Mais pourquoi tant de baisers sous la pluie dans les films ?

Ethan Hawke roulant un pantin à Gwyneth Paltrow dans De grandes espérances, Jonathan Rhys-Meyers embrassant à pleine bouche Scarlett Johansson dans Match Point, Tobey Maguire partageant un baiser avec Kirsten Dunst dans Spider Man… On pourrait poursuivre des heures durant ce listing cinéphile, la réalité est là : s’embrasser sous la pluie a toujours été le summum du romantisme. Du moins, selon le cinoche.

On est pourtant en droit de s’interroger sur le pourquoi d’une telle pratique qui semble aussi vieille que l’industrie hollywoodienne elle-même. Oui, car à quoi bon exprimer son amour débordant sous des litres de flotte quand on peut le faire tranquillement, au sec ? Comment expliquer le potentiel sentimental de la chose ? C’est comme si l’eau, abondante, se faisait l’étrange et paradoxale extension d’un amour fiévreux, incendiaire. Sous la pluie, tout le monde vous entend (vous) aimer.

Et bien des regards experts s’interrogent aujourd’hui sur le sens d’un trope incongru.

Un trope qui traverse les décennies

Incongru, car il implique que le fait d’être trempé·e pour s’échanger un baiser mouillé soit le paroxysme du lyrisme. S’attarder sur la longévité de cette tradition, c’est remonter le fil d’une histoire qui ne date pas d’hier. Dans L’émigrant de Charlie Chaplin, on s’embrassait déjà sous la pluie. Et c’était en 1917. En un siècle, bien des patins ont pris place ainsi.

De Ryan Gosling et Rachel McAdams (N’oublie jamais) à Natalie Portman et Zach Braff (Garden State), de George Peppard et Audrey Hepburn (Diamants sur canapé) à Hugh Jackman et Nicole Kidman (Australia), des dizaines de couples emblématiques ont su décliner ce motif.

Tant et si bien que le site spécialisé TV Tropes attribue un intitulé à la chose : la « pluie romantique », ou Romantic Rain. « Dans la fiction, l’amour et la pluie vont de pair », assure l’encyclopédie des clichés. Selon le site, la pluie, plus qu’une fantaisie, semble accompagner « des moments charnières » de la vie des personnages. Puisqu’elle implique d’être affrontée, elle démontre l’authenticité et les convictions des protagonistes. Ignorer les intempéries revient à « braver les éléments » dans la logique dramaturgique des fictions.

Le temps de chien devient dès lors le pendant climatique d’une intensité amoureuse bien réelle. Aussi passionnelle en somme qu’un orage qui éclate. Evidemment, scénaristes et comédiens ne sont pas dupes du côté délicieusement cheesy – ringarde, si vous préférez – de la chose. Ainsi, nombreuses furent les déclinaisons humoristiques de ce passage obligé.

Dans Quatre mariages et un enterrement par exemple, l’une des rom coms les british qui soient, le dialogue précédant le tant attendu baiser entre nos tourtereaux expose volontiers l’absurdité de la chose : « Ah, il pleut encore ? J’avais pas remarqué », décoche une Andie McDowell frigorifiée avant que ses lèvres ne rencontrent celles de Hugh Grant. Une autodérision bienvenue.

Le summum du romantisme ? Pas sûr

Autre variation (plus systématique), le baiser évoluant en séquence un peu plus charnelle. Toujours sous la pluie. C’est par exemple le cas lors d’un câlin à la fois trempé et très (très) chaud dans Neuf semaines en demie, hit de l’érotisme (pour son époque) réunissant Mickey Rourke et Kim Basinger. On est loin des averses plus pudiques (mais également sentimentales) du mythique Chantons sous la pluie avec Gene Kelly et Debbie Reynolds. Là, l’amour s’exprime sans parapluie. Question de générations certainement.

« De manière générale, je ne suis pas un grand fan d’être trempé de la tête aux pieds dans de l’eau glacée. A l’inverse pour les personnages de films, être trempé de la tête aux pieds dans de l’eau glacée est la situation la plus romantique que l’on puisse imaginer », observe à l’unisson le média pop Screen Rush. Avant de se demander : pourquoi ?

Aussi vain que d’exiger une rom com sans personnage masculin toxique. « Sur le plan pratique, s’embrasser sous la pluie est nul ! », déplore encore le site. Un constat cruel mais honnête.

Cheveux ruinés, gouttes qui perlent sur le front et dans la bouche, vêtements trempés, corps grelottant minablement, possibilités de s’abriter nombreuses… Les contre-arguments pèsent, par-delà le fait que se protéger de la pluie soit un acte aussi instinctif que logique. Mais pour Screen Crush, il faudrait encore dissocier le réel de la fiction.

La pluie serait un gimmick cinématographique absolu qui « injecterait une forme d’énergie visuelle » et exacerberait l’émotion ressentie face à une fiction. Comprendre, même devant la pire rom com, la pluie fait office d’électrochoc. Présente dans le cinéma d’action (de Point Break à Matrix Revolutions) elle s’insinue dans la love story comme pour rendre l’ensemble moins statique. Elle pimente les choses, donc. Et ce n’est pas rien de le dire.

Comme nous le rappelle Screen Rush, la pluie a pu faire office de stratagème érotique dans des temps où les productions hollywoodiennes étaient bien plus chastes. Eh bien oui, puisque les averses ont cette fâcheuse tendance à rendre les vêtements translucides et à dévoiler ce qu’il ne faudrait pas. Vêtements si trempés qu’ils impliquent bien souvent d’être retirés par la suite. En somme, il y a toute une mécanique sensuelle qui s’insinue dans le simple fait de voir deux comédiens noyés sous des trombes d’eau.

Bref, les baisers sous la pluie ont bien plus de valeur à leur place : contemplés dans une salle de ciné. « J’ai fini par envisager ce phénomène pour ce qu’il est vraiment : un mythe fabriqué par Hollywood, comme le fait que des policiers puissent tracer un appel téléphonique en moins d’une minute, ou la capacité de sprinter directement à travers la sécurité de l’aéroport pour empêcher quelqu’un de monter dans un avion », s’amuse à ce titre une autrice du site Repeller. Oui c’est à toi qu’on parle, Love Actually.

Recul d’autant plus nécessaire qu’il faudra bien plus que des portfolios de stars pour nous convaincre de tenter l’expérience. « Vous savez ce qui est VRAIMENT sexy ? Des draps propres et secs », poursuit le site. Sauf si vous tenez vraiment à pimenter vos futurs week-end en Bretagne.

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