« Les fake news peuvent aussi nous amener à la fin du monde », observe Bénabar

Dans le clip de son titre « Oui et alors », sorti en avril, Bénabar imagine les dernières heures d’un homme avant la fin du monde. L’occasion d’aborder le sujet avec lui

Que feriez-vous s’il ne vous restait plus qu’une journée à vivre ? C’est la question que s’est posée Bénabar pour le clip de Oui et alors, tiré de son neuvième album Indocile Heureux, sorti au mois de janvier. La vidéo s’ouvre sur un journal télévisé qui annonce l’entrée en collision d’un astéroïde avec la Terre et la disparition imminente de l’humanité.

Devant la caméra de David Fontao (PLK, Mister V, Izia…), le chanteur interprète un homme un peu aigri qui plonge dans la débauche avant la fin du monde. Un clip pré-apocalyptique aux allures de carpe diem. L’occasion d’explorer le monde de demain avec Bénabar pour cette nouvelle interview futur.

Votre clip commence par une information selon laquelle un astéroïde menace la Terre et l’espèce humaine. Le héros de l’histoire -vous- décide de passer une nuit décadente en attendant la fin du monde, est-ce une question qui vous taraude ?

C’est une idée du réalisateur David Fontao qui correspondait à la chanson –Oui et alors-. Les humains ont toujours su qu’ils avaient une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Dès qu’un astéroïde passe près de la Terre, les médias font les gros titres dessus. Ça nous met tous la pression. Et quand on lit l’article avec plus d’attention, on découvre que le risque est infime, voire nul. Ils entretiennent un peu cette paranoïa. L’album a un côté carpe diem, profitons du moment présent. Le carpe diem, c’est aussi l’idée que tout va s’arrêter et peut-être de façon très violente donc il faut profiter. C’est une vision joyeuse de la fin du monde.

« Contrairement à ce qu’on dit, les achats de streams ne concernent pas seulement les rappeurs »

Vous parlez dans « Oui et alors » du temps qui passe, de l’oubli, de nos traces qui disparaissent, n’est-ce pas antinomique avec l’intonation fataliste du titre de la chanson ?

Ça s’inspire d’une conversation où quelqu’un nous exprimerait ses doutes et sa trouille en pensant à l’avenir. Et la personne en face lui répond : « Oui tu as raison, ça va mal se terminer, et alors ? » Une fois que tu as dit ça, tu n’as rien dit. C’était le dispositif du récit.

Grâce à l’intelligence artificielle, les chanteurs pourraient ne jamais disparaître et même continuer à écrire des chansons. Récemment, le projet Lost Tapes Of The 27 Club a créé des titres inédits de Nirvana ou Amy Winehouse, qu’est-ce que vous en pensez ?

C’est la fête foraine. Par définition, l’art, ce n’est pas créer la suite évidente. Il faudrait que l’intelligence artificielle divorce, se casse une jambe, vive… A 60 ans, Kurt Cobain n’aurait pas écrit la suite logique des chansons qu’il a composées à 20 ans. Ce qui me frappe, ce sont les deep fakes, par contre. Là, on va pouvoir faire dire n’importe quoi à n’importe qui. Les journalistes vont avoir du boulot sur le fact-checking. La moitié des rédactions vont se consacrer à ça. C’est déjà un peu le cas mais je pense que ça va s’accélérer. Je suis aussi sensible à ça dans mon boulot.

C’est-à-dire ?

Dans la musique, c’est quotidien. Mon métier n’a jamais été à ce point tordu : les fausses ventes de disques, les achats de streams pour gonfler des chiffres. Au final, on s’en fiche, mais dans le journal, l’information est fausse. Les plateformes de streaming (Spotify, Deezer…) commencent à regarder de plus près. Il existe tellement de moyens de contourner la réalité. Et contrairement à ce qu’on dit, les achats de streams ne concernent pas seulement les rappeurs. C’est un système global. Il y a dix ans, l’industrie du disque avait déjà cette habitude. Si vous vendiez 100.000 disques, on disait que vous en vendiez 150.000. Tout le monde en rajoutait un peu, et tout le monde le savait. Tout le monde était obligé de mentir car, si vous disiez la vérité, cela voulait dire que vous en aviez vendu moins. C’était un cercle vicieux. Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, c’est tellement facile de tricher, de détourner un peu les choses.

Avez-vous plus peur des fakes que de la fin du monde ?

J’ai évidemment très peur de la fin du monde, ça fait partie des problèmes philosophiques. Les fake news peuvent aussi nous amener à la fin du monde. Quand on voit certaines théories du complot, il y a de quoi avoir peur. Autant remettre des bûchers et brûler les gens…

Selon vous, la crise sanitaire a-t-elle permis à l’industrie de la musique d’entrer dans le futur, entre les lives Instagram, les festivals virtuels… ?

Au contraire, je pense que ça a été très malvenu pour la musique. Il n’y a pas de tournée, de public… Ce qu’on en voit ne correspond pas à la réalité. Ceux qui partent en tournée, et c’est valable pour le théâtre, d’un coup, ils perdent leur réalité. Et ils n’ont pas toujours la puissance numérique et médiatique pour lutter.

Quelle est votre idée du monde qui nous attend ?

J’espère qu’on va aller vers un plus grand de réalité. On le voit notamment à travers la consommation. De plus en plus de gens privilégient les circuits courts, la saisonnalité et l’agriculture durable. Je pense aussi à la mise en valeur des paysans et des artisans, qui sont dans le réel. Ce n’est pas une coquetterie de parisiens satisfaits, je pense que c’est une bonne chose. Ça nous apprend qu’on est tous solidaires, c’est aussi le principe de la pandémie. Si une personne est malade, on va l’être dans peu de temps. Il faut soigner tout le monde ou personne.

« Il est rare qu’une insomnie fasse naître une chanson impérissable ou une idée qui change la face du monde »

Pour vous, le futur sera ambiance collapsologie ou ambiance transhumaniste ?

Je n’ai pas la trouille du progrès. La technologie est un outil. Une tronçonneuse permet de couper des arbres pour se chauffer et de découper ses voisins. Comme pour tous les outils, il y aura toujours des gens pour détourner la technologie et l’utiliser pour faire des horreurs. Mais je crois assez à la technologie. Pour ce qui est de la collapsologie, sans pour autant croire à l’apocalypse, on a tous compris que les ressources naturelles sont limitées, à part peut-être Donald Trump… Tout le monde a compris qu’il faut faire attention et ça rejoint l’idée de consommer de façon raisonnée…

Edith Piaf a dit : « Dormir, c’est du temps perdu. Dormir me fait peur. C’est une forme de mort ». Qu’en pensez-vous ?

Je partage plutôt cette idée. Je suis un peu insomniaque, c’est pour ça que j’aime bien les tournées. J’aime bien la partie manuelle de mon métier : s’écrouler fatigué et, il faut l’admettre, un peu bourré dans un bus. Il y a quelque chose de physique quand on a été pendant deux heures sur scène. J’aime bien cette partie pour bien dormir. Sinon, je ressasse, je cogite, mais pas forcément des choses intéressantes. Il est rare qu’une insomnie fasse naître une chanson impérissable ou une idée qui change la face du monde. On ressasse souvent des conneries qu’on a entendues plus tôt.

Bob Dylan a dit : « Le passé n’existe pas puisqu’il est passé, le futur n’est pas encore là ; en conséquence il n’y a que le présent puisqu’on y est ». Qu’est-ce que cela vous évoque ?

Il enfonce un peu des portes ouvertes, Bob ! Je l’ai connu plus inspiré. J’ai ce côté-là, carpe diem, qui va avec les copains, la bouffe, refaire le monde en m’ouvrant une quatrième bouteille de vin, jouer de la trompette à table… Je ne pourrais pas me passer du carpe diem. Dans le clip, c’était avec des jeunes qui fumaient des pétards. Moi, c’est nettement plus bourgeois. C’est plutôt vin rouge, bonne bouffe… Je suis un vieux chanteur installé.

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Pouvez-vous réagir à cette image de votre clip ?

C’est aussi une idée de David Fontao, le réalisateur, de mélanger une esthétique très 1990 à celle d’aujourd’hui. Il voulait une ambiance à la Wes Anderson… Mélanger les époques pour qu’on ne puisse pas vraiment déterminer la période dans laquelle l’histoire se passe. L’esthétique rétrofuturiste lui plaisait bien. Et j’aime bien le côté graphique qu’ils ont donné au clip.

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