Maïa Mazaurette : "Au trou, les idées reçues sur le sexe !"
Si l’ordre de lecture n’est pas imposé, les deux essais, aux tonalités et contenus distincts bien que complémentaires, correspondent à des moments d’écriture que l’auteure aime à préciser. « Ce livre ne tient pas de la schizophrénie », sourit-elle.
« J’ai commencé par écrire Sortir du trou pendant l’été, juste avant le début de la vague #MeToo ; il y avait une nécessité de m’exprimer sur ce cantonnement des femmes à un rôle de trou, qui partait d’un sentiment de colère. Lever la tête est arrivé plus tard car, après la révolte, il fallait que je propose des solutions à ce que j’avançais. »
Deux parties, donc, qui se répondent, pour faire partie d’un tout non genré qui a vocation à s’adresser aux femmes autant qu’aux hommes.
En finir avec la femme-trou
Élevée par deux parents féministes, Maïa Mazaurette est une militante de la première heure. « J’ai commencé à m’investir à l’âge de 16 ans », explique-t-elle, alors qu’elle a aujourd’hui une quarantaine d’années. « On se situait dans le grand désert du féminisme français. Je pensais à l’époque que nous étions condamnées à demeurer une poignée d’activistes moquées. Et puis, non ! Il y a eu cet élan vital qui a poussé le féminisme à se relever. »
Partisane d’un militantisme tout-terrain, Maïa Mazaurette se situe rapidement sur celui du lit, en tant que haut lieu de la domination masculine. La jeune journaliste travaille pour Playboy et le bimestriel Newlook avant de se faire connaître avec un premier livre, Nos amis les hommes, puis son blog Sexactu.
La culture du trou réduit à peau de chagrin les chances de plaisir féminin et légitime les viols et violences.
Dans Sortir du trou, elle s’attaque bien entendu au patriarcat, responsable de cette culture qui réduit les femmes à un néant qui aurait pour vocation d’être comblé par la grâce d’une invasion masculine. Une « culture » qui ignore au passage la réalité d’une anatomie complète et pleine constituée de chairs, de muscles, de replis, de nerfs, et même de poils (!).
Mais l’auteure n’est pas beaucoup plus tendre avec les acquis de la révolution de 68 qui, en instituant la notion de sexe récréatif grâce à la contraception et à la légalisation de l’avortement, ont eu pour conséquence de « creuser un plus grand nombre de trous disponibles ! » Or la quantité, on ne le sait que trop en ces temps de consumérisme effréné, ne fait certainement pas la qualité. La culture du trou réduit à peau de chagrin les chances de plaisir féminin, tant on connaît les vertus des stimulations externes mais, plus grave encore, elle légitime les viols et violences.
« La prétendue complémentarité entre les hommes et les femmes induit l’idée qu’il faille nécessairement combler un trou laissé vacant : l’espace féminin construit en négatif disqualifie la notion d’intégrité du corps des femmes. »
Dans le même registre, le vocabulaire brutal traditionnellement associé à l’acte sexuel est largement critiqué par l’auteure : des femmes que l’on « prend » aux « à-coups » de l’amant en passant par les « coups » d’un soir, le lexique sexuel habituel joint le désagréable à l’inutile, là où Maïa Mazaurette vante les mérites d’une sexualité « qui ne fait pas mal ! »
Le bonheur est dans le couple ?
Si le premier volet du livre dénonce avec virulence la place des femmes dans la sexualité et le manque de désir qui en découle inévitablement et qui leur est souvent reproché, le deuxième entend ouvrir, en douceur, le champ des possibles. Dans Lever la tête, Maïa Mazaurette se défend de vouloir délivrer un guide pratique pour sortir ses contemporains de la misère sexuelle dans laquelle ils semblent enlisés ; elle propose plutôt d’aborder la sexualité en conscience, sous un angle nouveau et rafraîchissant !
Hors sujet, par exemple, la trop classique apologie du sexe « pimenté » associé au libertinage, à l’échangisme ou autres pratiques transgressives.
Si l’auteure se garde de juger les préférences sexuelles, elle choisit, quitte à surprendre, d’investir le territoire du couple pour en démontrer les infinies potentialités en matière de réinvention du désir. « Je trouve que c’est un peu facile de dire que le couple est le problème et qu’il faut aller chercher des solutions ailleurs. Et puis, c’est encore un pied de nez à la mouvance 68 qui considérait que le sentiment était gnangnan. Mon objectif est de répondre à cette quête de passion et d’aventure alors même que le couple est le quotidien. »
La bonne nouvelle, c’est que, débarrassé de la culture anéantissante du trou, le sexe peut enfin s’exprimer dans une plénitude joyeuse. « Plutôt que de jouer avec notre zone grise et de chercher à tout prix la tension sexuelle, nous ferions mieux d’explorer notre zone blanche pour aller plus loin dans le confort, la vulnérabilité, la lenteur… »
Ainsi, qui s’avère plus indiqué qu’un partenaire de longue durée et ouvert au dialogue pour mener à bien ces explorations ? En décrétant, par ailleurs, la non-complémentarité et l’absolue entièreté des partenaires sexuelles, Maïa Mazaurette en finit avec les clichés de genre qui voudrait cantonner l’homme à un rôle de séduction active quand la femme, elle, resterait passive. « Pour éveiller le désir, l’homme doit savoir se rendre désirable ! Je déplore la persistance du manque d’érotisation des corps masculins. Une fille qui se maquille le matin ne pense pas forcément à séduire, alors qu’un homme fait la plupart du temps attention à son apparence dans un objectif actif de conquête. »
Si elle se fait fort de détricoter les cultures et croyances qui nous font perdre nos moyens pour accéder à une sexualité épanouie, Maïa Mazaurette a plein espoir dans la nouvelle génération pour y parvenir. « Les choses sont vraiment en train de bouger, il n’y a qu’à observer le mouvement du 14 septembre, il y a un vrai changement de paradigme, une volonté de ne plus se laisser faire ; j’aurais adoré que cela se produise quand j’étais lycéenne ! », s’exclame-t-elle.
Hors du trou, le sexe a donc un avenir prometteur, prophétise la spécialiste, et ce n’est pas pour nous déplaire !
*Sortir du trou, lever la tête, de Maïa Mazaurette (Ed. Anne Carrière)
Article publié dans le HS Respiration novembre 2020
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