Les expéditions de Jacques Cartier : des échecs porteurs d’espoir

Trouver une voie vers la Chine, et même de l’or et des diamants…Entre 1534 et 1542, les trois voyages au Canada de Jacques Cartier, mandaté par François Ier, suscitent bien des espoirs, qui seront vite déçus. Mais l’aventure contrariée du navigateur préfigure d’un demi-siècle la colonisation française de l’Amérique du Nord.

L’aventure du Canada débute en Normandie, entre les murs de granit de l’abbaye du Mont Saint-Michel. Le 8 mai 1532, François Ier s’y rend en pèlerinage, accueilli par le prélat Jean Le Veneur. Ce dernier lui présente Jacques Cartier, un marin expérimenté de 41 ans, qui propose au monarque un projet séduisant : trouver pour la France un accès aux soies, aux épices, et aux fabuleux trésors de la Chine convoités par l’Europe entière depuis que Marco Polo a ouvert la voie au XIIIe siècle.

« François Ier avait besoin de trouver des fonds pour financer ses guerres. Quant à Jacques Cartier, il est animé par l’esprit de découverte, et comme beaucoup d’autres aventuriers de l’époque, par le désir de gagner l’Asie pour y faire fortune », raconte Yves Jacob, auteur de Jacques Cartier (éd. Grand West, 2013).

En 1524, déjà, en concurrence avec des explorateurs mandatés par le Portugal, l’Espagne et l’Angleterre, Giovanni da Verrazzano était parti explorer la région pour la France. A l’époque, les expéditions de Christophe Colomb avaient fait naître l’espoir de passer par l’ouest : depuis 1453, la voie de terre vers l’Asie, empruntée par les caravanes, était bloquée par les Turcs qui s’étaient rendus maîtres de Constantinople. Mais les résultats prometteurs de l’expédition de Verrazzano avaient sombré dans l’oubli : le roi de France était tout entier occupé par sa guerre contre son cousin Charles Quint.

En 1532, le contexte est plus favorable. Les relations avec l’empereur se sont apaisées et François Ier, soucieux de remplir ses caisses vidées par la guerre, veut aussi contester la domination des mers par les Portugais et les Espagnols. Le projet d’expédition que lui propose Jacques Cartier sert donc ses ambitions. Et son profil semble idéal : introduit dans la bonne société grâce à son mariage avec la fille du connétable de Saint-Malo en 1520, le Breton, fils de pêcheur morutier, est rompu aux voyages au long cours. Le 19 mars 1534, François Ier le nomme « pilote marinier, capable en raison de ses voyages au Brésil et Terre-Neuve, de conduire des navires à la découverte de terres nouvelles dans le monde nouveau pour le Roi ».

Jacques Cartier quitte Saint-Malo le 20 avril mai 1534

Un mois plus tard à peine, le 20 avril mai 1534, un équipage modeste quitte le port de Saint-Malo, lesté d’espérances immenses. Cap sur l’ouest ! A bord de deux embarcations de taille moyenne, 61 hommes accompagnent Jacques Cartier pour cette expédition exploratoire qui durera 137 jours. Le 10 mai, après une escale au havre Sainte-Katherine, à Terre-Neuve, zone déjà parfaitement connue des morutiers, l’équipage contourne l’île, franchit le détroit dit des Châteaux. Enfin, il s’engage dans cette étendue d’eau que nul n’a encore cartographié, et qui s’étend jusqu’à l’horizon. Peut-être, la voie tant espérée vers la Chine…

Deux mois durant, l’équipage cherche, tâtonne, décrivant une gigantesque boucle dans ce que Cartier nommera plus tard la baie de Saint-Laurent. Les débuts ne sont guère prometteurs : les premières rives longées au nord présentent un paysage « de pierres et de roches effarables [effroyables en vieux français] ». En bifurquant vers le sud-est, l’expédition croise plusieurs îles fertiles, couvertes de blé sauvage. Puis, le 3 juillet, le grand moment semble enfin venu ! L’équipage atteint la baie des Chaleurs qui s’enfonce dans la côte du Nouveau-Brunswick. S’agirait-il du passage tant désiré ? Hélas, l’exploration met très vite fin à cet espoir.

La baie de Gaspé, des Amérindiens accueillants… Les premiers contacts sont prometteurs

Le chemin vers l’Asie demeure introuvable, mais le pays lui-même semble riche en opportunités. Aux abords de la baie, la terre est « belle et bonne […] avec abondance de fruits et de beaux arbres ». Les navigateurs y sont chaleureusement accueillis par le peuple des Micmacs qui leur offrent du poisson, acceptent de troquer fourrures contre couteaux. Ils pourraient se montrer « faciles à convertir en notre sainte foi », estime Jacques Cartier. La nature aimable des autochtones se confirme lorsqu’en juillet, l’équipage, qui a repris sa route, atteint la baie de Gaspé. « Nous descendîmes librement au milieu d’eux, dont ils se réjouirent beaucoup, et tous les hommes se mirent à chanter et danser en deux ou trois bandes, et faisant grands signes de joie pour notre venue », écrit Jacques Cartier, relatant sa rencontre avec les Iroquoiens venus de Stadaconé (qui deviendra Québec) pour pêcher le maquereau.

Une fois affirmée la présence française en installant une croix de 9 mètres de haut et un écriteau qui proclame «Vive le Roy de France ! », l’équipage repart pour tenter de contourner l’île d’Anticosti par le nord : impossible d’avancer, tant les courants sont puissants. Là encore, on espère un passage… Hélas, la saison est trop avancée pour explorer plus avant. Marin émérite, Jacques Cartier sait qu’il lui faut rentrer sous peine d’être bloqué par les glaces, alors que ses moyens sont insuffisants pour passer l’hiver sur place.

« Pour convaincre François Ier de mener une nouvelle expédition, Cartier sait qu’il a plusieurs arguments pour lui  : les possibilités de trouver la voie vers l’ouest n’ont pas été toutes explorées. De plus, il emmène Domagaya et Taignoagny, fils de Donacona, roi des Iroquoiens, qu’il a convaincus par la ruse de monter à bord. Ils seront la preuve que la terre sera facile à coloniser », explique Yves Jacob. Arrivés en France, en septembre 1534, les Iroquoiens raconteront que leur terre renferme « grande quantité d’or et de cuivre rouge »…

Jacques Cartier entreprend une deuxième expédition en 1535

Il y a là assez d’arguments pour que le roi décide de financer une deuxième expédition, en y mettant des moyens plus conséquents. Et moins d’un an plus tard, le 19 mai 1535, à Saint-Malo, Cartier reprend la mer avec un imposant équipage composé de trois bateaux de la marine royale, La Grande Hermine, navire amiral, La Petite Hermine et L’Emerillon. A bord, 112 officiers et matelots, mais aussi quelques nobles en quête d’aventure et un commissaire de bord, Jan Poullet, sire de Dol, chargé de rédiger le futur rapport au roi…

Cette fois-ci, passée l’étape de Terre-Neuve, les navires filent directement vers l’île d’Anticosti, qu’ils contournent par le sud. Et c’est ainsi qu’à la mi-août, espérant de nouveau avoir trouvé la fameuse voie vers la Chine, Jacques Cartier devient le premier navigateur européen à remonter le fleuve Saint-Laurent au-delà de son estuaire. Un mois durant, au rythme d’une navigation lente, l’équipage observe avec attention les rives. A la mi-septembre, il jette l’ancre aux abords d’une petite rivière, que Cartier nomme Sainte-Croix, en face du village de Stadaconé.

La terre fertile de l’île d’Hochelaga

Prudent, le marin décide de poursuivre la descente du fleuve avec un seul bateau, L’Emerillon. Mais le 2 octobre, lorsque l’équipage atteint l’île d’Hochelaga, c’est une nouvelle déception : des « sauts d’eau impérieux » empêchent les explorateurs d’aller plus loin. La route pour la Chine n’est pas encore trouvée. Comme une consolation, l’île conforte les impressions du premier voyage. Cartier y voit « les plus belles et meilleures terres qui soient », des « vignes chargées de raisin », « des chênes aussi beaux qu’il y en ait en forêt de France ». La bourgade de 3 000 habitants est prospère et accueillante… Autant de prémisses favorables à une possible colonisation….

Une fois baptisé l’endroit « Mont Royal » (actuel Montréal), Jacques Cartier repart pour Stadaconé. Mais durant son absence, les relations se sont dégradées entre les marins restés sur place et les autochtones, lesquels ont compris que les cadeaux qu’ils avaient reçus étaient sans valeur. Jacques Cartier s’applique à apaiser les Iroquoiens, précieux auxiliaires pour découvrir le pays : il a en effet décidé de passer l’hiver sur place, afin de poursuivre ses prometteuses explorations dès le printemps.

Méconnaissant les rigueurs du climat, le marin tombe dans le piège de l’hiver canadien. Vingt-cinq membres de l’équipage y laissent leur vie, victimes des grands froids de novembre et du scorbut. Il faut renoncer. Après avoir érigé une nouvelle croix aux armes du roi de France, l’explorateur reprend la mer. « S’il estime qu’il ne faut pas compter sur la découverte d’une voie vers la Chine, Jacques Cartier est convaincu qu’il est possible d’établir une colonie sans trop de frais. Il a découvert des sites qui offrent de belles perspectives pour l’agriculture. Et à nouveau, il va donner aux Iroquoiens le rôle d’ambassadeur. Cette fois-ci, il est même reparti avec leur roi, Donacona », précise Yves Jacob.

La troisième expédition de Jacques Cartier

Mais en juillet 1536, lorsque les trois navires s’amarrent à Saint-Malo, c’est l’Italie qui préoccupe le roi : de nouveaux affrontements avec Charles Quint s’y préparent. Il faudra attendre cinq années avant que François Ier ne se décide à réaliser le projet de colonisation proposé par Jacques Cartier. L’explorateur n’en sera qu’un auxiliaire : à la tête d’une telle entreprise, il faut impérativement un noble, seul capable d’apporter des capitaux et légitime à « instituer des cadres militaires et juridiques et d’exercer tout pouvoir exécutif et législatif » au nom du roi.

Ce sera Sir de Roberval, qui s’est distingué dans les campagnes d’Italie. Las, l’aventure ne commence pas sous les meilleurs auspices : le noble peine à mettre sur pied son équipage, au point qu’en mai 1541, François Ier, impatient, ordonne à Jacques Cartier de partir sans l’attendre. Accompagné de 1 500 hommes, l’explorateur atteint Stadaconé le 23 août. A l’entrée de la rivière du Cap Rouge, il installe un établissement, qu’il nomme Charlesbourg-Royal, en honneur au troisième fils du roi. Là, il fait édifier des forts, cultiver les terres fertiles…

Les diamants de Jacques Cartier ? De la pyrite sans valeur

Un jour, c’est la surprise. Près de l’une des constructions, on trouve des « pierres comme Diamans, les plus beaux, polis et merveilleusement taillés qu’il soit possible à homme de voir ; et lorsque le Soleil jette ses rayons sur iceux, ils luisent comme si c’étoient des étincelles de feu ». Les colonisateurs sont aussi tombés sur « certaines feuilles d’un or fin aussi épaisses que l’ongle »… Immédiatement, Jacques Cartier décide d’envoyer en France les précieux métaux pour les faire expertiser. Mais à l’été 1542, faisant escale à Terre-Neuve, l’explorateur croise Sire de Roberval. Celui-ci, qui a enfin réussi à partir, ordonne à Jacques Cartier de revenir au Canada. Nuitamment, l’explorateur cingle vers Saint-Malo, attentif à ne pas faire arraisonner sa précieuse cargaison par les pirates qui sillonnent les mers… Qu’importe sa désertion, au regard de la fortune qu’il apporte au roi ? Hélas, à Paris, bien vite, le verdict de la Cour des Monnaies tombe. Il est sans appel. Les diamants ? Du cristal de roche ! L’or ? Rien que de la pyrite… A la Cour, à nouveau, on se gausse : l’expression « faux comme un diamant du Canada » fait florès.

Auparavant, c’était Sire de Roberval, avec ses préparatifs erratiques, qui avait été surnommé « roi de nulle part »… D’ailleurs, ses espoirs de coloniser le pays s’écroulent : privé des hommes repartis avec Jacques Cartier et de sa connaissance des lieux, Sire de Roberval échoue à s’installer durablement. Il finit par revenir en France. Au final, « le bilan de Jacques Cartier a été de faire rêver la France en découvrant ces terres lointaines. En revanche, il n’a pas trouvé de voie vers l’ouest, ni réussi la colonisation du Canada », analyse Yves Jacob. L’explorateur, ruiné par son investissement personnel dans les expéditions, terminera sa vie dans le manoir de Limoëlou, près de Saint-Malo. Il faudra attendre un autre roi, Henri IV, et cinquante années de plus, avant que Samuel de Champlain, explorateur et géographe, ne fonde la ville de Québec en 1608 et n’initie une colonisation française qui durera jusqu’en 1763.

? En images : Aux origines du Québec, l’épopée de la Nouvelle-France.

➤ Article paru dans le magazine GEO Histoire de février – mars 2021 sur les origines du Québec (n°55).

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