« L'expérience du vide » et ce avec quoi on fait semblant de le remplir

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Aujourd’hui, « L’expérience du vide » de Anne-France Larivière est paru le 6 mai 2021 aux Éditions Éditions de l’Aube

Marceline Bodier, contributrice du groupe de lecture
20 Minutes Livres, vous recommande​ L’expérience du vide de Anne-France Larivière, paru le 6 mai 2021 aux Éditions de l’Aube.
 

Sa citation préférée :

– Je t’écoute. Qu’est-ce qui ne va pas ?
– Eh bien, je me lobotomise chez les fous ; je gagne ma vie en travaillant, en résumé.

 

Pourquoi ce livre ?

  • Parce que ce livre se passe dans une administration présentée comme absurde, et c’est souvent drôle, notamment les mails de la com’interne : abus de sigles (« quatre thèmes sont régulièrement abordés : ORG, MOD, VIE et POL. Mais peut-être avez-vous d’autres besoins, d’autres envies ? ») ; annonce de séminaire dont l’objectif est de « projeter la direction dans la phase à venir (…) afin de faire direction » ; explications douteuses d’un déontologue sur sa matière qui « commence là où s’arrête le droit » ; un « save the date » avec date à venir… Bref, on pourrait avoir envie de rire !
  • Parce qu’on pourrait aussi avoir envie de pleurer : la vie de Louise a toujours basculé de situation absurde en situation plus absurde encore. Le vide y est partout : pas de père (il a disparu), pas de mère (elle existe, mais se conduit comme un enfant), pas de carrière (ses espoirs de devenir chanteuse se heurtent à la difficulté de percer dans la musique)… Dans ces conditions, comment faire autrement qu’accepter un travail tellement vide que son prédécesseur s’y est jeté (dans le vide) ? Et finalement, s’il y avait pire que le vide : ce avec quoi on fait semblant de le remplir…
  • Parce qu’il est question de culture, puisque Louise finit par comprendre que le rôle pour lequel on l’a embauchée et accueillie comme le Messie a à voir avec la politique culturelle de son administration. Mais on se rend vite compte que c’est un mot vidé de son sens, qui sert d’alibi à tout le monde pour faire semblant d’être utile et pour faire carrière. Sauf à des jeunes qui essayent, eux, d’en vivre en faisant de la musique par passion ; mais ils n’y arrivent pas. Dès lors… que ce soit un roman, produit noble de la culture, qui dénonce cette situation, voilà une belle mise en abyme !
  • Parce que Louise est chanteuse pour le groupe Les Foudroyés, fondé par son petit ami Marco. Malgré ce nom en forme de mort subite, ce n’est pas là qu’est l’expérience du vide : bien au contraire, ce groupe est « le » projet qui fait sens pour elle. Ainsi, au fil du livre, on assiste à des répétitions et des concerts et on sent tout le contraste entre les jours et les nuits de Louise. Mais c’est avec le choix de la nouvelle chanson du groupe, qui clôt l’histoire, que cette double appartenance prend tout son sens. « Que serait la vie sans la musique ? »
  • Parce que finalement, chaque petit bout d’absurdité administrative (le pré carré du « CADAF », le silence autour du prédécesseur de Louise, les agissements du petit chef, leur cortège d’humiliations…) va prendre sens : mais uniquement dans le violent retour de bâton dont l’engrenage aura été enclenché par Louise. Le livre dérape, mais c’est ce qui le rend indispensable : que ferions-nous si nous n’avions pas la solution de la fiction pour faire déraper des situations qu’il vaut mieux garder sous contrôle dans la vie ?
     

L’essentiel en 2 minutes

L’intrigue. Le livre s’ouvre sur un récit, celui de l’arrivée de Louise dans un monde absurde. Mais assez vite, il vire au suspense : qu’est-il arrivé à Benoît, son prédécesseur ? Et lorsqu’il continue sur le mode de la vengeance, il renoue avec l’absurde… qui débouche cette fois sur un sens jouissif.

Les personnages. La galerie de personnages est une vraie comédie humaine, de Jean-Yves (le « CADAF » qui oscille entre ridicule et émotion) à Marianne (élue, personnage spectaculaire que ses administrés confondent… avec une actrice porno), en passant par Matthieu Thomas, le petit chef nuisible et détesté.

Les lieux. La tour est un labyrinthe où Louise découvre des privilèges incompréhensibles pour qui n’appartient pas au microcosme décrit : comment se douter qu’aller « au 18e » est un Graal ? Cela m’a fait furieusement penser à Adrien Deume dans Belle du Seigneur, obsédé par l’idée de « passer de B à A »…

L’époque. Les jours défilent, égrenant un ennui à peine rompu par les week-ends. Jusqu’à ce que leur décompte se mue en un compte à rebours jusqu’à l’échéance du 15 février. Mais la soirée cruciale, ce sera la veille, pour la Saint-Valentin… qui ne ressemblera à rien de ce que vous pouvez imaginer !

L’auteur. Anne-France Larivière signe son premier roman, qui s’inspire de son expérience dans « une grande administration ». En la lisant, on se dit qu’elle a peut-être expérimenté le vide, mais aussi qu’elle a su en tirer de quoi conjurer l’ennui, pour notre plus grand plaisir !

Ce livre a été lu avec un mélange de fous rires et d’angoisse : le monde décrit par l’autrice ressemble furieusement à notre société compartimentée en microcosmes avec leurs jargons et leurs procédures absurdes. Qu’il dégénère en compétition de cynisme n’est pas improbable, mais c’est peu dire que ça ne fait pas envie…

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