"Lidia fait sa loi" : qui était vraiment Lidia Poët, l'héroïne féministe dont s'inspire la série Netflix ?

Lidia fait sa loi, est une série féministe inspirée de faits réels. Sur Netflix, est l’un des shows les plus regardés dès sa sortie le 15 février 2023. Son héroïne principale, l’indocile Lidia, est dépeinte à l’image de la première femme avocate italienne, Lidia Poët.

Cette femme qui a vécu au 19e siècle est une figure historique de la lutte pour les droits des femmes en Europe. Mais qui était-elle vraiment ?

Lidia Poët, ses premiers pas dans le droit

La série italienne réalisée par Guido Luculano et Davide Orsini retrace la vie d’une jeune femme passionnée par la justice et les faits divers impossibles à démêler. Si plusieurs éléments de la fiction sont purement inventés, l’héroïne incarne bel et bien Lidia Poët et son combat pour être avocate dans un monde patriarcal.

La jeune femme interprétée par Matilda De Angelis est née le 26 août 1855 à Traverse (devenue depuis Perrero, province de Turin, en Italie). Née dans un milieu social aisé, l’érudite a grandi au sein d’une famille « vaudoise de propriétaires ruraux aisée et éduquée », relate le média spécialisé dans les reportages et l’Histoire, Geo, dans un article publié le 7 mars 2023.

Proche de son frère et avocat Giovanni Enrico Poët, la jeune femme s’inscrit à la faculté de droit de l’université de Turin. Le média italien Torino Corriere a d’ailleurs retrouvé un article du Corriere della Sera (quotidien italien le plus diffusé du pays, publié à Milan) datant du 7 août 1877 qui évoque l’avocate : « Les journaux de Turin annoncent qu’une jeune fille de Pinerolo, Lidia Poët, ayant passé son baccalauréat au Liceo di Mondovì, poursuivra ses études à l’université de Turin. » À l’époque il n’y a que quatre femmes dans cette université. Ce n’est qu’à partir de 1876 qu’elles ont toutes le droit d’y aller.

Très jeune, cette dernière se destinait déjà à faire de grandes choses. Selon le Torino corriere, Lidia Poët aurait déclaré à une journaliste être « née pour étudier (…) dans un siècle où les filles ne faisaient que de la dentelle à l’aiguille et du riz au lait ».

En juin 1881, à la fin de ses études, elle soutient une thèse féministe et engagée appelée Étude sur la condition de la femme au regard du droit constitutionnel et du droit administratif dans les élections. Une fois diplômée, la pionnière féministe travaille ensuite au cabinet de l’avocat et sénateur Cesare Bertea. Puis, elle réussit ses examens pour devenir avocate et fait une demande pour rejoindre le barreau de sa province.

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Admise à l’Ordre des avocats

Malgré l’incongruité de sa requête, puisque c’est la première fois qu’une femme en Italie souhaite avoir ce poste, Lidia est acceptée le 9 août 1883. Mais elle ne s’arrête pas là. Déterminée à exercer le droit, la femme passe l’examen théorique et pratique médico-légal de l’Ordre des avocats et procureurs de Turin. Geo souligne que tous ses membres sont exclusivement des hommes.

Après l’avoir réussi et avoir été approuvée par 45 voix sur 50, l’Italienne devient officiellement avocate le 9 août 1883. La version espagnole de National Graphic précise que « Saverio Francesco Vegezzi, le président de l’Ordre, et Carlo Giordana, Tommaso Villa, Franco Bruno, Ernesto Pasquali, quatre autres conseillers, sont favorables à ce que la jeune femme les rejoigne ». Ces derniers se basaient sur les lois civiles italiennes qui indiquaient alors que « les femmes sont citoyennes comme les hommes ».

Cette annonce fait polémique et nombreux sont les hommes qui s’y opposent. Les avocats Federico Spantigati et Desiderato Chiaves iront même jusqu’à démissionner de l’organisation pour montrer leur mécontentement.

L’avocate victime de sexisme

À cette époque, encore plus misogyne, les femmes n’ont pas encore le droit de vote et sont perçues comme le « sexe faible » de la société. Aussi, il était interdit aux femmes de témoigner dans certains procès et d’être témoins à la rédaction d’un testament.

Les arguments des hommes qui s’opposent à la présence de l’Italienne au barreau sont similaires à ceux de certains masculinistes d’aujourd’hui. Certains la renvoient à son physique et prétendent que l’avocate serait une distraction dans les tribunaux. D’autres défendent que ses menstruations l’empêcheraient de travailler correctement.

Selon le média italien spécialisé dans les séries Tvserial, c’est le 11 novembre 1883 que le sexisme l’emporte. Lidia Poët, malgré un appel devant la Cour de cassation, est radiée. La décision est confirmée l’année d’après, la justice italienne a tranché : « une femme ne peut exercer la profession d’avocat ».

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Une vie consacrée à celle des opprimés

Après ce revers, Lidia travaille en secret pour le cabinet d’avocats de son frère Enrico. Et défend les personnes les plus vulnérables comme les mineurs et les détenus. Elle est également infirmière volontaire pour la Croix-Rouge et membre du Comité pour les réfugiés de la municipalité de Pinerolo.

Une femme qui s’est rebellée contre la pensée dominante et le système préexistant.

Féministe engagée, Lidia est présidente du comité italien pro-vote des femmes en 1922. Elles ont le droit de participer au scrutin des élections locales à partir de 1925, et accèdent au droit de vote national en 1945.

Le site d’actualités cinématographiques italien, Cinefilos, qualifie la soeur d’Enrico de « femme non-conformiste, qui ne s’est jamais conformée à l’opinion commune, contournant la norme et sortant des sentiers battus. Une femme qui s’est rebellée contre la pensée dominante et le système préexistant. »

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Reconnue à l’âge de 65 ans

La loi Sacchi de 1919 change la donne et le cours de la vie des femmes italiennes. Celle-ci abolit l’autorisation maritale, qui empêchait les femmes de travailler sans l’accord de leur époux, et leur permet donc d’accéder à presque toutes les fonctions publiques, à l’exception de l’armée et la magistrature, entre autres.

C’est ainsi qu’à l’âge de 65 ans Lidia Poët est officiellement réintégrée à l’Ordre des avocats et procureurs de Turin.

Décédée en 1949, l’héroïne inspirée de la série Netflix et combattante des droits des femmes a marqué l’histoire des femmes italiennes à jamais. Aujourd’hui, plusieurs lieux dans son pays natal portent son nom, notamment un collège public situé à Pignerol (Turin).

Si dans la fiction d’époque, l’intrigue tourne beaucoup autour de ses romances, la vraie Lidia Poët n’a jamais été mariée et n’a jamais eu d’enfants. Interrogée à ce sujet par le Torino corriere, Daniela Trezzi, avocate et descendante paternelle de la figure féministe, regrette que Netflix n’a pas respecté cet aspect de vie : « Il n’y a aucune trace d’un petit ami. De plus, elle n’a jamais fait d’enquêtes, elle ne jurait pas et ne buvait pas d’alcool. Dans la série, son vrai caractère ne ressort pas : les conventions, son engagement pour les femmes, les prisonniers et les garçons abandonnés. »

Elle ajoute également que son fils a contacté l’actrice principale afin que les proches de Lidia Poët l’aident pour son rôle, mais qu’ils n’ont pas été écoutés : « Nous étions déçus car si nous avions voulu reconstituer sa véritable histoire, il y aurait eu tant de choses à raconter. »

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