Managers toxiques : comment les repérer et les affronter ?
« Un jour, elle était odieuse, le suivant elle pleurait. On ne savait jamais à quoi s’en tenir, nous étions angoissées et même terrorisées de savoir à quelle sauce nous allions être mangées ». Elle, ce serait Christelle Delarue, fondatrice de l’agence Mad & Women et de l’association “Les Lionnes” qui lutte contre le sexisme dans le sulfureux univers de la publicité. Figure du féminisme 3.0 hexagonal, l’ambitieuse cheffe d’entreprise est aujourd’hui accusée par huit de ses anciens collaborateurs de faits de harcèlement moral.
Recueillis par la journaliste Léa Lejeune et repris par le magazine Challenges, leurs témoignages, restés majoritairement anonymes, décrivent une atmosphère de travail tendue, des insultes proférées devant témoins, des textos envoyés hors des horaires de bureau et surtout une personnalité cyclothymique en lieu et place de la dirigeante, source de mal-être et d’anxiété chez ces mêmes salarié.e.s.
Des accusations compromettantes donc, que nie en bloc la principale concernée qui, au mieux, selon le même article, reconnaîtrait des “erreurs de management”.
Les différents types de managers toxiques
“L’article (de Challenges) décrit de façon détaillée les caractéristiques d’un management toxique (autrement appelé pathogène) à l’œuvre dans de très nombreuses entreprises, y compris malheureusement des entreprises qui se veulent engagées et féministes”, commente l’avocate féministe Elisa Rojas à propos de cette affaire.
Autorité débridée, agressivité assumée, critiques acerbes, humiliations répétées, harcèlement anxiogène, exigences contradictoires, non-respect de la vie privée, surcharge de travail : les managers toxiques ont tendance à se suivre et à se ressembler.
Selon Patrick Collignon et Chantal Vander Vost, auteurs de l’ouvrage Management toxique (Ed. Eyrolles), il existerait 5 types de managers toxiques aux profils bien distincts.
Ils notent d’emblée le tyrannique, soit celui qui aspire à dominer, manipuler et terrifier ses subordonnés à grands renforts de menaces, de techniques de culpabilisation ou encore de victimisation. Viendrait ensuite le chaotique, qui se caractérise par une organisation dysfonctionnelle, sans définition claire des missions et des responsabilités avec des salariés qui se retrouvent à batailler sur tous les fronts… et finissent par ressentir un profond sentiment d’injustice.
C’est le profil auquel a été confrontée Léa*, 30 ans, avec son ancienne manager. “C’était une femme était très sympa, du coup, c’était difficile de lui dire non quand elle nous demandait “un petit service” en urgence”, se souvient-elle. “La réalité, c’est qu’elle était très désorganisée et qu’elle le faisait peser sur ses équipes. Résultat ? On travaillait dans la confusion la plus totale ou dans la précipitation alors que notre travail ne le requiert pas spécialement. C’était épuisant au point que j’avais entamé des procédures de démission. J’étais à bout de nerfs. Au final, c’est elle qui a changé de poste.”
Autre profil de manager toxique ? Le “hyper” investi, celui qui est entreprenant, ambitieux et (très) travailleur mais qui est aussi dans l’hyper contrôle, l’hyper susceptibilité…. et l’hyper instabilité. “Ma boss était comme ça : une nouvelle arrivait, c’était la 8e merveille du monde et du jour au lendemain, c’était le vilain petit canard sur qui elle faisait une fixette. On a jamais compris le comment du pourquoi de ce fonctionnement : c’est comme si elle avait besoin d’un bouc-émissaire permanent sur qui faire peser les problèmes de notre service”, raconte Léna, soulignant avoir oscillé entre enthousiasme et déception vis-à-vis de sa N+1, avant de tomber dans la rancune.
Les auteurs évoquent également le manager de type “4×4”, une forme de bourreau de travail, ultra-efficace mais aussi ultra-critique et exigeant, qui ne comprend définitivement pas que l’on puisse fonctionner de façon différente. Pour lui, les autres sont généralement trop mous, trop faibles, trop inefficaces. “La veille des présentations client, mon patron adorait nous faire tout recommencer à la dernière minute et nous forcer à rester toute la nuit à l’agence. Et ceux qui râlaient étaient accusés d’être trop “plan-plan”, d’être des “petites natures” et autres remarques sympathiques”, se souvient ironiquement Justine* à propos du directeur de l’agence de publicité parisienne dans laquelle elle travaillait.
Enfin, les auteurs évoquent le manager de type antipathique, celui qui s’agace, perd facilement patience, quitte à s’énerver pour un rien… et à vous donner la désagréable sensation d’être jugée et pas franchement appréciée.
Stress, angoisse et dépression
Mais selon Patrick Collignon et Chantal Vander Vost, ce qui fait un manager toxique, c’est surtout sa tendance à placer une personne dans l’incapacité à réaliser ses tâches et ses missions, notamment dans la mesure où elle est soumise à une pression émotionnelle supplémentaire.
C’est également ce que confirme l’avocate Elisa Rojas sur Twitter. “Ce genre de management a pour conséquence de créer des conditions de travail dégradées propices au mal-être et à la souffrance au travail, et à tout ce que l’on désigne sous les termes de « risques psychosociaux » », écrit-elle sur le réseau social. “On entend par « risques psychosociaux » tout ce qui est susceptible de mettre en danger la santé des salariés dans l’entreprise et de provoquer par exemple : stress, épuisement professionnel, burn-out, etc.”
Tout le monde était au bord de la crise de nerf en permanence. On avait trop de boulot, trop de pression, on était mal payés, rabaissés un jour, glorifiés le suivant…
C’est ce que décrit notamment l’une des anciennes collaboratrices de Christelle Delarue dans l’article de Challenges. « J’essayais de ne pas trop pleurer au travail, mais c’était les montagnes russes. Je n’allais pas bien, je dormais peu, j’avais la boule au ventre tous les matins, je ne parlais que de ça à mes amis et à ma psy. J’ai demandé un mois d’arrêt de travail car je ne voulais pas y retourner », confie-t-elle.
Des états de stress, d’angoisse, voire de dépression, qu’ont également vécu nos témoins de près ou de loin. “Dans mon agence, c’est simple : il y avait un pot de départ toutes les semaines, quand ce n’était pas tout simplement un abandon de poste. Tout le monde était au bord de la crise de nerf en permanence. On avait trop de boulot, trop de pression, on était mal payés, rabaissés un jour, glorifiés le suivant… C’était du grand n’importe quoi ! Du coup, on compensait avec des apéros et une certaine alcoolémie sociale”, avoue Justine au sujet de l’agence de publicité dans laquelle elle travaillait.
“Un jour, alors que je me faisais encore harceler par texto pendant mes vacances, je me suis retrouvée à partir en crise d’angoisse en plein milieu d’une excursion touristique en Grèce. Je n’arrivais plus à respirer. En rentrant à Paris, j’ai démissionné », raconte Léa*.
Dompter le lion : comment faire face à un manager toxique ?
Si le changement de poste et/ou d’entreprise est généralement la solution privilégiée par la plupart des victimes de management toxique, certaines n’ont parfois d’autres choix que d’apprendre à composer avec ces leaders aux comportements nocifs.
C’est ainsi que Patrick Collignon et Chantal Vander Vost proposent certains conseils pour mieux s’en protéger et se prémunir des risques psycho-sociaux intrinsèques à ces douloureuses situations d’open-space. Le but ? Impulser chez le manager non pas un changement de personnalité mais un changement de comportement via des réactions adaptées à son type de management.
Par exemple face au manager tyrannique, ils conseillent de ne pas rentrer dans un rapport de force et de rester au maximum dans une position de retrait en restant poli et affirmé.
Quand notre n+1 se révèle chaotique, mieux vaut privilégier la communication par écrit afin d’assurer ses arrières en cas de différend.
Autre situation : face à un manager “hyper”, gardez du recul et demandez lui de formaliser concrètement ses attentes, idéalement par écrit afin de les rendre réalistes et, surtout, réalisables.
Autant de micro-astuces qui permettent de recadrer la relation de travail et de la rendre plus saine, dans la mesure du possible. “Pour ma part, la solution a été, pendant un temps et en attendant de trouver un autre job, d’arrêter de prendre toutes les remarques personnellement et de me détacher émotionnellement de mon travail. Même si j’adorais mon job, j’essayais de le considérer comme une simple source de revenus et de m’investir dans d’autres aspects de ma vie, ma famille, mes loisirs”, raconte Léa.
D’autres comme Katia ont tiré de leurs expériences difficiles des enseignements relationnels qui lui ont permis de mieux choisir son environnement de travail. “Maintenant lorsque je vais à un entretien pour un nouvel emploi, je repère directement quel genre de manager, j’ai face à moi”, explique cette jeune maman en recherche d’emploi. “Et si d’emblée je repère des incohérences, si on m’envoie des messages le soir pour confirmer, annuler puis reconfirmer la date 100 fois ou si je sens que quelque chose globalement ne tourne pas rond dans la manière dont mon potentiel futur manager s’adresse à moi, je mets un terme au processus de recrutement”, explique-t-elle. Et de conclure, “si ça ne sent pas bon dès les premiers échanges, c’est que ça ne le sera pas par la suite ».
À croire que même dans les relations purement professionnellement, l’intuition reste la clé ultime pour nous préserver de toute forme de toxicité.
*Les prénoms ont été changés à la demande des interviewés.
Source: Lire L’Article Complet