« Le coup de gueule » d’Hanouna, de la démagogie et peu de pédagogie
- Nouvelle polémique pour Hanouna, et pas des moindres. Lundi 16 janvier, le présentateur s’est attaqué cette fois à l’audiovisuel public qui selon lui coûterait trop cher. « Privatisez-moi tout ça », finit-il par déclarer.
- Lors de la séquence, il compare l’audiovisuel aux autres services publics. Selon lui, son coût de 4 milliards permettrait de faire de grosses économies pour aider l’éducation, les hôpitaux et la police.
- L’idée n’est pas mauvaise, mais n’a rien d’une solution aboutie. Surtout, le présentateur ne précise jamais que leurs budgets sont nettement supérieurs à celui de l’audiovisuel.
« Est-ce que vous savez combien donne l’Etat à France Télévisions et à Radio France par an ? ». Difficile d’échapper au « coup de gueule » donné ce lundi soir par Cyril Hanouna sur le plateau de Touche pas mon poste (TPMP). D’après le présentateur, le montant serait de presque 4 milliards d’euros, dont une grande moitié destinée aux chaînes de France Télévisions.
Avec un poil de démagogie, le présentateur de C8 enchaîne ensuite sur une comparaison avec les autres services publics. « Avec 4 milliards, on peut en acheter des voitures pour la police, on peut refaire quelques hôpitaux quand même, on pourrait même augmenter les enseignants et voir ce qu’on pourrait faire dans les collèges et les lycées ». « Privatisez-moi tout ça », finit par scander le présentateur sur son plateau.
Il est tout à fait possible de comparer les services publics, nous ne disons pas le contraire. Mais Cyril Hanouna reste très vague sur cette répartition qui porte à confusion et qui finalement ne semble avoir que pour but de se défendre des menaces contre son émission.
FAKE OFF
4 milliards d’euros. Oui, comme ça le montant paraît être une certaine somme. « Un pognon de dingue », dirait même Emmanuel Macron. Le montant est juste : la redevance – qui vient d’être supprimée – rapportait 3,7 milliards d’euros à l’Etat, d’après le site du service public. Désormais, d’après la loi de finance 2023, l’État verse environ 3,8 milliards d’euros à l’audiovisuel public.
Si France Télévisions perçoit environ les deux tiers, il y a plus d’entreprises concernées par ce montant. « La contribution à l’audiovisuel public finance les organismes audiovisuels publics : France Télévisions, Radio France, Arte-France, France Médias Monde (France 24 et RFI), TV5 Monde et l’Institut national de l’audiovisuel (INA) », explique le site du service public. France Télévisions fait également appel à des entreprises privées, c’est notamment le cas du producteur Banijay… dont Cyril Hanouna et actionnaire. Difficile donc d’imaginer que le présentateur n’était pas au courant de l’utilité de ce financement.
L’éducation, un budget 20 fois supérieur
Or, au cours de la séquence, Cyril Hanouna compare l’incomparable. Selon lui, ces 4 milliards ne devraient pas être reversés à l’audiovisuel public et devraient plutôt servir à l’enseignement, la police ou les hôpitaux. Dans les faits, pourquoi pas. Les services publics se dégradent, peinent à revaloriser leurs salariés, à recruter ou à restaurer leurs infrastructures.
Ce qu’oublie de dire Cyril Hanouna au cours de cette séquence, c’est que l’Education nationale représente le plus gros budget de l’Etat, soit 55,1 milliards d’euros hors contributions aux pensions de l’État et 76 milliards d’euros avec les contributions. Pour les hôpitaux, c’est à peu près le même ordre de grandeur, d’après le spécialiste des finances publiques et président de l’association Fipeco François Ecalle.
A côté, l’audiovisuel pèse très peu. D’après les chiffres de l’Union européenne de radiotélévision (EBU), le budget alloué au service public en France correspond à 0,16 % du PIB du pays.
Utile rappel : l’audiovisuel public français est l’un des moins dépensiers comparé à ses voisins
En rapportant le budget au nombre d’habitants (64€), la France se classe 14e, bien loin derrière l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Irlande, la Belgique, l’Autriche, les pays scandinaves pic.twitter.com/R0moGJSPlZ
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Des critiques, aucune solution
« Nous pouvons toujours dire qu’on fait des économies sur un poste, que ce soit l’audiovisuel ou n’importe quoi. Mais il faudrait expliquer où précisément on fait cette économie et ce qu’on finance exactement avec ce gain », souligne François Ecalle. Mais aucune solution n’est réellement donnée tout au long de cette séquence.
Dans une nouvelle explication offerte mardi 17 janvier, toujours sur son plateau, le présentateur revient d’ailleurs sur un exemple plus précis. « Vous savez j’ai lu un article qui dit que pour refaire toute la flotte des voitures de toute la police, ça serait 75 millions d’euros ». Or, d’après l’article du site Motor1 [qui remonte à juin 2020], il s’agit ici de crédits supplémentaires alloués par l’Etat à destination de la police nationale et de la gendarmerie nationale.
D’ailleurs, en matière de finances publiques, une économie dans le budget ne sera jamais liée à une dépense autre part, explique François Ecalle. « Peut-être qu’on peut l’annoncer comme ça politiquement, mais jamais juridiquement ».
Feux la redevance
De plus, la séquence intervient après une année compliquée pour l’audiovisuel public à la suite de la suppression de la redevance. Désormais, elle est remplacée par ce qu’on appelle « un transfert d’une fraction du produit de la TVA ». Une mesure courante en matière de finance publique, d’après François Ecalle.
En effet, au total, la TVA rapporte gros à l’Etat. Près de 160 milliards d’euros. « L’Etat ne garde pas toute la TVA et affecte une partie aux collectivités locales pour compenser les impôts locaux que l’Etat supprime. Il va dire « je vous supprime la taxe d’habitation en échange je vous donne x % du produit de la TVA, de sorte que ça vous rapporte toujours la même chose » ». C’est la même logique suivie pour l’audiovisuel après la suppression de la redevance.
Or, juridiquement et depuis des lois de finance votées en 2021, l’Etat ne peut pas décider de ces mesures ad vitam aeternam. « Cela sert à mieux réguler ces affectations de l’Etat à d’autres organismes ». C’est notamment pour cela que la fraction du produit de la TVA court actuellement jusqu’à la fin 2024.
Hanouna sort les rames
Enfin, la séquence est intervenue à la suite d’une interview de la ministre de la Culture Rima Albdul Malak donnée dans les colonnes du Monde où celle-ci revient sur les débordements dans l’émission TPMP, sans réellement citer son nom « Lorsqu’on arrivera, en 2025, au moment de l’analyse de leur bilan pour la reconduction de leurs autorisations de diffusion, l’Arcom saura regarder comment elles ont respecté ces obligations », a-t-elle estimé. Nul doute que Cyril Hanouna se sent désormais en danger et cherche à se défendre… en trouvant de nouveaux coupables.
La preuve étant que le présentateur a fini par rétropédaler après la réaction de Delphine Ernotte, la présidente de France Télévisions, en marge du colloque « Télévisionnaire ». Prudente, celle-ci a estimé que Cyril Hanouna était allé « un peu loin ». « Je sais que c’est quelqu’un qui est très attaché au lien avec le public, c’est ce qu’il essaye de faire dans son émission », a-t-elle rappelé. Lors de son émission du mardi 17 janvier, Cyril Hanouna finira par changer de cible : le problème ce n’est pas France Télévisions, mais Radio France.
À toutes fins utiles, si la question se pose encore sur l’utilité de l’audiovisuel public, nous laisserons les derniers mots à Delphine Ernotte : « Cyril Hanouna est un grand spécialiste. Il sait très bien que les financements publics, ça ne finance pas que France Télévisions : ça finance la création, ça finance le sport, ça finance le journalisme indépendant ».
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