Les films, séries et documentaires "True crime" font-ils des criminels de véritables stars ?
Pas un seul mois ne se passe sans qu’une plateforme de streaming ne propose pas à ses abonnés une nouvelle créations à propos d’un tueur sanguinaire ou d’un fait divers mystérieux. Et pour cause, ces productions haletantes sont visionnées à une vitesses folle, par des millions de spectateurs et deviennent même des sujets de discussion médiatiques.
Genre anglo-américain né dans les journaux au 19e siècle, puis popularisé par Truman Capote avec De sang-froid (1965), le True crime,ou « crime réel » en français, consiste à dépeindre des faits criminels ayant réellement eu lieu dans des films, séries ou documentaires. Une source presque intarissable de contenus spectaculaires et inquiétants.
Mais d’où vient cette tendance à s’intéresser aux vilains, au détriment des victimes dont les traumatismes sont exposés, mis en scènes et décortiqués pour le grand public ?
Une audience majoritairement féminine
Attrait du label « histoire vraie », curiosité morbide, besoin de se faire peur, mais aussi de comprendre comment une personne peut commettre des actes aussi affreux… Ce type de récit, à mi-chemin entre journalisme d’investigation et polar, a toujours été très populaire. « Les enfants adorent qu’on leur raconte des contes de fée, les ados se racontent des histoires de légendes urbaines et les adultes regardent du True crime. Ça ne date pas d’hier », constate Emily Tibbatts, autrice du livre UK Serial Killer (2019) et créatrice du site de référence tueur en série.org.
Le genre a toujours attiré un large public, mais plusieurs études citées par le média canadien 24 heures ont constaté qu’il était consommé en majorité par des femmes : « Je me demande si elles ne recherchent pas un mode d’emploi pour échapper à un assassin si jamais elles se font agresser un jour. Est-ce que la victime est tombée dans un piège ? Comment a-t-elle réussi à s’échapper ? Elles se sentent plus fortes, mieux armées », analyse Emily Tibbatts.
Le nouvel âge d’or du "True crime"
Ces dernières années, la montée en puissance de nouveaux formats – les podcasts et les docu-séries – fait vivre au True crime un nouvel âge d’or. Depuis 2014, le podcast américain Serial, créé par la journaliste Sarah Koenig, connaît un succès phénoménal. D’innombrables autres productions se sont engouffrées dans la brèche, puis ont connu des adaptations en série : Dirty John, The Shrink Next Door, Dr Death, The thing about Pam…
En 2015, le docu-série The Jinx, diffusé sur HBO, s’est concentré sur Robert Durst, un homme d’affaires suspecté d’un triple meurtre. Après avoir échappé à la justice pendant plus de 20 ans, il se vante dans le dernier épisode de les avoir « tous tués » ! Direction la prison. Le True Crime n’est jamais aussi satisfaisant que quand le méchant finit derrière les barreaux.
La même année sur Netflix, Making a murderer a retracé l’affaire Steven Avery, qui a passé 18 ans en prison pour agression sexuelle avant d’être innocenté par un test ADN. Deux ans plus tard, il est accusé du meurtre de Teresa Halbach, par le même département de police qu’il poursuit pour mauvaise conduite lors de la première affaire l’incriminant.
Tous les ingrédients d’un bon True crime sont là : un meurtre à élucider, une enquête au long cours et une exploration des méandres du système judiciaire et carcéral. Rebondissements, flashbacks, voix-off, cliffhangers… Ce docu-série applique des outils de narration sériels classiques pour tenir son public en haleine.
Si les débuts du True crime ont été marqués par la figure du journaliste d’investigation, la révolution numérique a multiplié les vocations d’enquêteur·ice·s en herbe, qui investissent notamment YouTube, note Slate. En 2019, le docu-série Don’t F**k With Cats : un tueur trop viral a suivi l’enquête d’un groupe de Sherlock Holmes du web, qui a activement aidé la police à arrêter le tueur canadien Luka Magnotta, en analysant à la loupe ses vidéos postées en ligne.
Netflix continue de tirer le très bon filon du docu-série en 2020 avec Tiger King, qui suit la vie rocambolesque de Joe Exotic, un exploitant de zoo coiffé d’un mulet blond et obsédé par les armes à feu. Ici, on se focalise sur la personnalité du criminel, pour en faire une icône du mauvais goût. Et ça cartonne.
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Tueurs glamourisés, victimes invisibilisées
En dépit de la diversité des affaires décrites, la figure du tueur en série reste le grand méchant loup indétrônable du genre, souvent dépeint comme un « génie du mal ». « C’est l’effet Hannibal Lecter, explique Emily Tibbatts. Avant Le Silence des agneaux(1991), les tueurs en série étaient représentés comme des fous. C’est de lui que vient cette figure du serial killer extrêmement violent mais aussi fascinant, glamour, intelligent. L’immense majorité des tueurs en série possède en réalité un QI dans la moyenne. »
Il y a une glorification des tueurs qui invisibilise complètement l’existence, la réalité et l’humanité des victimes.
Hollywood a plus d’une fois franchi la fine ligne qui sépare fiction et réalité dans le True crime, au détriment des victimes et de leurs proches. En 2022, la série Dahmer retraçait les crimes d’un tueur en série américain qui s’en prenait en majorité à des hommes noirs et gay.
« C’est l’homophobie totale de la police de Milwaukee qui a permis à Jeffrey Dahmer de faire autant de victimes. Et ça, on le sent à peine dans la série. C’est le problème de ces séries, comme des docu-séries sur Ted Bundy : il y a une glorification des tueurs qui invisibilise complètement l’existence, la réalité, l’humanité des victimes », regrette Emily Tibbatts.
Par ailleurs, le genre a la fâcheuse habitude d’être « très centré sur des femmes blanches assassinées ». Or, dans la vraie vie les premières victimes de ce genre de crimes sont « les travailleuses du sexe, assassinées par leur client, ou de jeunes hommes noirs défavorisés ».
La production avait pourtant assuré vouloir rendre hommage aux victimes, la plupart du temps réduites à de la chair à canon sans passé ni histoire. Mais comme d’autres séries avant elles, Dahmer reste obsédée par son tueur en série, et sa narration crée une empathie mal placée envers le personnage principal. Les familles des victimes, elles, ont fait entendre leur désapprobation. Pour autant, Evan Peters a reçu un Golden Globe saluant sa performance et la série a battu des records d’audience.
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Des criminels stars
Le genre du True crime a toujours entretenu des liaisons dangereuses avec le sensationnalisme. Une affaire récente illustre parfaitement les problèmes déontologiques qu’il pose. En février 2023, le meurtrier Charles Sobhraj – qui a sévi dans les années 70 en Asie du Sud-Est et a fait l’objet de la série Netflix Le Serpent (2021) – est libéré de prison pour raisons de santé.
De retour en France, il a couru les médias (dont BFMTV et l’émission Quelle époque sur France 2 pour clamer son innocence et faire la promotion de son autobiographie. « Je n’ai pas compris qu’on laisse une chose pareille se passer à la télé. Pour les victimes, les familles des victimes, c’est une honte absolue », s’étonne l’autre spécialisée dans le genre. Sur Twitter, même le journaliste phare des faits divers, Christope Hondelatte, avait critiqué la tapis rouge déroulé à Charles Sobhraj dans les médias.
La starification des tueurs en série n’est pas nouvelle. Dès le 20e siècle, la personnalité du meurtrier Désiré Landru fait les choux gras de la presse. Surnommé le « Barbe-Bleue de Gambais », ce tueur français condamné à mort en 1922 pour le meurtre de 10 femmes et un enfant était particulièrement médiatique.
Avec cette obsession pour ce qu’il se passe « dans la tête du tueur » pour raconter les faits, les contenus True Crime ne tourneraient-ils pas en rond ? Pour Emily Tibbatts, les « sujets phare changent en fonction des époques. À la mode depuis 5/6 ans, les tueurs en série seront peut-être détrônés par d’autres sujets. On devrait évoluer vers davantage de considération pour les victimes, mais aussi se centrer sur les enquêtes non-élucidées. » La spécialiste en est certaine, « le genre a encore plein de sujets à explorer. »
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