L'allaitement et ses galères, l'autre tabou du post-partum des mères

  • Allaiter, un geste qui s’apprend
  • Des consultantes pour transmettre "l’art de l’allaitement"
  • Le rôle à jouer des hôpitaux et des associations

Avant même l’arrivée du bébé, la question fuse de toutes parts : « Tu comptes allaiter ? ». Et pour cause, spécialistes et études ne cessent de vanter les bienfaits du lait maternel sur la santé des bébés depuis des décennies, glorifiant cette nourriture « naturelle » toujours à portée.

Le sujet fait pourtant débat tant il culpabilise les mères qui ne souhaitent pas allaiter par choix, mais aussi et surtout celles qui, malgré toute leur envie et leur volonté, ne parviennent pas à nourrir leur bébé au sein.

Pour ces dernières, une aide adaptée -mais pas toujours connue des principales concernées- peut pourtant changer la donne.

Allaiter, un geste qui s’apprend

Selon la dernière Enquête Nationale Périnatale menée par l’Inserm en 2021, le taux d’allaitement maternel exclusif en France est de 56,3 % lors du séjour à la maternité. Pourtant, avant leur accouchement, 64,8 % des femmes souhaitaient allaiter de manière exclusive leur nouveau-né.

Pour certaines femmes, l’acte se met en place sans aucune difficulté, « naturellement ». Pour d’autres, c’est une tout autre histoire. « Selon les conditions de naissance, l’état général du nouveau-né et de la mère, une éventuelle prématurité, les connaissances préalables, les premières journées ne sont pas toujours suffisantes pour que l’allaitement soit efficace et confortable », reconnaît Marie-Claire Bounhoure, consultante en lactation IBCLC dans les Hautes-Pyrénées.

Douleurs, bébé qui ne prend pas bien le sein, prise de poids trop lente du nourrisson, montée de lait tardive de la mère… Les raisons qui poussent à abandonner l’allaitement prématurément sont multiples. Si certaines sont irrémédiables, beaucoup peuvent être surmontées avec le bon accompagnement. 

« De nos jours, les jeunes mamans font un séjour très court à la maternité. La montée de lait survient généralement au bout de 2-3 jours, juste au moment de leur sortie. Il est normal que tout ne soit pas parfaitement en place quand elles rentrent à la maison. » La crise que connaît l’hôpital public depuis de nombreuses années ne permet pas non plus aux équipes soignantes d’être présentes pour accompagner les mères lorsqu’elles rencontrent des difficultés à allaiter. L’approche, peut aussi être différente d’une auxiliaire de puériculture ou sage-femme à une autre, ce qui complique aussi les choses.

« À la maternité, les conseils étaient tous assez différents : une sage-femme me disait de ‘gratouiller’ le pied de mon fils pour le solliciter, quand une autre estimait que ça le déconcentrait, se souvient Emmanuelle, 35 ans. L’une d’elles, alertée par mon compagnon qui perdait patience en même temps que moi face au non accompagnement, m’a donné des bouts de seins en silicone. Une révélation ».

De retour à la maison, la jeune maman est confrontée à un autre souci : « mon fils, qui pesait 4kg à la naissance, tétait pendant 1h toutes les 2h. J’étais lessivée. La pédiatre suggérait qu’il fallait raccourcir le temps de têtée sans donner de solutions. À la Protection maternelle et infantile (PMI) on m’a simplement dit de m’accrocher. »

Fatigue et comportement non-optimal du nouveau-né au sein font en effet partie des principales raisons pour lesquelles la décision d’allaiter peut être abandonnée rapidement. « Il faut parfois aller à l’encontre de certaines idées reçues, comme celles selon lesquelles les tétées doivent avoir lieu toutes les 3 heures, qu’elles sont inefficaces si le bébé est presque endormi… », poursuit l’experte. En effet, il n’existe pas UNE manière type, clé, parfaite, pour allaiter. Chaque femme, chaque bébé, chaque situation est unique.

« Dès le départ, mon allaitement a été très compliqué, raconte de son côté Aurélie, 36 ans, maman d’une petite Marley, 10 mois. Les deux premières nuits, l’auxiliaire de puériculture ne m’aidait pas du tout et m’a donné un bout de sein d’emblée pour gagner du temps. Comme je n’avais pas de montée de lait, ma fille n’avait pas assez de lait et commençait à perdre du poids. Il a donc fallu lui donner des biberons. Je culpabilisais beaucoup, j’avais l’impression de lui donner quelque chose qui n’était pas ‘bon’ pour elle. J’ai essayé de continuer cet allaitement mixte avec un tire-lait, mais je ne produisais que des quantités minimes. J’étais épuisée, je pleurais tout le temps, ce n’était pas du tout un moment agréable pour moi comme pour ma fille. » 

Apprendre à « lire » son enfant et trouver un rituel qui convient aux deux parties demande de l’expérience. Expérience que l’on n’a pas, bien évidemment, lorsque l’on accueille son premier-né, mais que l’on peut puiser ailleurs.

Pour Emmanuelle, sa sage-femme et son entourage sont alors des aides précieuses. « Une de mes amies proches m’a dit d’acheter une boîte de lait en poudre pour avoir une autre ‘option’ à portée de main. Ce conseil a littéralement changé ma vie et mon approche : d’un coup, je n’étais plus la seule source de nourriture viable de mon enfant, et en allégeant ma charge mentale, j’ai été beaucoup plus apaisée ». Vingt et un jours après la naissance de son petit Victor, les tétées s’espacent enfin, « comme par magie ».

Des consultantes pour transmettre « l’art de l’allaitement »

Les visites de la sage-femme après l’accouchement, prévues dans le cadre du Prado (service d’accompagnement du retour à domicile), peuvent suffire pour guider la jeune maman dans son projet d’allaitement. Dans les cas où une aide supplémentaire serait nécessaire, il est possible de faire appel à des consultantes en lactation IBCLC (pour International Board Certified Lactation Consultant). Cette certification internationale est le gage de connaissances sérieuses et actualisées. Les consultantes sont re-certifiés tous les 5 ans et repassent l’examen tous les 10 ans.

« Nous sommes à la fois à l’écoute de la mère et du bébé », détaille Marie-Claire Bounhoure. « Par exemple, en cas de douleur lors de la tétée, la consultante peut analyser le problème, voir s’il vient d’une position qui nécessite quelques ajustements, de l’anatomie de l’enfant, d’un défaut de posture dû à l’accouchement. » Ces expertes sont formées pour identifier des problèmes qui nécessitent l’intervention d’un.e professionnel.le de santé (pédiatre, ORL, kinésithérapeute ou encore ostéopathe).

Une consultation de lactation, d’une durée moyenne d’1h30, coûte environ 55 à 70 euros en province, 80 à 120 euros en région parisienne. Certaines complémentaires santé les prennent en charge. Cependant, en fonction de la région dans laquelle on réside, il peut être difficile d’en trouver une à proximité.

Il est possible de solliciter l’aide d’une consultante en lactation en urgence, si l’allaitement ne se passe pas bien et avant de décider d’abandonner, à la maison ou même à la maternité. Les consultations avant la naissance sont également très plébiscitées, comme l’explique Marie-Claire Bounhoure : « Plus la situation est anticipée et préparée et plus les mères sont rassurées et réussissent à allaiter sans difficulté. » Environ 560 consultantes en lactation IBCLC exercent en France (voir l’annuaire sur le site de l’Association Française des Consultants en Lactation).

Pour faire face à ses difficultés d’allaitement, Aurélie fait appel à l’une d’elles, deux semaines après sa sortie d’hôpital. « Je voyais cette solution comme celle de la ‘dernière chance’ avant de tout abandonner. Elle était très bienveillante et surtout rassurante. »

Après un entretien d’une heure trente à son domicile, durant lequel la jeune mère l’experte revoient ensemble les bases, elles décident de mettre en place un Dispositif d’Aide à Lactation (DAL) pour stimuler sa production de lait. « Un échec total. J’avais l’impression de me rajouter une charge en plus. Après une énième tentative d’allaitement dans les pleurs et la frustration, j’ai décidé de me libérer de ce poids et de tout arrêter. J’ai eu ma consultante au téléphone. Elle a été super, m’a dit que je faisais le bon choix, que ce n’était pas grave et que c’était important de m’écouter. Dès lors, je me suis sentie beaucoup mieux, épanouie et heureuse de pouvoir partager des moments beaucoup plus sereins avec mon bébé ».

Le rôle à jouer des hôpitaux et des associations

De plus en plus d’hôpitaux, cliniques et maternités organisent des consultations au sein même de leur établissement, avec la collaboration de personnel soignant certifié IBCLC. C’est le cas par exemple de l’hôpital Maurice Camuset à Romilly-sur-Seine (10) ou du Centre Hospitalier de la Côte Basque à Bayonne (64), pour ne citer qu’eux.

Un label mis en place par l’OMS et l’Unicef identifie également les établissements qui proposent un accompagnement à l’allaitement maternel. « Pour obtenir le label IHAB (pour Initiative Hôpital Ami des Bébés, NDLR), au moins 80 % du personnel soignant doit être formé afin d’être à l’aise avec cet accompagnement », précise notre experte.

Enfin, les associations de transmission de mère à mère sont une source de connaissance inégalable. Citons par exemple Solidarilait ou La Leche League France. Les rencontres organisées entre mamans et futures mamans sont l’occasion de partages d’expérience.

« Le point essentiel est toujours d’accompagner chaque projet d’allaitement, selon les souhaits, les choix, la volonté de la maman. Dans l’écoute, la réassurance, la bienveillance », conclut Marie-Claire Bounhoure. 

Rechercher une aide pour stopper un allaitement qui ne se passe pas bien, vouloir arrêter d’allaiter après deux mois pour retourner travailler sereinement, préférer utiliser un tire-lait… sont autant de situations toutes aussi légitimes les unes que les autres. Chaque maman peut faire exactement ce qu’elle souhaite, sans frustration ni culpabilité. 

Et comme le dit le proverbe : « mieux vaut un biberon donné avec bonheur qu’un sein donné à contre-cœur ».

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