Les jeunes artistes de l’Opéra de Paris se déconfinent aussi

  • Pour sa réouverture, le théâtre des Bouffes du Nord, présente « Le Viol de Lucrèce », un opéra composé par Benjamin Britten et mis en scène par Jeanne Candel.
  • Jusqu’au 29 mai, les spectateurs pourront découvrir les jeunes talents de l’académie de l’Opéra de Paris et les musiciens de l’Orchestre-Atelier Ostinato.
  • 20 Minutes s’est glissé dans les coulisses du théâtre à quelques heures avant la première du spectacle.

« Chantez en direction des gradins, faites comme si vous vous adressiez au public », s’exclame le chef d’orchestre Léo Warynski. Cette fois, il ne s’agira plus de faire semblant. À quelques heures du lever de rideaux tant attendu, l’euphorie de la reprise se fait ressentir au cœur du théâtre des Bouffes du Nord. Sur scène, le baryton Timothée Varon transperce de sa voix grave les murs en béton rouges du théâtre et redonne vie, l’espace d’un instant, à ce lieu inanimé depuis de nombreux mois.

Par coïncidence de calendrier, c’est avec Le Viol de Lucrèce, que le théâtre du 20e arrondissement rouvre le bal
ce mercredi. Composé par Benjamin Britten d’après une pièce d’André Obey, cet opéra de chambre revisite le mythe fondateur de la République romaine.

Dans sa distribution, Le Viol de Lucrèce, mis en scène par Jeanne Candel, met à l’honneur des jeunes chanteurs tout droit sortis de l’académie de l’Opéra de Paris, ainsi que les musiciens de l’
Ensemble Multilatérale et de l’Orchestre-Atelier Ostinato, dirigés par Léo Warynski. Une opportunité de réapparaître en scène plus que jamais nécessaire pour ces artistes en devenir, après un début de carrière culturelle très particulier.

Un premier goût d’espoir

Alors que les musiciens s’accordent une dernière fois sur scène, les artistes échauffent leur voix en salle de maquillage. Au cœur de cette débauche d’énergies vocales, la soprano Kseniia Proshina est sereine. Son premier passage sur les planches parisiennes, la chanteuse russe de 26 ans le prépare depuis deux mois et demi. Entre Samara, à l’est de la Russie, la France et l’Italie, la cantatrice s’est fréquemment retrouvée à préparer ses rôles seule devant un écran, notamment celui de Lucia, servante de Lucrèce, qu’elle interprétera ce mercredi soir. « C’est important d’être libre et de savoir être seule. J’ai utilisé ces derniers mois pour moi-même. Mais maintenant j’ai besoin d’offrir cette exaltation aux spectateurs », confie-t-elle.

Pour les jeunes artistes de l’académie de l’Opéra de Paris, ce retour sur scène laisse entrevoir une perspective d’espoir après une période de crise. Depuis son entrée à l’académie en septembre 2018, Timothée Varon a connu un cursus constamment chamboulé par l’actualité : gilets jaunes, grèves des transports, crise sanitaire… « C’est dans ces moments-là qu’on se rend compte de la fragilité de notre art », confie-t-il. Le chanteur de 29 ans profite alors de ce premier rôle sur scène dans le personnage de Tarquin pour prendre du recul sur sa future carrière. « Ce temps de pause permet de prendre conscience que, Covid ou non, le métier pour lequel tu es passionnée depuis des années peut s’arrêter du jour au lendemain. J’en suis d’autant plus reconnaissant d’interpréter ce rôle complexe et de chanter accompagnée par un orchestre », assure Timothée Varon.

Retrouver le public

En quatre semaines de répétitions sur scène, la metteuse en scène, Jeanne Candel, également co-directrice du théâtre de l’Aquarium à Vincennes, salue la motivation et la progression du collectif : « C’était émouvant de voir leurs premiers pas sur scène. Pour certains, il s’agissait de leur première fois devant des spectateurs », déclare-t-elle.

Privés de public pendant le confinement, les artistes de l’académie de l’Opéra de Paris ont pu néanmoins se produire en ligne ou devant des mécènes à l’occasion d’événements. « Une chance », estime Kseniia Proshina, qui a participé au projet. Mais cela n’empêche pas certains chanteurs d’appréhender le moment fatidique du passage sur scène. « Cette fois on se retrouve devant un vrai public, celui qui a payé sa place pour nous voir donc forcément il y a un petit stress en plus. C’est comme retrouver quelqu’un qu’on n’a pas vu depuis longtemps », sourit Timothée Varon.

Pour recréer cette relation de partage et de transmission sans spectateur, Jeanne Candel a misé sur le travail collectif : « Dans cette œuvre, il y a deux distributions. Mais j’ai demandé aux artistes d’assister aux répétitions de tout le monde. Ils ont pu s’imprégner et apprendre des autres, livre la metteuse en scène. Elle conclut à quelques minutes du début du spectacle : « Une de mes professeures de conservatoire m’avait dit cette phrase ‘il faut beaucoup de joie pour jouer une tragédie’. Et ce soir, l’énergie est au rendez-vous. »

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