Le Prénom : la scène déchirante où Valérie Benguigui explose à cause de la charge mentale
243. Valérie Benguigui a joué 243 fois ce monologue sur les planches du théâtre Édouard VII, dans la pièce Le Prénom, avant de l’incarner puissamment au cinéma, dans le film éponyme sorti en 2012, et diffusé ce jeudi 20 mai, à 21h05, sur M6.
Quatre minutes dix durant lesquelles le personnage d’Elizabeth, alias « Babou », lâche tout ce qui lui pèse, depuis son enfance. Elle s’est toujours tue. À chaque étape de sa vie de jeune fille, sœur, épouse, mère, elle a toujours tout supporté. Mais une remarque de son mari Pierre, interprété par Charles Berling, rompt son silence long de… toujours.
Ce dernier l’observe les yeux ébahis, l’écoute sans broncher, vissé au canapé. Son arrogant frère Vincent, joué par Patrick Bruel, qui a d’habitude toujours la punchline pour piquer, reste lui aussi muet, tout comme le spectateur, d’ailleurs, qui retient son souffle, scotché par la force de l’interprétation.
Attention, si vous ne l’avez jamais vu, ce papier contient des spoilers importants.
Épuisée de remplir seule les tâches domestiques et parentales
Alors que son époux lui lance qu’elle devrait rappeler sa mère pour s’excuser de lui avoir parler crûment au téléphone (après avoir appris que cette dernière entretenait dans son dos une relation avec son meilleur ami Claude, ndlr), Babou revient sur ses pas, exaspérée.
« Pour m’excuser ? Tu veux que je demande pardon à ma mère ? Et moi, qui va me demander pardon à moi ? » Ainsi démarre la scène la plus culte et la plus émouvante du huis-clos, peut-être, aussi, la plus brillamment écrite.
« Tu vas me demander pardon, Pierre ? », demande-t-elle à son mari qui bégaie : « Mais, mais, je… ». « C’est quoi cet air ahuri ? Je suis folle moi aussi, c’est ça ? (…) Mais tu crois que tu vas te dédouaner avec tes yeux ronds ? Qu’on va se dire ‘Oh la la, le pauvre, avec sa femme hystérique qui lui fait des scènes… ? », enchaîne-t-elle, pointant du doigt le stéréotype sexiste, selon lequel une femme en colère n’est qu’une hystérique.
Et moi, qui va me demander pardon à moi ?
« Tu ne vois pas du tout de quoi je parle ? Y a rien qui te vient là ? Ben je ne sais pas moi, tu pourrais par exemple reconnaitre que j’ai quand même sacrifié ma thèse pour que tu puisses écrire la tienne. Et pendant que monsieur fréquentait Montaigne, qui corrigeait tes copies ? Qui préparait tes cours ? C’est vrai qu’avec mon congé maternité j’avais du temps », ironise-t-elle, soulignant les carrières sacrifiées de certaines femmes, au profit des celles de leurs époux.
Elle enchaîne, bouleversante, sur la répartition des tâches au sein couple : « Ah les enfants, et ben tiens parlons-en des enfants. Qui m’a suppliée d’en avoir parce que les enfants y a rien de plus beau ? Mais tu ne t’en occupes jamais. Enfin, si si si, si je suis vache, le dimanche soir parfois, ça te prend là, tu joues un quart d’heure avec eux, tu les énerves bien en faisant le fou là… Juste avant qu’ils aillent se coucher ! Et après tu me les laisses sur les bras, surexcités, trempés de sueur avec la table à préparer, les histoires à raconter, les devoirs, les pipis, les cauchemars, et toi tu vas t’enfermer dans ton bureau parce que, bon, quand même, faut pas déconner les chiards ça va 5 minutes ! Ah ! Moi aussi, j’aimerais bien avoir le temps de lire une fois de temps en temps, et ben non, elle peut pas Babou ! Ben non, elle a pas le temps Babounette. »
Qui m’a supplié d’en avoir parce que les enfants y a rien de plus beaux ? Mais tu ne t’en occupes jamais.
Le personnage de Valérie Benguigui confie ensuite ce qu’elle perçoit dans l’attitude de son mari, professeur d’université snob : « Tu m’as jamais emmenée à un seul de tes colloques de toute façon, parce qu’en vérité Pierre, tu as un peu honte de moi aussi ! Avec mon p’tit poste, mon p’tit collège, ma p’tite banlieue, ça te fait pas briller hein ? ».
Douloureux souvenirs d’une enfance dans l’ombre du frère « chouchou »
Elizabeth, à bout, cherche ensuite le pardon dans le regard de son ami Claude, puis chez Anna, la compagne de son frère Vincent. Vincent, tiens, elle y vient. Après avoir dénoncé la charge mentale qui lui incombe dans son foyer, elle accuse son frère pour cette charge qui lui pèse depuis leur enfance, et qui lui a toujours servi, à lui, le fils chouchou de leurs parents qui entretenaient un schéma sexiste : les femmes qui font le ménage, dès leur plus jeune âge, et les hommes, dispensés de ces tâches ingrates.
Et toi Vincent ? Tu vas me les dire enfin les mots que j’attends ? Tu vas reconnaitre qu’on t’a tout passé depuis que tu es né ?
« Et toi Vincent ? Tu vas me les dire enfin les mots que j’attends ? Tu vas reconnaitre qu’on t’a tout passé depuis que tu es né ? Toi le fils à sa maman ? Le p’tit clown à son papa ? Qui avait le droit d’être nul à l’école. Qui avait le droit de sortir de table sans demander la permission. Qui avait le droit de répondre, de découcher, qui avait tous les droits. Parce qu’il est tellement marrant Vincent ! Et puis c’est fou c’qu’il plait aux filles ! Mais c’est qu’ça doit être fatiguant d’être un p’tit playboy. Oh ! Le chouchou ! Faudrait pas qu’il s’épuise en débarrassant la table ! Mais ta sœur va l’faire ! Mais ne t’inquiète pas mon gros bébé ! Mais ça la dérange pas, elle aime ça même jouer la boniche. Ta godiche de sœur ! Ne t’inquiète pas mon p’tit Vincinou tu peux faire toutes les conneries que tu veux. On te pardonne d’avance. Alors Vincent ? Ca fait tilt ? Oui ? Non ? Pas de pardon en perspective ? »
Le chouchou ! Faudrait pas qu’il s’épuise en débarrassant la table ! Mais ta sœur va l’faire ! Mais ne t’inquiète pas mon gros bébé ! Mais ça la dérange pas, elle aime ça même jouer la boniche. Ta godiche de sœur !
Face au mutisme des accusés, Babou conclut : « On est dans le non pardon ce soir. Alors moi je vais prendre mon aigreur, ma tristesse et ma rancune, et toutes les quatre on va aller s’coucher. En vous laissant la vaisselle pour une fois. ¨Pierre tu es sur le canapé, tu y restes. Si les enfants pleurent, c’est pour toi. Moi j’vais prendre une boite de démestat et dormir pendant deux jours ! Allez tous vous faire foutre et bonne nuit ! ».
Un César pour son plus grand rôle
Cette Babou, dévouée et épuisée de l’être, fut le rôle de sa vie. Celui qui lui fit décrocher le César de la Meilleure Actrice pour un second rôle. « Il y a longtemps que je fais ce métier, il n’y a pas si longtemps que je suis visible », lâche l’actrice récompensée, la prestigieuse statuette en main. C’était en février 2013. Huit mois plus tard, en septembre 2013, Valérie Benguigui décède des suites d’un cancer du sein contre lequel elle se bat depuis trois ans.
Le public qui découvre le long-métrage pour la première fois en 2012 n’en sait rien. Mais quand on le visionne aujourd’hui, le cœur se pince. Forcément.
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