Laissons-nous le droit d’être malheureux !

« Il en faut peu pour être heureux, vraiment très peu pour être heureux », fredonne le joyeux Baloo dans Le livre de la jungle de Walt Disney. Pour y parvenir, au-delà de « se satisfaire du nécessaire », il faut savoir aussi accepter les moments difficiles estiment de nombreux professionnels. Face aux diktats de la société du bonheur qui tente chaque jour d’invisibiliser la tristesse, le chagrin, les pensées négatives, le psychiatre belge Dirk De Wachter livre une salvatrice ode au malheur et à la vulnérabilité dans L’Art d’être malheureux, (Ed. La Martinière). 

Alors qu’une pandémie mondiale s’est s’abattue sur la planète, ce plaidoyer pour en finir avec l’injonction au bonheur trouve une résonance toute particulière. Ne devrait-on pas profiter de ce chambardement mondial pour faire tomber les masques ? Au sens figuré, bien entendu. 

Heureux sinon rien : le bonheur, une injonction relativement récente 

Longtemps, l’idée même du bonheur est restée une utopie, une récompense même, que l’on retrouvait au Paradis si tant est que l’on ait suffisamment souffert dans sa vie. Puis, le XXème siècle est arrivé, et après une période très douloureuse faite de guerres, de violence et de pauvreté, cette même notion semblait enfin accessible. “Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on constate un étonnant phénomène : on croit au bonheur, on l’espère, on y travaille et on le revendique. […] On accepte de souffrir, de travailler, de renoncer aux plaisirs immédiats pour éventuellement gagner des moments heureux, par hasard, par bonheur”, écrit ainsi Boris Cyrulnik en préface de l’ouvrage de Dirk De Wachter. 

Puis, d’une possibilité, le bonheur s’est mué en injonction sociétale. Sa quête, une raison de vivre. Livres, conférences, thérapies alternatives, retraites spirituelles… Des tas d’outils sont mis à notre disposition dans le seul but d’être heureux. Mais à quoi bon ?

Le sens caché du chagrin

Dans son ouvrage, Dirk De Wachter alerte sur les méfaits d’un bonheur contraint, de surface, qui ne laisserait pas suffisamment de place aux émotions qu’on qualifie de négatives. Or, ces mêmes émotions sont en réalité nécessaires, fondamentales même. C’est pourquoi l’auteur nous invite à accorder de la place au malheur et à la tristesse

Dirk De Wachter va alors tour à tour questionner les affres du temps qui passe, l’angoisse de la maladie, la solitude aussi, le silence…” Un psychiatre ne peut dire comment susciter l’amour, comment fonctionne le chagrin ou pourquoi la maladie frappe untel plutôt qu’un autre. Il aide son patient à mettre des mots sur ce qu’il ressent et à accueillir ses difficultés”, témoigne-t-il. 

Une fois que l’on donne du sens à son chagrin, que l’on sait ce qui nous rend malheureux, on a les outils pour l’apaiser et ne pas se sentir envahir par cette tristesse. Mais il faut fondamentalement se laisser le droit d’accueillir ces émotions négatives pour en mesurer l’impact sur soi et en rechercher l’origine. 

Et puis, accepter le chagrin par moment, c’est aussi se donner la possibilité de mieux repérer les moments de bonheur. Car, alors que la société tente de nous vendre un état heureux continu, le psychiatre nous démontre dans son ouvrage qu’il est en réalité une succession de moments heureux et qu’il dépend aussi de nos attentes. 

S’ouvrir à l’autre, une nécessité absolue 

Enfin, après avoir questionné le bonheur et rendu ses lettres de noblesse au chagrin, Dirk De Wachter fait la part belle à la vulnérabilité. “Dans notre société si rude, on mise rarement sur la vulnérabilité. L’hypersensibilité est aujourd’hui au centre de l’attention et fait l’objet de nombreux ouvrages. […] Sans vulnérabilité ni sensibilité, notre société n’a pas l’ombre d’une chance. La sensibilité nous rend capables de voir l’autre et de prendre soin de lui”, écrit-il. 

Et sans doute que c’est cet autre – ces autres mêmes – qui sont en réalité la clé pour être heureux. Le psychiatre écrit ainsi : “Consacrer sa vie à rechercher le bonheur est une erreur. Lui trouver un sens, en revanche, tel est l’essentiel. Toute tentative de prendre soin des autres au sens large du terme peut nous apporter de la satisfaction, et même un sentiment de bonheur fondamental”. 

En se laissant le droit d’être malheureux, d’une part on s’octroie la possibilité de prendre la mesure de sa propre tristesse. Mais aussi, on laisse aux autres la possibilité de prendre soin de nous. Et vice versa. Et finalement, comme l’explique l’auteur, c’est peut-être là que réside le véritable bonheur

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