« Oui, mon pote est gay » : une campagne de com’ « sans mesures concrètes »
Sur les réseaux sociaux, la dernière campagne de lutte contre les discriminations LGBT+ fait l’objet de critiques et de détournements. Pour mieux comprendre les objectifs de l’initiative et les maladresses évoquées, nous avons interrogé Santé publique France et la fédération Inter-LGBT.
Depuis quelques jours, les affiches de la dernière campagne contre les discriminations et violences subies par les personnes LGBT+ s’exposent dans l’espace public. On peut y voir des personnes tout sourire, prenant dans leurs bras un proche gay, lesbienne ou trans. Réalisée par Santé publique France, en partenariat avec le ministère de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances et la Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBT (DILCRAH), cette action de communication vise à favoriser une meilleure acceptation des minorités sexuelles au sein de la société. Une action saluée par un grand nombre de personnes. Mais certains ont également pointé du doigt quelques maladresses.
Manque de visibilité des personnes LGBT+
Sur Twitter, des internautes ont réagi en soulignant les impairs de ces nouvelles affiches aux abords des arrêts de bus. Parmi les commentaires qui reviennent le plus souvent, nombreux sont ceux qui déplorent le manque de visibilité des personnes LGBT+. En effet, lorsqu’on regarde les différentes affiches créées pour la campagne « Face à l’intolérance, à nous de faire la différence », un aspect saute aux yeux : toutes les personnes LGBT+ sont de dos tandis que les personnes cis et hétéros sont mises en valeur.
Vu cette campagne dans une gare auj. Ce qui me gêne un peu c’est que la personne LGBT+ n’a pas de visage et ne s’exprime pas. La personne au centre de l’affiche (photo+texte) est celle qui ne subit pas la discrimination (a priori). C’est donc pour elle que c’est dur à porter? https://t.co/AxtulxMuv4
Je remarque aussi que quand on parle d’homophobie et de ses effets, là je visage des LGBT est clairement visible mais jamais celui de leurs agresseurs. A contrario pour une campagne qui se veut « positive » ce sont les hétéros qui sont représentés.
Sollicitée, Lucile Bluzat, chargée d’expertise en marketing social dans l’unité santé sexuelle de Santé publique France nous explique qu’il s’agit d’un parti-pris puisque le but de cette campagne était d’interpeller l’entourage des personnes LGBT+. « Très souvent au cours d’un dîner, lorsqu’une personne tient un discours homophobe, la plupart des gens n’adhérent pas à ce propos mais préfèrent changer de sujet. Ils ne prennent pas la parole pour dire qu’ils ne sont pas d’accord. Or, c’est important, car une personne LGBT+ témoin de cette scène n’a parfois aucun moyen de savoir si les personnes autour d’elles l’acceptent », détaille-t-elle. C’est pour cette raison que Santé publique France a choisi de mettre l’entourage des personnes LGBT+ au premier plan. « L’idée, c’était d’inciter les proches à montrer leur soutien et à le dire. C’est pour ça que ce sont eux que l’on voit au centre des affiches. C’était vraiment pour mettre un coup de projecteur sur le fait que ces personnes ont un rôle à jouer. »
La parole des premiers concernés mise en sourdine
Les slogans « Oui, mon pote est gay », « Oui, ma fille est lesbienne », ou encore « Oui, ma petite-fille est trans » qui accompagnent les visuels, ont également été commentés. Des internautes y ont vu un discours paternaliste et une confiscation de la parole des premiers concernés, similaire au slogan de SOS Racisme : « Touche pas à mon pote ». « Le problème c’est que comme le slogan « Touche pas à mon pote » à l’époque, la personne concernée n’est pas en charge du discours et on est obligé de passer par un tiers non discriminé pour être entendu », explique un internaute.
Je rêve où le gouvernement nous fait « Touche pas a mon pote » contre l’homophobie ?? pic.twitter.com/M1QCysEnCv
Le problème c’est que comme le slogan « touche pas à mon pote » à l’époque, la personne concernée n’est pas en charge du discours et on est obligé de passé par un tiers non discriminé pour être entendu.
Une campagne paternaliste et faussement bienveillante. Tolérer une personne, c’est estimer qu’on lui fait une fleur mais qu’elle ne le mérite pas. Les LGBT n’ont pas à être tolérés en tant que sous-citoyen-ne-s mais acceptés comme citoyen-ne-s à part entière ! https://t.co/QBTI5lVl3I
« J’ai du mal à voir les parallèles entre nos slogans et celui de SOS Racisme, confie Lucile Bluzat. Ils n’ont pas la même portée. Celui de SOS Racisme mettait les personnes dans une position de défense. Ici, il s’agit d’accueil. L’affiche “Oui, ma fille est lesbienne”, démontre l’acceptation et la fierté d’un père, après le coming-out de sa fille par exemple. Et puis, je ne pense pas que montrer son amour pour un proche soit paternaliste. » Elle indique également que là encore, l’objectif était de mettre en lumière le rôle des personnes cis et hétéros. « Ce sont certaines d’entre elles qui sont à l’origine des discriminations et des violences à l’égard des personnes LGBT+. C’est à elles de changer leurs comportements ou d’empêcher les discriminations. On ne peut pas faire porter aux victimes la responsabilité de s’en sortir », insiste-t-elle.
Pour Matthieu Gatipon-Bachette, président de l‘Association Couleurs Gaies et porte-parole de l’Inter LGBT, l’idée renvoyée par ces affiches selon laquelle il y aurait quelque chose à tolérer pose problème. « Les personnes LGBT+ ne veulent pas être tolérées ! » Il regrette aussi que la campagne soit réalisée par Santé publique France. « Ça nous aurait semblé plus pertinent que cette campagne soit portée uniquement par le ministère de l’Égalité et la DILCRAH. Si on cantonne les sujets liés aux personnes LGBT+ au spectre de la santé, c’est problématique. Surtout quand on essaie de développer un argumentaire sur les thérapies de conversion où l’on dit qu’il n’y a rien à guérir », reproche-t-il.
Des affiches testées auprès du plusieurs publics avant leur sortie
Sceptiques sur les affiches créées à l’occasion de cette campagne, des internautes se sont demandés si des associations avaient été consultées. « Oui, répond Lucile Bluzat. Pour toutes nos campagnes, on travaille avec des comités d’appui composés à la fois d’associations et de personnes qualifiées comme des universitaires, des chercheurs et des professionnels de santé. »
Pour cette campagne, elle indique également que Santé publique France a testé les affiches en amont de leur sortie, auprès du grand public et des personnes LGBT+. « On a aussi réalisé des entretiens individuels avec des personnes trans parce que c’était la première fois qu’on prenait la parole à propos de ce public », précise Lucile Bluzat.
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Une communication pour cacher un bilan peu réjouissant ?
En dépit des maladresses soulignées par certains, le porte-parole de l’Inter LGBT n’a pas envie de « tirer à boulets rouges sur cette campagne ». « Certes, il y a des maladresses, mais personne n’est parfait et ça reste de belles images, qui essaient de susciter une forme d’émotion et d’empathie », décrypte Matthieu Gatipon-Bachette.
Au-delà de ces affiches, il soulève une réflexion importante : « la force d’une campagne de communication, c’est de s’appuyer sur un bilan. Or, après quatre ans de mandat, le bilan du gouvernement sur les questions LGBT+ n’est pas très bon. Le ministère de l’Égalité est plein de bonne volonté, mais il manque de moyens. On n’a toujours pas accès à la PMA, il y a encore beaucoup à faire sur la question de l’acceptation des personnes trans et l’aboutissement de la proposition de loi en matière d’interdiction des thérapies de conversions n’est toujours pas inscrite à l’ordre du jour. Cette communication aurait gagné en force si derrière, on était sur une vraie volonté politique de déployer ce qui a été promis. Comme toujours, et ça se vérifie sur les sujets liés aux personnes LGBT+, les questions de communication passent avant les mesures concrètes. »
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