Le sommeil polyphasique peut-il être une solution efficace contre les insomnies ?

En France, les troubles du sommeil touchent une personne sur trois, selon les chiffres fournis par l’opérateur psychiatrique l’Inicea. Parmi eux, 45 % des 25-30 ans considèrent qu’ils dorment moins que ce qu’ils devraient et 16 % des adultes souffrent d’insomnies chroniques. Un bilan qui ne s’est pas arrangé avec l’utilisation massive des écrans*, ni au cours de l’année 2020, avec la crise sanitaire et les confinements à répétition**. 

Depuis plusieurs années maintenant, les professionnels de la santé alarment sur le manque de repos et les conséquences que peut entraîner un sommeil déréglé, trop court ou perturbé : baisse de régime, affaiblissement des performances mentales (de la mémoire notamment) et de la réactivité, troubles de la concentration, voire soucis graves de santé (troubles cardio-vasculaires, diabète)… Et souvent, le déficit accumulé est difficilement rattrapable, mine le moral et affecte les activités du quotidien.

Le sommeil polyphasique pourrait-il devenir une solution viable pour ceux qui n’arrivent pas à fermer l’œil de la nuit ? Car, au lieu d’adopter le rythme classique monophasique qui consiste à dormir d’une traite la nuit (du grec mono : une seule, et poly : plusieurs), le sommeil est divisé en plusieurs périodes réparties sur 24 heures

D’ordinaire, le sommeil polyphasique est observé chez les nourrissons, qui l’adoptent naturellement (beaucoup de siestes qui se divisent entre des phases de sommeil calme et agité), aux mères qui les allaitent, aux travailleurs de nuit ou aux navigateurs en solitaire, car leur rythme de vie ne leur laisse pas le choix.

Pour autant, rien n’interdit de tenter soi-même la transition, notamment dans des périodes où l’on a besoin de booster sa productivité ou quand les nuits d’une traite semblent impossible. Pour apprivoiser ce mode de repos, respecter les cycles s’avère néanmoins très important.

Les exigences du sommeil polyphasique

Dormir seulement trois heures par jour et rester productif n’est pas une légende. Mais avant de vouloir marcher dans les pas de grands hommes comme Léonard de Vinci ou Napoléon, qui ont eu recours au sommeil polyphasique bien avant nous***, il faut savoir en détail de quoi il s’agit et être au fait des cycles qui constituent notre sommeil.

Un cycle de sommeil est composé de différentes phases : du sommeil léger, qui est l’état de transition entre le sommeil paradoxal et le sommeil profond ; puis intervient le sommeil profond, qui permet de récupérer notamment sur le plan physique (récupération des muscles, renforcement du système immunitaire, etc.). Enfin, le sommeil paradoxal dont le nom vient du fait que notre cerveau est aussi actif durant cette période que lorsque nous sommes éveillés mais qui assure malgré tout une préservation des souvenirs et permet de stimuler la créativité. C’est par ailleurs dans cette troisième phase qu’interviennent les rêves. Chaque cycle dure de 90 à 120 minutes. Donc, durant une nuit classique dite monophasique, les cycles peuvent s’enchaîner jusqu’à cinq fois (temps de sommeil qui dure entre 7 et 10 heures).

Pour effectuer une transition vers un sommeil polyphasique, il faut condenser les périodes de sommeils profond et paradoxal sur une courte durée et discipliner son cerveau pour réduire au maximum le sommeil léger. Plus facile à dire qu’à faire. 

Sommeil en plusieurs phases, chacun son rythme

De fait, il n’est pas si facile que ça de changer ses habitudes et notamment en matière de sommeil. En effet, passer d’un sommeil monophasique dont la routine est bien ancrée au quotidien à un sommeil polyphasique qui demande de répartir consciencieusement ses heures de sommeil sur 24 heures, demande un certain effort et de la volonté. De plus, il existe plusieurs rythmes de sommeil polyphasique : reste à choisir celui qui correspondra le mieux à notre activité, nos capacités et nos besoins. 

  • Le sommeil biphasique, le plus répandu.

Il s’agit de répartir sa nuit en deux plages horaires, découpées comme suit : une période de sommeil nocturne suivie d’une sieste en début d’après-midi, très populaire dans certains pays comme l’Espagne ou le Mexique.

  • Le sommeil everyman,

C’est une sorte de variant du sommeil biphasique. La nuit, plus court, est suivie de plusieurs siestes (allant de deux à quatre).

  • Le sommeil core

Il consiste à dormir deux cycles (soit 3 heures et 20 minutes) puis à rester éveillé quelques heures pour dormir encore pendant deux cycles et enfin de compléter avec une sieste de 20 minutes. 

Ces rythmes sont relativement « faciles » dans la mesure où l’on garde des plages de sommeil assez larges. Mais il existe aussi des rythmes plus intenses qui permettent, à terme, de ne dormir que deux heures en une journée. Mais qui de fait créent rapidement une dette de sommeil, qui peut s’avérer néfaste pour l’organisme.

  • Le sommeil uberman

L’idée est de répartir son sommeil en six siestes de 20 à 24 minutes.

  • Le sommeil dymaxion

Il consiste à faire quatre siestes de 30 à 35 minutes. 

Les avantages réparateurs du sommeil biphasique, donc de la sieste

Une des questions qui revient le plus souvent en ce qui concerne le sommeil polyphasique est celle de ses supposés bienfaits dans la vie de tous les jours. Que ce soit pour les personnes qui souhaitent améliorer leur productivité et remodeler leur rythme de vie ou pour celles qui souffrent de troubles du sommeil ou d’insomnies, le fait de répartir son sommeil sur plusieurs tranches horaires peut-il être une bonne solution ?

Si l’on en croit le Dr. Bertrand de La Giclais, médecin du sommeil et responsable du centre de sommeil à Annecy. Le sommeil polyphasique permet « d’éviter la fatigue chronique ». Dans une interview donnée au Figaro Santé en avril 2019, le spécialiste met notamment l’accent sur le sommeil biphasique, et donc la sieste de l’après-midi, qui aurait de nombreuses vertus. Le rythme est ainsi nettement plus soutenable que ceux décrits plus haut, avec leurs micro-siestes distillées sur 24 heures.

Et puis les avantages de la sieste sont nombreux : elle entraîne une meilleure qualité de sommeil et un regain d’énergie (à condition de respecter les plages horaires et un rythme régulier). L’Institut national du sommeil et de la vigilance affirme sur son site que la sieste a « prouvé ses bienfaits sur la mémoire et la concentration », mais également qu’elle est « une bonne alliée pour lutter contre le stress, réguler le système cardio-vasculaire et améliorer la réactivité. »

De plus, même si les études manquent sur ce sujet, le sommeil biphasique entraînerait une meilleure répartition du sommeil pour les personnes qui souffrent d’insomnies. Ils et elles peuvent ainsi « récupérer » les heures de sommeil manquantes, en faisant une pause dans la journée. De plus, le sommeil polyphasique permettrait de discipliner son cerveau et de l’habituer à atteindre plus vite les phases de sommeil profond et de sommeil paradoxal, qui sont les deux phases réparatrices du sommeil. 

Les risques d’un sommeil déréglé

Cependant, le sommeil polyphasique, lorsqu’il prend la forme de la fragmentation de son sommeil en plusieurs petites siestes, peut tout simplement dérégler le rythme de sommeil.

De fait, dans cette même interview, le Dr. Bertrand de La Giclais souligne que le sommeil polyphasique n’est pas forcément réparateur dans tous les cas. Si l’on observe ceux qui adoptent le sommeil fractionné en plusieurs siestes de 30 minutes, comme les navigateurs en solitaire qui ne peuvent laisser leur navire sans surveillance plus d’un certain laps de temps, on ne dort en réalité pas plus “de trois à quatre heures” et on se retrouve à devoir gérer une “dette de sommeil« , conclut le médecin spécialiste du sommeil.

Ainsi, il est fortement conseillé de ne pas tricher avec son sommeil tant le manque de ce dernier peut entraîner des effets désastreux (comme le démontrait cet article publié en 2015 par CNN, titré « Dormir ou mourir – de plus en plus de chercheurs mettent en garde contre les AVC et les crises cardiaques »). Le meilleur choix, si vous dormez mal ou que vous cherchez à optimiser votre journée ? Optez pour la sieste de l’après-midi.

Et si le sommeil polyphasique reste une option qui vous intéresse, n’hésitez pas à consulter un professionnel de santé avant de l’adopter.

*Une étude menée par l’Observatoire Régional de la santé, intitulée « Le sommeil des jeunes franciliens à l’ère du numérique » a démontré les effets néfastes des écrans sur le sommeil des plus jeunes. https://www.ors-idf.org/fileadmin/DataStorageKit/ORS/Etudes/2020/Sommeil/ORS_SOMMEIL_RAPPORT.pdf

**Selon un sondage réalisé par OpinionWay pour l’Institut national du sommeil et de la vigilance, 45 % des Français ont présenté un trouble du sommeil pendant le second confinement. https://institut-sommeil-vigilance.org/wp-content/uploads/2020/02/INSV-Enquete-JS2021-Synth%C3%A8se.pdf

***France Culture a publié une enquête en mars 2020 retraçant les habitudes de sommeil depuis l’Antiquité, https://www.franceculture.fr/histoire/le-sommeil-dantan-cetait-vraiment-mieux-avant

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