Mes parents partent en maison de retraite et ça me rend malade !
Lorsqu’arrive ce moment, difficile de réagir autrement qu’avec ses tripes. Les voir quitter leur chez eux fait mal à tout le monde. Pourtant, on peut essayer de se préparer ensemble afin d’adoucir et d’accepter cette épreuve.
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C’est une étape redoutée que l’on a cherché vainement à repousser. Mais aujourd’hui, on n’a plus le choix : le niveau de dépendance de nos aînés nécessite de les confier à une maison de retraite médicalisée. Les aides à domicile ne suffisent plus à garantir leur sécurité et nous avons atteint nos limites en tant qu’aidante. Se résoudre à prendre cette décision est toujours compliqué. Surtout quand on connaît la triste réputation des Ehpad français, où la logique de rentabilité et de profit prend le pas sur le bien-être des résidents. Nous voilà déchirée entre des sentiments contradictoires. D’un côté, une profonde culpabilité : j’abandonne mes parents, je me soustrais à mon devoir filial… De l’autre, un soulagement évident : on va s’occuper d’eux, j’arrêterais de m’inquiéter tout le temps, je vais peut-être récupérer une vie…
Plus de 4 millions de Français (surtout de Françaises, d’ailleurs) accompagnent un parent en perte d’autonomie. Et nombreux sont ceux qui éprouvent un vrai passage à vide lorsqu’il faut envisager le départ pour un lieu de vie médicalisé. Un cap difficile à négocier, qui exige souvent d’aller chercher du soutien autour de soi.
Sortir de la culpabilité, ça aide
Cela arrive généralement alors que les parents ont fêté leurs 80 ans. Leurs enfants abordent alors la cinquantaine ou la soixantaine. Ils se sentent en forme, actifs. Leur progéniture a grandi, elle vit parfois encore sous leur toit. Petit à petit, ils deviennent aidants sans s’en rendre compte, de manière insidieuse, prenant de plus en plus de choses en charge dans le quotidien de leurs parents et organisant l’agenda des aides à domiciles. Résultat, lorsqu’ils se retrouvent dans l’obligation de les confier à un établissement médicalisé, ils le vivent souvent comme un échec personnel, avec le sentiment de ne pas en avoir fait assez pour les maintenir chez eux.
C’est ce que raconte Ariane, 58 ans : « Ma mère était professeure de littérature en classes préparatoires. C’était une vraie Parisienne, très attachée à son appartement rempli de livres et à la vie culturelle de son quartier. Mais, peu après 80 ans, elle a commencé à sombrer dans ce qu’il faut bien appeler une démence sénile. C’est dur à vivre pour tous les enfants, mais lorsque votre mère a été le grand repère intellectuel de votre existence, c’est d’autant plus violent ! Avec mon frère, nous avons tout fait pour la garder le plus longtemps possible chez elle. Marie-Laure – nous l’appelons ainsi – nous a élevés seule (mon père nous a quittés lorsque nous étions enfants). Elle a toujours été une rebelle, une femme libre, brillante, drôle… Qu’elle se retrouve dans un Ehpad, ça nous semblait impensable ! Les aides à domicile se relayaient la journée. Mon frère ou moi passions chaque jour. Elle n’était seule que la nuit. Et encore, on dormait souvent chez elle. Mais plus le temps passait, plus la situation dégénérait. Une nuit, elle s’est enfuie en chemise de nuit dans la rue. On avait atteint les limites de notre système. Nous avons donc cherché un établissement en Île-de-France pour qu’elle reste près de nous. Mais lorsqu’on l’a accompagnée dans ce qui allait être sa dernière demeure, lorsqu’on a vidé son appartement où elle ne reviendrait jamais, lorsqu’on a dû trier ses livres, ses vêtements, ses lettres, ça nous a brisé le cœur. J’avais honte de moi, je me sentais nulle, je m’en voulais terriblement. Après tout ce qu’elle avait fait pour nous, j’avais l’impression non seulement de l’abandonner, mais aussi de trahir les idéaux qu’elle nous avait transmis. J’ai dû retourner en thérapie pour admettre que je n’avais pas les moyens de faire plus pour elle. Ça a été très dur à accepter. »
Travailler en équipe, c’est rassurant
Ariane a dû se replacer dans un principe de réalité, à l’image de tous les enfants qui confient leur parent à un Ehpad. Notre parent a vieilli, il est entré dans le grand âge, il est peut-être atteint d’une maladie neurodégénérative. Tout l’amour du monde ne pourra empêcher cette réalité. Isabelle Barthe, psychologue à la Maison des aidants de Lille et Roubaix, spécialisée en gérontologie, remet les choses en perspective : « La clé pour sortir d’une culpabilité destructive est de se faire accompagner. Cela permet de prendre du recul. On découvre que l’on n’est en rien responsable de la perte d’autonomie de ses parents et qu’on n’a pas le pouvoir de les sauver. Les interlocuteurs sont multiples : le psy de l’Ehpad, les plateformes d’accompagnement et de répit (il en existe 171 en France, infos sur soutenirlesaidants.fr), le corps médical, le monde associatif du grand âge… L’important est de ne pas rester seul dans le face-à-face avec le parent, car la décision de l’entrée à l’Ehpad ne doit pas reposer sur une seule personne. Participer à des groupes de parole, bénéficier de l’expérience de ceux qui sont passés par là peut être libérateur : on s’y sent soutenu, entendu, reconnu. De même que le fait d’avoir accès à des éléments scientifiques et médicaux permet de sortir de l’affectif pour avoir une vision plus objective de la situation dans laquelle se trouvent ceux qui entrent dans le grand âge. »
Accepter de vieillir, c’est salutaire
L’entrée des parents en maison de retraite signe également pour les enfants le deuil du foyer familial : il n’y aura désormais plus de maison où toute la famille se réunira autour des aînés pour les vacances ou les fêtes. Il n’y aura plus cette parenthèse d’insouciance dans nos vies où, même si on a 50 ou 60 ans, on retrouve pour quelques jours son statut d’enfant. Vincent, dont les deux parents sont atteints de la maladie d’Alzheimer, raconte comment cette expérience le confronte à son propre vieillissement. « J’ai le sentiment que, lorsque les parents partent pour l’Ehpad, c’est toute la famille qui y part ! Comme si on avançait tous d’une case vers la vieillesse et la mort. En actant la fin de l’autonomie de mes parents, une porte se referme sur mon enfance, ma jeunesse, mon innocence. Je deviens le prochain sur la liste. Cela me renvoie également au fait que je n’ai pas d’enfants. Aujourd’hui, avec mes frères et sœurs, nous nous occupons de nos parents, mais qui s’occupera de moi quand je me retrouverai dans leur situation ? »
De la même façon qu’il est nécessaire de se faire accompagner par des interlocuteurs extérieurs à la famille, faire équipe avec l’ensemble du cercle familial, et en premier lieu avec le parent lui-même, s’avère tout aussi essentiel. Annie de Vivie, auteure de J’aide mon parent à vieillir debout (éd. Chronique Sociale) et responsable du site Age Village, conseille d’associer la personne âgée au choix de l’établissement tant qu’elle a la capacité de prendre des décisions. « Trop souvent, à force de mettre le sujet sous le tapis, l’entrée à l’Ehpad va avoir lieu dans l’urgence, à la faveur d’une crise. C’est le pire qui puisse arriver : cela est source d’angoisse pour tout le monde ! Mieux vaut anticiper : se poser en famille, envisager toutes les situations possibles, faire ensemble des visites d’établissements, déposer des dossiers… Évidemment, souvent le parent est hostile à l’idée de quitter son domicile (on le comprend), mais l’associer à une décision qui sera peut-être inéluctable est faire preuve de respect envers lui. Et s’il a la possibilité de se projeter, d’élaborer une représentation mentale de son futur lieu de vie, voire d’y faire de courts séjours d’adaptation, il y rentrera dans les meilleures conditions. Au point parfois d’y entrer de son plein gré. »
Réinventer la relation, c’est (parfois) une chance
Une fois les parents entrés en institution, la relation doit être reconfigurée. Il faut repenser sa façon d' »aider ». Lâcher prise et passer la main aux équipes de l’établissement peut faire naître de l’anxiété. Et retrouver un lien par-delà la prise en charge domestique et matérielle demande une période d’adaptation. « Ce n’est pas parce qu’ils partent dans une maison de retraite médicalisée qu’ils disparaissent de votre vie, analyse Isabelle Barthe. Ils ne cessent pas d’être vos parents ni vous leurs enfants. Il y a plein de façons de s’impliquer dans la qualité de leur hébergement : en échangeant avec les équipes, en cherchant à faire la connaissance des autres résidents, en s’impliquant dans le conseil social de l’établissement. » Même si la pandémie de Covid-19 a réduit les espaces et les temps de visite, Annie de Vivie rappelle qu’il est essentiel de continuer à accompagner : « Il y a beaucoup d’appréhension lorsqu’on confie son parent chéri à l’équipe d’un Ehpad. C’est pourquoi il faut rester présent dans un esprit de collaboration avec l’équipe de l’établissement. D’autant que le fait d’entrer dans un lieu collectif dilue souvent l’angoisse, celle de l’aidé comme celle de l’aidant. Cela permet de se recentrer pour l’un comme pour l’autre sur la vie qui est là. »
Ainsi, Lydia, 63 ans, a eu les plus grandes difficultés à confier son père, diminué physiquement après un AVC. Pourtant, contre toute attente, leur relation s’en est trouvée améliorée : « Lorsqu’il habitait encore chez lui, certes je le voyais tous les jours, mais pas dans de bonnes conditions. J’étais tout le temps stressée, occupée à ranger les courses, faire le ménage, m’occuper des papiers administratifs… J’avais très peu de temps pour lui au final. Aujourd’hui, quand je viens le voir, je suis entièrement présente. On passe vraiment du temps ensemble. On discute, on écoute de la musique, on joue aux cartes, on se promène… Et puis il y a les autres résidents avec qui on se mêle : ça fait du bien de ne plus se voir systématiquement en tête-à-tête. J’aime le voir interagir avec les autres, faire le galant avec les dames, raconter des blagues. Je retrouve le papa rigolo de mon enfance ! »
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