Le grand amour, une quête d’idéal sur fond d’injonctions utopistes
“Mais je crois au grand amour ! Je suis sûre qu’il y a une personne parfaite pour moi qui m’attends quelque part !” Alors que je profite du contexte apocalyptique ambiant pour me refaire l’intégrale de Sex and the City, les paroles de Charlotte York, incarnation stéréotypée de la jeune femme romantique aux fortes velleités matrimoniales, ne manque pas de m’interpeller.
Si j’ai pour habitude de me rallier volontiers au rang des sceptiques et autres dubitatifs de l’élan romantique, je ne pouvais m’empêcher de trouver l’idée, certes peu réaliste, mais suffisamment séduisante pour y aspirer secrètement. Et pour cause, du tragique Roméo & Juliette de Shakespeare aux délectables Chroniques des Bridgerton de Netflix en passant par les millions de chansons qui l’érigent en Saint-Graal depuis la nuit des temps, le grand amour est absolument partout.
Même la télé-réalité s’en est emparé, rivalisant d’imagination et de storytelling pour porter à l’écran des rencontres entre aspirants au #biglove. “C’est quoi ce bordel avec l’amour là ? On lit des livres d’amour, on lit des histoires d’amour, on voit des films d’amour ! On peut pas dire qu’on est pas préparé !”, s’agaçait déjà Xavier, le personnage de Romain Duris dans l’iconique Poupées Russes de Cédric Klapisch. Et, d’une certaine manière, il n’avait pas tort.
Un mythe socialement construit
Comme nous le confirment diverses disciplines des sciences sociales, nous sommes en effet biberonnés dès l’enfance à cet idéal d’un amour unique et foudroyant, passionné et passionnant, fait de fusion interindividuelles et de sentiments éternels. Qu’elles se lisent, qu’elles s’écoutent ou qu’elles se binge-watch jusqu’à épuisement, toutes ces histoires ont en effet contribué à conditionner notre désir et notre imaginaire amoureux en faveur d’une relation de couple marquée du sceau de l’absolu.
“Ce mythe du grand amour, d’un amour parfait qui dure toute la vie, ou du moins longtemps, prend racine dans les contes de fées que nous racontaient nos parents quand nous étions enfants”, confirme Géraldyne Prévot-Gigant, psychopraticienne et auteure du Grand Amour : se préparer à la rencontre (Editions Odile Jacob). “Des histoires de prince charmants sauvant de belles et pures princesses souvent passives ou victimes”, poursuit-elle.
On nous apprend à aimer aimer. On désire aimer avant même de trouver un objet à aimer
Et effectivement, quand on y regarde de plus près, ce n’est pas tant la jouissance de ce grand amour qui est galvanisée par notre société que son héroïque quête, intense et obstinée, semée d’embûches et d’interdits, et souvent teintée de souffrance et de désespoir. “On nous apprend à aimer aimer. On désire aimer avant même de trouver un objet à aimer”, commente la philosophe Olivia Gazalé au micro de France Inter dans une émission dédiée au sentiment amoureux*.
C’est du moins le cœur narratif de tout un tas d’œuvres de fictions, classiques ou contemporaines, dont la trame de focalise souvent exclusivement sur l’espoir et la traque acharnée du grand amour. Des sœurs Bennet dans Orgueil et Préjugés aux BFF de Sex & The City, je me rend compte fatalement que la plupart des héroïnes de fiction qui ont jonché ma vie de jeune adulte, se dévouent corps et âme à la recherche de l’âme sœur, comme si finalement leur existence en dépendait. (Note à moi-même : ceci expliquerait donc cela !)
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