Maryne Cotty-Eslous, l'entrepreneure qui soigne la douleur par le numérique

Avec son médicament numérique, qui utilise les pouvoirs du cerveau pour apaiser les douleurs chroniques, la fondatrice de Lucine a convaincu le jury. Elle remporte la cinquième édition du prix Business with Attitude – Madame Figaro, organisé avec le soutien de La Poste. Portrait.

«Lucine, Lucine, Lucine.» Dans l’Antiquité, les femmes en couches déclamaient trois fois le nom de cette déesse pour chasser la douleur, comme par magie. «Aujourd’hui, Lucine n’est plus de la magie, c’est de la science», lance Maryne Cotty-Eslous, un sourire plein d’assurance, sur la scène du 3 Mazarine, à Paris. Mardi 13 avril, cette entrepreneure de 31 ans a remporté la cinquième édition de notre Prix Business with Attitude, organisé avec le soutien de La Poste.

Il y a quelques années, cette science – celle d’un médicament numérique, administré par une application mobile et capable de soulager les douleurs chroniques – n’était encore qu’une intuition. Au fil de ses longues études – en sociologie, anthropologie, psychologie, neurophysiologie et histoire -, Maryne Cotty-Eslous pressent que le cerveau humain est capable de soulager les douleurs physiques, sans médicament. Mais le milieu médical et les spécialistes la toisent. Qui est-elle, cette jeune tout juste sortie de l’université et qui pense avoir eu la bonne idée avant tout le monde ? «Tout ce que je voulais, c’était deux heures d’échanges avec eux pour être sûre que je ne me plantais pas. On me le refusait», raconte-t-elle sans animosité, vêtue d’une jupe crayon noire, d’un chemisier blanc et d’une paire de talons hauts, quelques heures avant la finale du prix.

Un médicament numérique

Qu’à cela ne tienne. Pendant trois ans, Maryne Cotty-Eslous finance et mène seule ses propres recherches. En 2017, elle crée officiellement sa société avec deux cofondateurs. Cinq ans plus tard, elle affiche 2 millions d’euros de chiffre d’affaires et une levée de fonds de 5,5 millions d’euros, l’une des plus importantes levées en seed (soit la première levée de fonds importante d’une startup, NDLR) de son secteur au niveau mondial. Bpifrance ou BNP Paribas Développement sont parmi ceux que Maryne Cotty-Eslous a convaincus. Comment ? Grâce à de premiers tests qui semblent montrer que son médicament numérique, ou DTx, fonctionne.

Concrètement, l’application mobile Lucine utilise la reconnaissance faciale, vocale et posturale pour mesurer et analyser la douleur des patients. Elle leur propose ensuite un processus thérapeutique adapté. Comme un pharmacien mélange des molécules pour fabriquer un médicament, l’application Lucine diffuse des sons et des images. Exposés à un grésillement sonore, à un bip continu ou à une vidéo en réalité augmentée, le cerveau et l’organisme sécrètent de l’endorphine, de la morphine naturelle ou encore de l’adrénaline. Le tout dosé, mélangé et calibré pour chaque patient, selon l’origine, la nature et l’intensité de sa douleur. Des études cliniques à grande échelle doivent encore apporter la preuve scientifique formelle de l’efficacité du dispositif. En attendant, Maryne Cotty-Eslous espère commercialiser deux premiers traitements numériques en 2022 et 2024, contre les douleurs féminines pelvi-périnéales, puis contre les douleurs chroniques modérées à sévères.

En vidéo, revivez la cérémonie de remise du prix Business with Attitude 2021

Une nouvelle voie pour les patients

Aux patients, Lucine offrirait alors une nouvelle voie, débarrassée des opioïdes et antidouleurs aux effets secondaires parfois pires que les maux qu’ils sont censés soigner. La mission est belle, la responsabilité, immense. 25 % de la population mondiale souffre de douleurs chroniques – dont 12 millions de Français – et seulement 3 % d’entre eux ont un traitement efficace.

La fondatrice de Lucine en fait partie. «Je n’ai pas le souvenir d’avoir vécu un seul jour de ma vie sans avoir mal», a-t-elle confié sur scène lors de la finale. Des douleurs inexpliquées dès l’enfance, impossibles à identifier, parfois méprisées par des médecins qui traitent la jeune femme de folle à mots à peine voilés. «J’avais l’impression que toutes les maladies de la Terre étaient dans mon corps, sans qu’aucune ne me corresponde tout à fait.» Après des années d’errance, un spécialiste pose enfin un diagnostic : Maryne Cotty-Eslous souffre d’une endométriose et d’un syndrome d’Ehlers-Danlos, une maladie génétique du tissu conjonctif qui maintient ensemble tous les autres tissus du corps. Son parcours est malheureusement celui de bon nombre de patients atteints de douleur chronique, qui n’est reconnue comme une maladie par l’OMS que depuis 2019.

Vitesse éclair

Depuis ses débuts, Maryne Cotty-Eslous s’est bâti une stature de patronne, à la tête d’une entreprise de 40 salariés. Son dernier fait d’armes ? Avoir recruté comme chief scientific officer son idole : le chercheur canadien Serge Marchand, ponte des neurosciences. «2020 m’aura appris que j’étais un bon leader, mais que j’avais tout à apprendre sur le management. J’ai d’ailleurs commencé une formation», confie-t-elle. Installée à son bureau, dans les tout nouveaux locaux de Lucine, à Bordeaux, Maryne Cotty-Eslous a le sourire généreux et le mot précis. La chaleur d’une startuppeuse à impact, la rigueur d’une patronne déjà avertie. Une expérience qu’elle offre désormais aux entrepreneurs d’Aquitaine qu’elle mentore chaque année comme à ses employés. Beaucoup sont choisis pour leur jeunesse, parfois recrutés juste après leur diplôme. «Les embaucher est pour moi un geste citoyen, soutient-elle. Comme femme et CEO de 31 ans, je sais ce que c’est de débuter et n’être pas prise au sérieux.»

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