Le zumping ou quand rompre par visio devient "tendance"

Et si en plus d’exacerber notre phobie des appels en visio le succès de l’application Zoom avait aggravé la situation des couples à travers le monde, ou tout du moins leur communication ? C’est ce que pourrait suggérer un néologisme tout frais, à la fois triste et intriguant par ce qu’il raconte de nos amours solitaires : le Zumping.

Derrière cet intitulé en forme d’onomatopée burlesque (qu’on croirait tout droit sortie de la série Batman des années 60) se cache un véritable phénomène dont semblent témoigner bien des anonymes : le fait de se faire plaquer en plein appel vidéo. Tout simplement. Si si, ça existe, et ça n’a rien de fantastique.

On connaissait déjà la rupture par textos (vieille comme les portables à clapet) et la rupture par Skype (pour les plus nerds) il faudra désormais compter sur cette déclinaison dont l’émergence ne nous réjouit guère. Faut-il y voir là l’illustration d’une certaine désincarnation des sentiments à l’heure de la distanciation sociale ?

On s’interroge.

« Suis-je la première personne à avoir été larguée via Zoom ? »

« Suis-je la première personne à avoir été larguée via Zoom ? ». C’est ce que s’est demandée la journaliste américaine Julia Moser l’espace d’un tweet devenu viral. L’an dernier, la rédactrice s’est permise de relater sa triste expérience sentimentale sur le site d’informations Buzzfeed. « Je suppose que c’est l’un de ces moments du style : la vie continue, même dans une pandémie mondiale ? », suggère avec humour la principale concernée.

Mieux vaut en rire qu’en pleurer. Pour la journaliste, voir débarquer une annonce de séparation le temps d’un simple appel en visio, et ce en pleine pandémie, était une expérience aussi déconcertante que « frustrante », narre-t-elle. D’autant plus qu’elle n’a pas bénéficié d’une très bonne connexion Internet. Son petit ami a formulé leur rupture « pendant que [nous étions] en train de freezer », confie-t-elle. On visualise le tableau.

La rupture par visio combine donc en un curieux mélange le ridicule (de la situation) et la lâcheté (de l’acte). Pas le plus savoureux des cocktails s’il en est. Mais le plus dur à avaler reste encore l’après : « Il y a quelque chose de particulièrement blessant dans ce contexte de crise sanitaire mondiale. Je ne peux pas inviter mes amis pour qu’ils m’apportent des gâteaux et du vin. Pleurer sur FaceTime avec votre soeur n’est pas la même chose que d’essuyer votre morve sur son épaule », développe la journaliste du côté de Buzzfeed.

Il n’en fallait dès lors pas plus pour que le Guardian s’interroge sur « l’apogée du zumping ». « Maintenant, de la recherche de l’amour à la fin de relations autrefois prometteuses, tout se passe en vidéoconférences », ironise à moitié le journal britannique. En somme, si confinements et autres couvre feux ont volontiers laissé le chatting, l’appel vidéo voire le sexting comme seules options d’expression amoureuse un tant soi peu interactive (et plus si affinités) il semblerait que le distanciel ne soit en rien antinomique avec l’annonce d’une séparation.

Ça fait mal.

Des néologismes en pagaille

Depuis l’émergence de ce phénomène à la fois neuf (dans la forme) et si familier (dans le fond), bien des néologismes s’accumulent dans les médias pour conférer des mots (à défaut de sens) à ces ruptures brutales par écrans interposés. On parle ainsi de « Skumping » pour qui se fait plaquer via le logiciel d’appels audio et vidéo Skype. De « FaceTumping » lorsque la rupture s’effectue par FaceTime (autre fétiche de nos apéros confinés). Mais aussi de « Housepumped » quand c’est l’application de chat vidéo House Party qui entre en jeu.

« Une utilisatrice de Twitter a également révélé qu’elle avait été larguée sur Tumblr, tandis qu’une autre a déclaré que son petit ami avait rompu avec elle sur FaceTime », énumère encore le Guardian. Au fond, peu importe le flacon pourvu qu’on ait une rupture rapide, sèche et sans épilogue. Et, il faut l’avouer, sans grande bravoure non plus. A chaque nouveau logiciel ou application, ses flirts et, fatalement, les ruptures et râteaux qui s’ensuivent.

Aujourd’hui, le SMS de rupture est définitivement devenu has been (pourquoi le faire par écrit quand les messages audio et vidéo existent ?), mais ses héritiers ne sont pas forcément plus enthousiasmants. Héritiers, puisque le Zumping est déjà envisagé non seulement comme l’un des mots-clés de l’amour au temps du coronavirus, mais comme le nouveau descendant d’une longue lignée de pratiques 2.0. Le site d’informations américain Fox News le compare ainsi à l’émergence considérable du ghosting dans la décennie précédente.

Pour rappel, on se fait « ghoster » lorsque la personne avec laquelle nous entretenions une relation disparaît sans donner de nouvelles. Relation d’amitié, amoureuse, ou même professionnelle d’ailleurs. On imagine bien tout ce que le « zumping » peut générer en terme de frustration, à l’autre bout du smartphone ou de la souris.

Le site Body and Soul voit là un phénomène bien réel et palpable. « Le pic mondial de solitude [engendré par la pandémie] a conduit à plus de rendez-vous virtuels, ce qui signifie forcément plus de risques de chagrins », déplore le magazine digital. « Une fois que l’étape de la cyber lune de miel s’est dissipée et que la réalité de la relation s’installe (comme le fait que vous pourriez un jour ou l’autre avoir à rencontrer cette personne dans la vraie vie), les gens commencent à appuyer sur le bouton EXIT », poursuit le site.

A l’origine plate-forme de rendez vous pros, Zoom serait donc devenu l’endroit idéal (autant que redouté) pour sonner la fin des romances. Mais pas de quoi être fataliste non plus. Une fois passée la déception, Julia Moser relativise : « Mon ex ne m’a pas ghostée ou n’a pas fait traîner ça pendant des mois et des mois jusqu’à ce que nous soyons tous les deux fatigués et morts à l’intérieur. Non, il a été simple et direct ». Pas la pire méthode, selon elle.

Et l’autrice de conclure : « Dans un monde où rien n’est certain, ce chagrin-là trouve toujours sa voie. Et c’est magnifique ». Une philosophie que bien des coeurs brisés aimeraient adopter aussi facilement.

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