Maternité des sportives : les lignes bougent !
- Les sportives touchées de plein fouet par les difficultés liées à la parentalité
- La cause avance à coup de scandales médiatiques et de batailles juridiques
- Des statuts professionnels hétéroclites dominés par la précarité
- Des pistes et des engagements pour soutenir les sportives à la maternité
- Une équation difficile pour les clubs
- La délicate phase du postpartum pour les sportives
- La grossesse pour une force et une motivation décuplée
Il y a la performance physique, autoroute vers les podiums et ses fastes. Et il y a l’exploit d’affirmer un choix au féminin, à contre-courant d’un monde dessiné par l’homme, pour l’homme. Celui-là n’a jamais réservé le meilleur accueil aux grandes sportives qui osent la maternité.
Mises à l’écart, parfois blâmées… Ces dernières n’entendent plus se laisser effacer des radars professionnels, dans l’indifférence générale.
Selon une enquête réalisée en 2021 par le ministère chargé des Sports, 62% des athlètes interrogées déclaraient encore qu’avoir un enfant pendant leur carrière n’était pas réalisable. Pourtant, côté santé, on sait désormais qu’une maternité est compatible avec un parcours de haut niveau, pour peu qu’on y soit préparée.
C’est ce que pose clairement le guide Sport de haut niveau et maternité, c’est possible !, édité en 2022 par le Ministère charge des Sports. Et les exemples éclatants ne manquent pas. En 2014, alors qu’elle est enceinte de huit mois, Alysia Montano, quintuple championne des Etats-Unis du 800 m, met un point d’honneur à participer à son épreuve de prédilection lors des championnats d’athlétisme américains, avec l’accord de ses médecins.
« Le fait que plusieurs athlètes mamans ont rapporté des médailles aux derniers jeux de Tokyo rassure les fédérations », note l’ancienne vice-championne olympique de boxe Sarah Ourahmoune. Un climat plus clément que celui dans lequel elle baigne quand elle choisit de devenir mère en 2012.
Les sportives touchées de plein fouet par les difficultés liées à la parentalité
Alors qu’elle a 30 ans, la star des rings croit, comme beaucoup de sportives à l’époque, que la maternité signera sa fin de carrière. Pourtant, trois ans après, elle tente le come-back.
Bien-sûr, le milieu ne lui fait pas de cadeau. « À la Fédé, ils avaient déjà du mal avec les règles, alors une grossesse« , sourit la battante qui dirige aujourd’hui ses deux salles de boxe Boxer Inside. « Ils n’y ont cru qu’une fois que j’ai réussi à avoir un nouveau titre ». Et quel titre. Elle est médaillée olympique à 34 ans.
Si l’équation semble encore parfois impossible pour une frange du monde professionnel comme du grand public, chaque nouveau cas fait avancer la cause. Amel Majri (29 ans), la défenseuse de l’Olympique Lyonnais, est ainsi devenue, en juillet 2022, la première joueuse de l’équipe de France de football à accoucher pendant sa carrière.
Ils n’y ont cru qu’une fois que j’ai réussi à avoir un nouveau titre.
Une aventure relatée dans le documentaire Baby-foot : dans la vie d’Amel Majri diffusé sur Canal+ Foot en février 2023. Réalisé par l’ancienne footballeuse Jessica Houara, le film zoome largement sur les difficultés des joueuses en projet d’enfant.
La cause avance à coup de scandales médiatiques et de batailles juridiques
Serena williams, Cléopâtre Darleux et tant d’autres… les succès éclatants s’enchaînent et prouvent au monde du sport qu’on peut rester dans la compétition en devenant maman. Les championnes n’hésitent pas à partager leurs déboires pour attirer l’attention sur la précarité extrême que traversent les sportives de haut niveau pour pouvoir enfanter.
L’histoire de l’Islandaise Sara Björk Gunnarsdóttir est édifiante. La grossesse de la première joueuse de l’OL à devenir maman (2021) est émaillée de salaires impayés, d’indifférence totale de la part du staff et d’un retour à la compétition aux airs de mise au placard. La milieu de terrain, passée entre-temps à la Juventus, ne se laisse pas démonter ; elle réussit à mobiliser L’UNFP et la FIFPro pour l’accompagner jusqu’au tribunal de la FIFA.
Actuellement retraitée des pistes, l’Américaine Allyson Felix (36 ans, 11 médailles olympiques), a aussi fait avancer la cause à sa manière. Devenue mère en 2018, elle dénonce la politique post maternité de Nike, son équipementier d’alors, qui avait décidé des coupes franches dans ses rémunérations. Le scandale médiatique a poussé Nike à faire machine arrière… et peut-être même inspiré Adidas à féliciter la boxeuse française Estelle Mossely pour sa deuxième grossesse, en 2020.
Des statuts professionnels hétéroclites dominés par la précarité
« Plusieurs athlètes s’engagent à nos côtés pour que les femmes s’accordent le droit d’être mère. Des personnalités fortes comme Sarah Ourahmoune, ou comme Mélina Robert-Michon, vice-championne olympique du lancer de disque ont ouvert la voie », analyse Aurélie Bresson, présidente de la fondation Alice Milliat, première fondation européenne en faveur du sport féminin.
Selon elle, ces héroïnes n’avaient pas, à leur époque, d’accompagnement structurel pour les aider : « Les sportives partaient en congé maladie et non pas maternité, ce qui en dit long sur le black-out qui régnait sur ces grossesses ».
Les sportives partaient en congé maladie et non pas maternité.
Selon la présidente de la fondation Alice Milliat, il reste un travail important à faire sur le droit du travail dans ce secteur. « Les athlètes ont des situations hétéroclites. Leurs statuts précaires déterminent leur prise en charge potentielle en matière de sécurité sociale ; certaines ont des contrats avec leur fédération ou avec un ministère, comme celui des armées ; d’autres sont en free-lance, en autoentrepreneurs », détaille-t-elle.
« Comme tous les sportifs, elles doivent parfois se gérer comme une marque, trouver des sponsors, s’entourer de coachs et de kinés. Ce sont des entreprises à elle seules ». Et toutes ne vivent pas de leur sport et sont aussi en contrat avec des entreprises non-sportives. Sans compter que l’on parle également peu de celles qui arrivent en fin de contrat et de carrière, et entament une grossesse. La majorité doivent compter sur leurs propres ressources, comme si la maternité était un luxe« .
Ainsi, la basketteuse tricolore Isabelle Yacoubou, vice-championne olympique à Londres en 2012, ne touche plus de salaire quand elle annonce sa grossesse à la Famila Schio, un club professionnel en Italie. « Ce n’était pas du tout prévu, et quand j’annonce la nouvelle, ils (les dirigeants du club, ndlr) sont ravis pour moi humainement, mais ça posait un problème au niveau de l’organisation de l’équipe, et la manière dont ils allaient la reconstruire puisqu’elle avait été orientée autour de moi par rapport au recrutement », détaille la star des Braqueuses au micro d’Europe 1, début 2023.
La pivot d’1m90 qui compte près de 150 sélections sous le maillot tricolore se voit contrainte de renoncer à son contrat en Italie où les frais médicaux sont à sa charge. Elle revient en France pour bénéficier de la sécurité sociale mais en qualité d’expatriée, elle met plus de six mois pour rouvrir ses droits. Et de se féliciter d’avoir mis de l’argent de côté…
Des pistes et des engagements pour soutenir les sportives à la maternité
Heureusement, ces faiblesses structurelles du système se sont faites opportunités, à en croire Aurélie Bresson : « la médiatisation des expériences des athlètes mères et les cas de jurisprudence nourrissent actuellement une dynamique très positive dans le milieu« . Dernier scandale en date, en 2023 : le lâchage de la navigatrice Clarisse Crémer par son sponsor (Banque Populaire) en raison de sa grossesse.
Dans la foulée, la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra dévoile des mesures en faveur de la parentalité, et notamment celles des sportives, lors du 6e atelier de travail d’Impulsion Politique et de Coordination stratégique (6/3/2023). « L’actualité récente a montré que les compétitions et règlements sportifs ne prenaient pas encore assez bien en compte les enjeux liés à la maternité, alors même que 25% des sportives de haut niveau et des sportives professionnelles sont ou se sentent concernées par cet enjeu », déclarait alors l’ancienne joueuse professionnelle de tennis. « À aucun moment, une grossesse ne devrait être une raison de compromettre une carrière sportive ».
C’est plus simple quand on est numéro un de son sport ». (…) Qu’en est-il des remplaçantes ?
L’escrimeuse Astrid Guyart, secrétaire générale du Comité olympique français (CNOSF) et actuellement enceinte, a profité de l’occasion pour mettre en lumière les différences entre les athlètes elles-mêmes : « C’est plus simple quand on est numéro un de son sport ». (…) Qu’en est-il des remplaçantes ? ».
Parmi les pistes proposées par le gouvernement pour protéger les sportifs qui projettent de devenir parents ? L’intégration du « critère de parentalité« dans les critères d’aide de l’Agence nationale du sport (ANS), l’inscription sur liste de 1 à 2 ans pour les sportifs de haut niveau en cas de maternité ou encore des garanties renforcées en cas d’impact sur les performances et les classements. La mise en place d’une cellule opérationnelle transversale aux fédérations devrait aider les sportives dans leurs démarches et dans l’organisation de leur maternité. Les différents règlements sportifs seront par ailleurs analysés, pour s’assurer que la maternité soit prise en compte d’ici au 1er juin, et les encadrants sportifs se verront sensibilisés au sujet.
Une équation difficile pour les clubs
Si des représentantes de la Ligue féminine de basket ont annoncé leur projet de conclure prochainement leur convention collective et d’y inclure des dispositifs sur la maternité, la potion peut avoir un goût amer dans un univers où les clubs comptent leurs sous et sprintent de championnats en olympiades.
Remplacer une athlète a un coût. Et cette ligne rouge s’insère à l’improviste dans le tableau comptable du club, où la marge est souvent très limitée.
« Une grande disparité règne dans le milieu sportif », relève Aurélie Bresson de la fondation Alice Milliat. Et c’est peut-être plus souvent qu’on ne le pense une histoire de volonté que d’argent. Les instances du foot sont à la traîne, au regard des avancées de la fédération de handball, alors que les championnats de cette dernière sont les moins médiatisés.
À Celles-sur-Belle, la handballeuse Laura Dorp est la troisième joueuse qui met sa carrière entre parenthèses pour devenir maman. À chaque fois, malgré son budget parmi les plus faibles de la division, le club a pris en charge l’intégralité du salaire de la future mère, même quand les textes de loi et les règlements ne l’y obligeaient pas.
Le hand féminin fait partie des fédérations les plus en avance sur la question : quand la convention collective nationale du sport (CCNS) prévoit un maintien de salaire intégral pendant toute la durée légale du congé maternité – soit 90 jours -, la ligue professionnelle féminine lance sa propre convention à l’été 2021, avec un droit à un maintien de salaire jusqu’à 12 mois. Une initiative salutaire quand on sait le challenge que représente le retour à l’entraînement après la naissance.
La délicate phase du postpartum pour les sportives
« Le pire, c’est une fois que l’enfant est là et que l’on revient au travail. C’est le début d’un gros combat où vous avancez dans l’inconnu », confie Laura Dorp à France Bleu Poitou.
Il y a dix ans, Sarah Ourahmoune a construit elle-même son programme. Elle change d’entraîneur, commence par une préparation très douce avant de reprendre les gants. « J’ai mis près d’un an et demi à retrouver les sensations d’avant la maternité. Le bon côté, c’est qu’après ce long congé de deux ans, je sentais avec acuité mes progrès, alors qu’au bout de 16 années d’entraînement à haut niveau, je n’étais plus capable de les évaluer physiquement ; j’avais besoin du feedback de mon entraîneur », constate la boxeuse.
Le travail paye : son rapport au sport est transfiguré. « Le plaisir était au rendez-vous, plus seulement sur le podium, mais tout au long du processus. C’est ce plaisir qui m’a permis d’aller plus loin », estime la maman et entrepreneuse comblée.
La grossesse pour une force et une motivation décuplée
Selon elle, la grossesse peut même devenir une force pour les athlètes au féminin, à condition d’avoir envie et de savoir s’organiser. « J’emmenais ma fille à la salle une partie de la journée, ce qui me permettait de me souvenir pourquoi je fais de la boxe. L’avoir à mes côtés m’a aussi obligée à être beaucoup plus efficace », relate-t-elle. « Je concentrai mes efforts sur des séances d’une heure au lieu de trois. Et si je sentais que je ne m’amusais pas, que je n’étais pas dedans, je rentrais chez moi ».
Même écho positif du côté de Manon Genest. La championne du monde de paratriathlon et révélation des derniers Jeux Olympiques, soutient que son bébé lui a bénéficié tant sur le plan perso que côté carrière. La jeune maman d’une petite fille de 10 mois, qui a repris la compétition en décembre 2022 sur l’île de la Réunion, a battu son propre record au saut en longueur, atteint lors des Jeux Olympiques et Paralympiques de Tokyo en 2021.
Ces témoignages sont précieux pour leurs consœurs. « Beaucoup d’athlètes cessent de repousser leur projet de maternité », se réjouit Sarah Ourhamoune. « Certaines fédérations développent des programmes d’accompagnement des sportives de manière à ce qu’elles restent dans le collectif et travaillent autrement, sans coupure brusque ».
Selon elle, quelques fédérations acceptent progressivement la présence de l’enfant et du papa lors des entraînements, après l’accouchement, à certaines étapes de la compétition ou pendant les stages. « Toutes n’ont pas les moyens, mais la volonté est là », reconnaît la boxeuse.
Double championne olympique à Tokyo l’été dernier, la judokate française Clarisse Agbegnenou (30 ans) vient de publier Maman et sportive : préserver son corps et retrouver la forme après bébé (Marabout) avec la médecin et professeur de yoga spécialisée dans le travail sur le périnée Bernadette de Gasquet. Elle a pu renouer avec la compétition internationale en Israël récemment en gardant Athéna, sa princesse de 8 mois, près d’elle jusqu’à la salle d’échauffement.
Une grande première. Qui on l’espère, sera rapidement suivie.
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