Opération Renaissance : grossophobe et voyeuriste, l’émission de M6 sur la chirurgie de l’obésité fait scandale
L’esclandre était à prévoir. La semaine dernière, M6 a débuté la promotion de sa nouvelle émission de télé-réalité : Opération renaissance. Démarrée ce lundi 11 janvier, elle a suivi pendant trois ans dix personnes obèses, souhaitant subir une opération de chirurgie bariatrique pour les aider à perdre du poids.
Sitôt, de nombreuses critiques se sont élevées, qualifiant le concept de l’émission de grossophobe, sous le mot-dièse #PasMaRenaissance.
Produite et présentée par Karine Le Marchand, l’animatrice balaie toutes les critiques, y compris celles sur le livre qu’elle a écrit au cours de la production de l’émission, 15 étapes pour apprendre à s’aimer. En 2017, l’annonce de la création de Opération renaissance avait déjà suscité l’inquiétude.
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#PasMaRenaissance
Les critiques élevées contre l’émission avant même sa diffusion lui reprochent notamment de présenter l’obésité comme une maladie, de la lier à une mauvaise santé inévitable, mais aussi, de promouvoir le culte de la minceur, et l’idée que les personnes obèses ne peuvent être épanouies qu’en perdant du poids.
Dans les premières images dévoilées, l’obésité est qualifiée de « maladie » ou encore de « fléau ». Elle est aussi psychologisée : « Cette émotivité-là est peut-être aussi responsable de ton obésité », spécule Karine LeMarchand face à Elody, qui a « basculé dans l’obésité morbide » « suite à une faille personnelle », résume la chaîne. L’émission semble relier directement « chiffre sur la balance » à « état de santé », alors que nombre d’études ont pourtant déjà démontré du contraire.
« Comme si on attendait de renaitre pour commencer à vivre, comme si nos vies de gros.se.s n’étaient pas suffisantes pas assez bien, comme si le seul salut passait par le story telling par la télé de nos existences », fustige Daria Marx, autrice et militante anti-grossophobie.
Une émission dépolitisée et simpliste
Ce 8 janvier, le collectif anti-grossophobie GrasPolitique a notamment rédigé une tribune dans Mediapart, soutenue par le collectif féministe #NousToutes, l’association ACT-UP Paris, la psychiatre Muriel Salmona, l’essayiste Valérie Rey-Robert, mais aussi, de nombreux soignants, dont le médecin, écrivain et chroniqueur Baptiste Beaulieu.
Tout en précisant « ne pas être opposé à la chirurgien bariatrique », GrasPolitique reproche à l’émission de M6 d’en faire de la télé-spectacle qui enjolive le processus d’amaigrissement, et de ne pas prendre en compte les inégalités systémiques auxquelles sont souvent confrontées les personnes obèses.
« Notre salut passe par l’amaigrissement, quitte à y laisser notre santé physique ou psychique : c’est la seule porte de sortie qui est mise en avant, au détriment de la prévention des violences et des inégalités, ou de la lutte contre les discriminations subies », regrette GrasPolitique. « Il ne s’agit pas de rendre l’obèse heureux·se ou en bonne santé, mais de le.la rendre mince, validé·e par les critères de beauté d’une société toujours insatisfaite. »
« Nous rappelons que la chirurgie bariatrique doit résoudre des problèmes médicaux et non pas esthétiques, et doit être réservée aux patient·e·s à la fois obèses et ayant des pathologies associées », rappelle aussi le collectif. « Les chirurgiens ne devraient tenir compte que de l’objectif santé, même si pour certaines personnes la demande est ailleurs – ce que l’on peut comprendre, tant les injonctions à l’amaigrissement sont pressantes et omniprésentes. »
GrasPolitique critique également « les conflits d’intérêts éthiques et financiers manifestes qui concernent les chirurgien·ne·s, les intervenant·e·s ou la présentatrice de l’émission ».
Le collectif a aussi lancé une pétition pour empêcher la diffusion de Opération renaissance. En quelques jours, elle a recueilli plus de 22.000 signatures.
Une « abomination »
Des militantes anti-grossophobie ont été nombreuses à prendre la parole. Stéphanie Zwicky, blogueuse et influenceuse mode, grosse, a ainsi qualifié Opération Renaissance d' »abomination ».
Dans une story Instagram, la Lyonnaise explique : « Ce qui me dérange, c’est que l’obésité ne soit traitée que dans le cadre de l’opération. Je suis passée par là, je me suis fait opérer quand j’avais 23 ans. J’ai cru que c’était l’opération qui allait changer ma vie. C’est l’opération qui m’a fait plonger dans un trou noir. Je pense que l’on ne se rend pas compte à quel point cette émission va faire du mal. L’obésité est une maladie tellement complexe. Je trouve ça dégoûtant de la prendre sous cet axe-là. »
« C’est un contenu abominable », a également estimé Juliette Katz, actrice et influenceuse grosse connue sous le nom Coucou les girls, qui a d’ailleurs joué dans le premier téléfilm français traitant de la grossophobie, en 2019.
Karine Le Marchand se défend
« Je n’ai strictement rien à me reprocher », soutient de son côté Karine Le Marchand, qui affirme aussi ne pas avoir « honte » de vendre son livre, « qui peut être utile au-delà de la perte de poids ».
« Je vais d’hallucination en hallucination avec Mme Lemarchand, son livre « 15 étapes pour apprendre à s’aimer » (laissez moi étouffer mes rires) n’est rien d’autre que le prolongement du « protocole » Renaissance », critique de son côté Stéphanie Zwicky.
« J’ai personnellement eu des troubles de comportement alimentaire », déclare l’animatrice à l’AFP, reprise par Voici. « Donc manger trop ou pas assez est un sujet de questionnement permanent pour moi. Je me suis rendu compte qu’on connaissait peu de choses sur l’obésité. »
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