Meurtre du petit Grégory : l'affaire de tous les mystères !
Pour ce numéro 4000, la rédaction a souhaité revenir sur l’une des plus grandes énigmes criminelles de ces dernières années… Le 16 octobre 1984, le corps du petit garçon est retrouvé dans les eaux de la Vologne. “France Dimanche” y était et se souvient…
Seule l’affaire Dominici, dans les années 1950, aura fait couler autant d’encre que celle du « petit Grégory ». Petit rappel : le 16 octobre 1984, à Lépanges-sur-Vologne, village vosgien, on retrouve le cadavre de Grégory Villemin, dans la rivière, à six kilomètres de la maison familiale. Cet enfant de 4 ans est ligoté, son bonnet rabattu sur le visage.
Peu de temps avant, Michel Villemin, son oncle, a été prévenu au téléphone par un mystérieux « corbeau » de la tragédie à venir, avant de lui envoyer cette lettre : « J’espère que tu mourras de chagrin, le chef. Ce n’est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils. Voilà ma vengeance, pauvre con. » Il ne s’agit pas de la première missive du genre, quatre autres l’y ont précédé dans la boîte aux lettres de Jean-Marie Villemin.
La lettre initiale, remontant au 4 mars 1983, est déjà sans équivoque : « Je vous ferez votre peau à la famille Villemain [orthographe et syntaxe d’origine, ndlr]. » Aussitôt, notre grand reporter Pascal Giovannelli se rend sur les lieux. Il était prévu qu’il rentre le lendemain. Il passera plus de six mois sur le théâtre de ce crime ignoble, avant d’y revenir à d’innombrables reprises. Car bien des choses se déroulent sur cette terre dont les habitants sont avares de paroles et où les secrets de famille y sont encore mieux gardés que les dépôts d’argent plus ou moins licite dans les banques helvétiques…
Ainsi, le 5 novembre de la même année, Bernard Laroche, le cousin de Jean-Marie Villemin, père du petit Grégory, se retrouve incarcéré, à la suite du témoignage à charge de Muriel Bolle, sa jeune belle-sœur de 15 ans. Mais le 4 février 1985, la même Muriel Bolle se rétracte, déclarant avoir agi sous la contrainte familiale. « J’avais peur », affirme-t-elle alors, tandis que Bernard Laroche, remis en liberté, demeure toujours inculpé pour cet assassinat.
Un répit qui lui sera de courte durée… Le 29 mars, Jean-Marie Villemin l’abat sans autre forme de procès, avant de se constituer prisonnier. Quatre mois plus tard, le 5 juillet 1985, c’est au tour de Christine Villemin, mère du petit Grégory, d’être à son tour inculpée, écrouée, avant d’être libérée sous contrôle judiciaire. La justice prenant son temps, elle ne sera finalement jugée que le 3 février 1993, au tribunal de Dijon, l’affaire y ayant été dépaysée afin d’apaiser les tensions.
Le verdict ? Un non-lieu en l’« absence de charges ». Quant à son époux, il n’écope que de cinq ans de prison, dont un avec sursis, pour le meurtre de Bernard Laroche. France Dimanche est évidemment là pour relayer les déclarations du père justicier : « En tuant Bernard Laroche, je n’ai pas accompli un geste de courage, mais un geste de faiblesse. Je suis contre la peine de mort. Aujourd’hui, je regrette mon geste, mais à l’époque, la douleur était plus forte que la raison. En tuant Bernard Laroche, j’avais la certitude de tuer un monstre », avoue-t-il à Pascal Giovannelli.
Pascal Giovannelli et Marie-Ange Laroche – ©HAMEL Didier
De pistes en impasses…
Alors, « monstre » ou pas « monstre », ce Bernard Laroche ? À croire d’autres sources : « À ce jour, ni la culpabilité ni l’innocence de Bernard Laroche n’ont été formellement proclamées. Mais la décision de 1993 laisse clairement entendre que, du moins d’après les magistrats instructeurs qui en sont à l’origine, la “piste Laroche” initialement identifiée par les premiers gendarmes chargés de l’enquête était probablement la bonne. »
Mais dans tous ces procès, un grand absent demeure, le fameux « corbeau », celui qui, depuis le début, aurait tiré les ficelles dans l’ombre. Jusqu’à ce 16 juin 2017…
En effet, la gendarmerie nationale, pour laquelle l’affaire n’a jamais véritablement été classée, décide enfin, forte de nouveaux moyens, dont le logiciel AnaCrim, de repasser tous les éléments existants au crible d’une informatique préfigurant déjà l’actuelle intelligence artificielle.
Parmi les éléments en question, il y a des analyses graphologiques autrement plus pointues que celles qui avaient cours alors. Résultat ? Deux nouvelles gardes à vue (les premières depuis 1985), celles de Marcel Jacob et de son épouse Jacqueline, née Thuriot, respectivement grand-oncle et grand-tante paternels du petit Grégory, cette dernière étant suspectée d’être le « corbeau ». Dans la foulée, Monique Villemin, née Jacob, et belle-sœur de Jacqueline Jacob, est également entendue. Las, le 20 décembre 2017, tous sont remis en liberté.
Un nouvel échec, donc, sur lequel notre reporter Pascal Giovannelli revient à l’époque en ces colonnes : « Je suis arrivé sur place juste après l’assassinat de Bernard Laroche par Jean-Marie Villemin. […] Et déjà, les avocats, les gendarmes, mais aussi les journalistes […] s’étaient forgé une conviction quant à l’identité du coupable. […] Et lorsqu’on a une conviction, tous les éléments sont sortis de leur contexte, il n’y a plus d’objectivité. Cela crée une atmosphère délétère. » Pire, il y a l’empressement des gendarmes à trouver le coupable : « Ils ont dit qu’ils étaient capables de résoudre cette affaire. Et c’est vrai que, surtout en milieu rural, ils ont l’avantage d’être proches des gens, à leur contact, ce qui leur donne une véritable légitimité. Mais tout est allé de travers… » On ne saurait mieux dire.
Un magistrat, victime collatérale
©WOESTELANDT Jean-Claude
Dans cette ténébreuse affaire, il y a une autre victime collatérale, le juge d’instruction Jean-Michel Lambert qui, en février 1985, relâche Bernard Laroche, tout en dirigeant ses soupçons sur Christine Villemin. Et ce magistrat, alors que le logiciel AnaCrim tente de redonner un nouveau souffle à l’enquête, de se suicider, le 11 juillet 2017. Quelques jours avant l’issue fatale, il écrit ces quelques mots à un journaliste de L’Est républicain : « Ce énième “rebondissement” est infâme. Il repose sur une construction intellectuelle fondée en partie sur un logiciel. La machine à broyer s’est mise en marche pour détruire ou abîmer la vie de plusieurs innocents. »
Une fois de plus, France Dimanche est là, toujours grâce à Pascal Giovannelli, qui se souvient encore de cet homme de loi ayant fini par devenir un ami proche : « Savez-vous que le visage souriant du petit Grégory n’a jamais cessé de le hanter ? Savez-vous qu’il était lucide, plus que quiconque, sur son passé de magistrat, dans cette pénible affaire, qu’il avait tout analysé de ses responsabilités, avec sang-froid et courage ? Alors, je vous en prie ! Foutez la paix à sa mémoire ! »
Et depuis ? Les années s’égrènent tandis que s’estompent les souvenirs des uns et des autres. En 2021, il y a bien un rebondissement inattendu, mais qui ne contribue guère plus à éclaircir le mystère. Soit une nouvelle analyse graphologique réalisée avec des moyens technologiques encore plus performants. Celle-ci permet de déterminer que les lettres du « corbeau » seraient le fait d’au moins « cinq personnes différentes », dont le style serait « similaire » à celui de Jacqueline Jacob. Et après ? Rien. Si ce n’est la mort le 18 février cette année, à 92 ans, d’Albert Villemin, le grand-père du petit Grégory, trois ans après celle de son épouse Monique.
Quant aux autres protagonistes de cette sombre énigme, ils sont désormais à l’hiver de leur existence. À croire que la Vologne ne soit toujours pas disposée à délivrer ses terribles secrets. Et que la mort du petit Grégory, jamais ne sera élucidée.
Nicolas GAUTHIER
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