Olivier Nakache et Éric Toledano : “Oui, En Thérapie passe aussi en Allemagne, c'est le principe d'Arte, vous êtes au courant ?”

La semaine dernière, nous vous disions tout le bien que nous pensions d’En thérapie, la nouvelle série d’Arte chapeautée par Olivier Nakache et Eric Toledano. Une adaptation d’une création au départ israélienne, BeTipul, diffusée entre 2005 et 2008, et dont la déclinaison américaine avec Gabriel Byrne, In Treatment, avait compté parmi les fleurons de HBO à la fin des années 2000. Le principe est simple : montrer un psy face à ses patients, en séance. Pour cette version française, le tandem auteur d’Intouchables et du Sens de la fête (avec le regretté Jean-Pierre Bacri) a décidé de placer l’action à Paris, au lendemain des attentats du 13 novembre 2015. Un climat pour le moins plombé, qui plus est dans le cadre d’un strict huis-clos, celui du cabinet du psy, où la seule action se résume à un dialogue, parfois difficile à ouvrir. Les deux réalisateurs, que l’on connaissait jusqu’ici pour leur cinéma optimiste et dynamique, n’ont donc choisi ni la facilité ni la prévisibilité. Le risque a payé car le résultat, plus que réussi, séduit un très large public, puisque la série a conquis 7,6 millions d’internautes depuis sa mise en ligne le 28 janvier. Alors que les cinq premiers épisodes diffusés jeudi 4 février en prime-time sur Arte a réuni 1,8 million de téléspectateurs. Un score fantastique.

En décembre dernier, nous avions eu la chance de poser quelques questions à Olivier Nakache et Eric Toledano via Zoom.

Vos films sont plutôt feel-good en général, ou disons qu’ils célèbrent souvent la vie, le mouvement, le lien entre les gens. Avec En Thérapie, on vous découvre dans un registre totalement différent, intimiste, parfois sombre, voire pesant …

Eric Toledano : Si on arrive à surprendre, et à ne pas être toujours là où l’on nous attend, c’est déjà pas mal. Et puis il faut aussi voir que la comédie, comme on le dit souvent, c’est de la tristesse déguisée ! C’est une façon de maquiller la réalité, parce qu’on sait que celle-ci n’est pas toujours drôle. Mais parfois, on a envie de moins la maquiller, et c’est de cette envie dont vient En Thérapie. L’idée du projet remonte à 2013 ou 2014 : on connaissait la série israélienne à la base, déclinée dans de nombreux pays, mais Hagai Levi, le showrunner, s’étonnait du fait qu’elle n’ait été reprise ni en France ni en Allemagne, qui sont pourtant deux grands pays de psychanalyse. On avait donc commencé à y réfléchir avec Yaël Fogiel et Laetitia Gonzalez, les deux productrices des Films du poisson qui nous l’avaient proposé, mais sans lancer le projet. 

Et puis il y a eu les attentats du 13 novembre 2015 et ça a déclenché quelque chose en nous. Au-delà du choc, on avait eu le sentiment que dans le sillage de ces événements, les gens s’étaient un peu trop vite remis à vivre une vie normale. Le retour sur les terrasses, tout ça, ça nous paraissait étrange, ça donnait presque l’impression que les attentats n’avaient pas eu lieu. Les Parisiens avaient repris un quotidien habituel, où ils parlaient et bavardaient comme si de rien n’était et, comment dire, ils ne prenaient pas le temps de se taire pour écouter ce qui s’était passé, en eux et chez les autres. Et c’est là que l’importance de la thérapie nous est revenue à l’esprit : le rôle majeur du silence, de l’écoute, d’un lieu et d’un temps cadré. Le principe de la série, avec sa temporalité, son champ-contre champ, sa façon de distribuer la parole… tout ça nous a paru faire sens pendant cette période. Et voilà, c’est ressorti d’un coup, après être longtemps resté en suspens. Et d’une envie, c’est devenu une nécessité.

La série sort à un moment de notre histoire récente où il n’y a sans doute jamais eu autant de vacarme dans les médias, sur les réseaux sociaux, comme une cacophonie permanente, et là encore la pratique de la psychothérapie ou de la psychanalyse est salutaire. Parce qu’elle permet de se recentrer sur la réalité, sur ce qu’on ressent, plutôt que de simplement réagir et de donner son avis sur tel ou tel sujet qu’on ne maîtrise pas. Elle donne un ordre aux choses, un temps pour l’écoute, un temps pour la parole. Et puis cinématographiquement, ça nous intéressait aussi beaucoup parce que ça s’appuie surtout sur le champ-contrechamp, c’est-à-dire la base du cinéma, ou du moins son épure.

Mais donc la série sort au même moment en Allemagne ? (Olivier Nakache arrive à ce moment-là  dans la discussion Zoom, ndlr).

Olivier Nakache : Oui tout à fait, ça sort en version doublée en allemand.

Eric Toledano : C’est le principe d’Arte, en fait, c’est une chaîne franco-allemande, vous êtes peut-être au courant ? Hahaha.

Vous êtes bien moqueur, Eric. Parmi les scénaristes, est-ce que vous avez recruté des psys ?

ON : Aucun des auteurs n’a de formation psychanalytique ou psychothérapeutique, mais en revanche nous avons beaucoup demandé l’avis de psys professionnels. C’est indispensable pour nous d’être crédibles et réalistes, quel que soit le domaine que nous abordons, d’ailleurs. C’était déterminant de connaître les spécificités du métier en France, de mieux connaître les techniques des praticiens. Il fallait aussi être le plus clair possible sur le rapport entre le personnage de Dayan (Frédéric Pierrot), l’analyste, et sa “contrôleuse” Esther, jouée par Carole Bouquet, puisque beaucoup de gens ne savent pas qu’un psy doit lui-même se faire contrôler par un autre psy plus expérimenté.

À l’heure des plateformes et des séries qui se “bingent”, vous avez fait le choix d’un rythme beaucoup plus lent que la moyenne de ce qui sort.

ET : La version originale d’En Thérapie et sa déclinaison américaine ont été créés à une époque où Netflix n’existait pas, et ça se ressent quand on les regarde aujourd’hui. Il n’y avait pas encore cette culture du binge et on a tenu à garder cette dimension. C’est un pari, on sait que ça peut déstabiliser les spectateurs mais on se dit aussi que ça peut construire un autre rapport : on imagine par exemple que les gens s’attachent à un personnage plutôt qu’à un autre, et que s’ils vont regarder en ligne ils vont juste enchaîner les épisodes d’un seul patient. Mais on ne sait pas exactement comment ça se passer, si ce n’est que l’expérience de visionnage donne plein de possibilités différentes. On est curieux de savoir comment ça va être digéré.

Vous faites une série sur la psychanalyse tout en montrant régulièrement les failles de son fonctionnement et de ses praticiens. Mais en même temps vous n’êtes pas anti-psy, à une période où beaucoup de gens le sont et soutiennent d’autres thérapies.

ON : Ce n’est pas une ode à la psychanalyse, en effet, notamment puisqu’on voit que Dayan ne va pas très bien. Ce n’est pas une défense de la psy, mais c’est une défense de l’écoute qu’elle permet. C’est une façon de remettre la parole au premier plan, de redonner de la valeur à la parole dans un cadre précis, à une époque où on voit souvent toutes les paroles se valoir entre elles – ce qui provoque hélas l’émergence de la post-vérité et des théories complotistes. Dans la thérapie, tout ne se vaut pas, les mots comptent, et ils sont écoutés à leur juste valeur. Et cette qualité d’écoute, bah… ça coûte.

ET : Au-delà du calembour, quand on dit que l’écoute ça coûte, on veut dire que le processus d’écoute est long, qu’il est dur, mais qu’à la fin c’est ça qui fait respirer. C’est aussi pour ça qu’il y a ce rythme particulier qui, on l’espère, va permettre aux gens de respirer. Peut-être que la crise du covid a joué en notre faveur sur ce plan-là,  nous a recentrés, nous a poussés à nous écouter, à nous remettre en question. Et ça tombe bien puisque c’est tout ça qui nous intéresse dans la série, et que c’est ça qui l’anime.

Vous pilotez la série en termes de réalisation mais vous n’êtes pas derrière la caméra à chaque épisode : vous cédez parfois la place à Mathieu Vadepied, Pierre Salvadori et Nicolas Pariser.

ET : Oui, on fait ce choix pour varier les regards portés sur les patients et les relations qu’ils entretiennent avec Dayan. On s’est réparti la caméra en fonction des affinités avec les personnages. Olivier et moi, on a choisi les histoires de Mélanie Thierry et Reda Kateb, avec lequel on venait de tourner. Pierre Salvadori a voulu travailler avec la jeune Céleste Brunnquell, qui est un actrice incroyable que vous aller sans doute beaucoup revoir à l’écran dans les années qui viennent, ou avec un prix dans les mains en train de remercier des gens ! Nicolas Pariser s’est dirigé vers Carole Bouquet et Mathieu Vadepied vers le couple Clémence Poésy/Pio Marmaï. 

Un truc qui nous beaucoup a plu, c’est de pouvoir être présent sur les tournages des autres réals : on a pu les voir réaliser, ce qui est très rare, car dans notre métier on ne vient pas se regarder bosser les uns les autres, en général ! Mais là si, et c’est un esprit du collectif qu’on adore. En fait, le projet nous faisait peur au départ, avant de le tourner, mais c’était une peur assez saine, qui nous a poussés à sortir de notre zone de confort, même si on suivait des règles précises. Cette contrainte du champ-contrechamp était très forte et ça nous a remis en tête une fameuse phrase de Dreyer, le réalisateur danois, qui dit que le plus beau des paysages, c’est le visage.

Justement, en matière de cadrage, vous êtes restés assez sobres, il n’y pas pas beaucoup de gros plans par exemple.

ON : C’est vrai que nous n’avons pas abusé des gros plans, et qu’en fait nous n’avons pas abusé des effets de style en général, pour des raisons principalement liées aux contraintes techniques. Comme il s’agissait de reproduire du mieux possible une séance d’analyse, nous voulions laisser les acteurs et actrices prendre le temps qu’il leur fallait pour être justes. Ce qui fait qu’on pouvait tourner des plans de quinze minutes sans interruption. On avait donc pas du tout assez de temps pour multiplier les prises et on se mettait donc d’accord en amont sur un pré-découpage de chaque épisode. En fait, chaque plan, chaque réplique était hyper signifiant, hyper précieux en soi, les performances étaient des expériences de jeu très fortes, ça se rapprochait de ce que doivent ressentir les gens de théâtre. Nous tournions en équipes très réduites, dans des espaces eux-mêmes assez exigus, et il fallait faire le silence total à chaque prise. Eric et moi, on n’a jamais bossé au théâtre, donc c’était une découverte pour nous. Avec les techniciens, on synchronisait carrément nos respirations avant de dire moteur !

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