pour moi toute seule. Alors que je dois habiller et chausser les enfants, payer la crèche, la cantine avec mon seul salaire d’assistante de vie… »
Tous les mois, Emeline se forçait donc à appeler son ex pour réclamer la pension, en vain. Des échanges pénibles : « Ca dégénérait en reproches et injures contre moi. » Elle avait bien pensé à faire appel à un huissier, mais y avait renoncé, faute de ressources suffisantes pour payer les honoraires. »
Tous les mois, Emeline se forçait donc à appeler son ex pour réclamer la pension, en vain. Des échanges pénibles : « Ca dégénérait en reproches et injures contre moi. »
C’était l’une des promesses de la sortie de crise des gilets jaunes. Sur les ronds points, il y avait en effet beaucoup de mères monoparentales, qui attendent tous les mois une pension alimentaire pour leurs enfants. Le 5 janvier dernier, Emmanuel Macron s’est rendu à la CAF de Tours, pour présenter la réforme des pensions alimentaires. Grâce au nouveau dispositif, plus aucun parent divorcé, séparé, concubins compris, ne devrait subir d’impayés de la part de son ex.
La CAF comme intermédiaire financière pour le paiement de la pension
Depuis le 1er janvier, avant même un conflit, un contentieux sur la pension, chaque parent (un seul suffit) peut donc demander à la Caisse d’allocations familiales (CAF) de servir d’intermédiaire pour le paiement de la pension. L’idée est d’agir en amont, pour prévenir les impayés. 900 000 à un million de parents bénéficient d’une pension alimentaire. Mais en réalité, 30 à 40 % des pensions ne sont pas payées, soit 350 000 familles lésées.
Les Québécois ont adopté l’intermédiation, il y a déjà 25 ans. Et ils sont passés de 40% à 4% d’impayés ! « La réforme des pensions participe à la stratégie de lutte contre la pauvreté, explique une source proche de l’Elysée. Ce n’est pas seulement un enjeu financier, c’est au cœur de l’exercice de la parentalité. Car payer la pension, c’est aussi exercer son rôle de parent, et on ne peut pas s’en dédouaner sous prétexte qu’il n’y a plus de vie conjugale. » La limite : un ex qui vit à l’étranger, dans un pays non européen, et non lié à la France par une convention. Il ne pourra pas être poursuivi par la CAF. Et pour le parent créancier, reste à dénicher un bon avocat spécialisé en droit international de la famille.
900 000 à un million de parents bénéficient d’une pension alimentaire. Mais en réalité, 30 à 40 % des pensions ne sont pas payées.
Avec la réforme de la pension alimentaire, le cauchemar des impayés est déjà derrière Emeline. Son ex lui, n’a pas encore digéré le changement : « Il m’a envoyé un SMS rageur : « Pourquoi t’as appelé la CAF ?! ». Eh non, je n’ai pas appelé la CAF, c’est la réforme ! »
Une réforme qui permet aux mères d’être sûres que le père va bien verser la pension alimentaire
Elisabeth Malis, directrice de la CAF Touraine : « La médiation de la CAF permet aux mères menacées d’éviter de faire connaître leurs nouvelles coordonnées bancaires et domiciliaires »
« Le recouvrement des pensions alimentaires, est quelque chose que les CAF font déjà depuis des années. C’est-à-dire que quand un parent nous signale que son ex-conjoint ne paye pas la pension alimentaire due, on a la capacité juridique de saisir une partie de son salaire, non pas sur son compte en banque mais auprès de son employeur. C’est ce qu’on appelle une OTD, une opposition à tiers détenteur.
Ce qui est vraiment nouveau dans cette réforme, c’est ce que l’on appelle d’un nom un peu complexe, « l’intermédiation financière ». Depuis le 1er janvier, nous les CAF et aussi la MSA (Mutualité sociale agricole) qui gère la Sécurité sociale des salariés et des exploitants agricoles, nous pouvons jouer le rôle d’intermédiaire financier entre les deux parents. Concrètement, à la demande de l’un d’eux, créancier ou débiteur (pas besoin de l’accord de l’autre), on reçoit chaque mois le paiement du parent débiteur, et on le reverse au parent créancier, essentiellement des mamans, dans 85% des cas.
Désormais, quand un couple se séparera, les jugements seront automatiquement transmis par la justice à la CAF.
Maintenant, un parent, créancier ou débiteur de la pension, peut donc dire : « Eh bien moi, je n’ai plus du tout envie d’avoir des relations financières avec mon ex ». C’est la CAF qui va jouer ce rôle. Et désormais, quand un couple se séparera, les jugements seront automatiquement transmis par la justice à la CAF. Les parents n’ont rien à faire. C’est la CAF qui ira demander le RIB ou l’autorisation de prélèvement. Et si les parents étaient déjà séparés avant le 1er janvier 2021, l’un ou l‘autre parent pourra faire la demande de médiation financière sur le site pension-alimentaire.caf.fr
Cette réforme permet aux mères d’être sûres que le père va bien verser la pension alimentaire, qu’elles n’auront pas à la réclamer, parce que le paiement donne lieu à des chantages affectifs, des menaces. La médiation de la CAF sécurise en particulier les mères victimes de violences conjugales en leur évitant d’avoir à faire connaître leurs nouvelles coordonnées bancaires et domiciliaires à leur ex-conjoint.
Mais pour les payeurs, c’est également intéressant : payer par l’intermédiaire de la CAF, c’est une preuve de versement. Ce qui se passe si le débiteur devient totalement insolvable ? Si le parent séparé est seul, on va lui verser une allocation de soutien familial (ASF), soit 116, 22 euros par enfant et par mois. Et dans ce cas, nous nous chargeons de recouvrer le solde. Ainsi en 2020, nous avons récupéré à peu près 70% des impayés de pensions alimentaires. »
Rétablir l’équilibre des forces entres les ex-époux
Carole Pascarel, avocate au Barreau de Paris et Médiateur national de consommation des avocats : « Quand une femme porte plainte pour abandon de famille, la procédure est très longue, parce que les tribunaux sont engorgés »
« Dans mes dossiers, je rencontre bien sûr des mauvais payeurs en raison de réelles difficultés financières. Mais les plus nombreux se trouvent dans les familles où il y a eu de la violence physique, psychologique. Ne pas payer la pension, c’est une manière de continuer la violence mois près mois, de garder une emprise sur l’ex, de faire pression. Le message classique : « Je ne paierai pas tant que je ne verrai pas mes enfants quand je veux. » Des pères se créent exprès des charges : ils achètent un appartement, affirment avoir une dépense exceptionnelle, alors que les gens qui gagnent leur vie ont toujours une petite réserve, des économies. Et après ils prétendent qu’ils n’ont plus les moyens de payer la pension. Sauf qu’elle est prioritaire, juste après les impôts. Même s’il faut vendre un bien pour payer sa pension.
Ne pas payer la pension, c’est une manière de continuer la violence mois près mois, de garder une emprise sur l’ex, de faire pression.
Ce que dit la loi : le non-paiement d’une pension pendant plus de deux mois peut faire l’objet de poursuites pour abandon de famille, un délit passible de 2 ans de prison et 15 000 € d’amende. La procédure contre l’ex est possible dès le premier mois d’impayé. Or quand le mauvais payeur sent bien que s’il ne paye pas la pension, son ex ne portera pas plainte contre lui, souvent eh bien il ne paye pas. Cette réforme rétablit un équilibre des forces.
La justice n’est pas impuissante. Il y a des condamnations pour abandon de famille. Et même des condamnations à de la prison ferme, quand il y a eu des récidives d’impayés. Mais en pratique, quand une femme porte plainte pour abandon de famille, la procédure est très longue, parce que les tribunaux sont engorgés. Et je constate que les mauvais payeurs ne sont pas toujours renvoyés en correctionnelle au premier impayé, mais plutôt au bout d’un certain nombre de signalements.
Le non-paiement d’une pension pendant plus de deux mois peut faire l’objet de poursuites pour abandon de famille, un délit passible de 2 ans de prison et 15 000 € d’amende.
Les couples qui fixent la pension à l’amiable sans passer par le juge peuvent aussi passer par l’intermédiation de la CAF si l’un des deux le réclame. Parce qu’on peut être d’accord sur le montant de la pension au moment de la séparation, et plus du tout quelques mois ou années plus tard. S’il y a un message à faire passer, c’est que quand les parents sont d’accord sur la pension alimentaire, ils peuvent signer tout de suite une convention parentale, sous seing-privé, avec l’aide d’un.e avocat.e par exemple, et la faire homologuer par le Juge aux affaires familiales. C’est du temps de gagné.
La fin des conflits ? Non, Il y aura encore des tensions au moment de la demande de l’un ou l’autre de réviser la pension à la hausse ou à la baisse en fonction des besoins de l’enfant. Par exemple, un étudiant qui fait des études supérieures coûte plus cher qu’un enfant à l’école élémentaire. Dans ce cas, il faut retourner devant le juge et demander une réévaluation de la pension si ça n’a pas été prévu à l’origine. »
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