La retraite, toujours plus loin des jeunes : "Je me vois trimer jusqu'au jour où je ne pourrai plus avancer"
- “Après un burn out jeune, je ne me vois pas trimer encore plus de 40 ans”
- “Je ne veux pas que mes enfants s’inquiètent pour ma retraite”
- "Baigner dans cette angoisse jusqu’à la fin de ses jours, c’est quel genre de vie ?"
En ce début d’année 2023, la mobilisation contre la réforme des retraites bat son plein. Et le passage en force du texte, le 20 mars dernier, n’a pas déclenché qu’une vague de protestation.
“Depuis que le débat est sur la table, je pense de plus en plus à la fin de ma carrière et tout me déprime. Pourtant, je ne devrais même pas m’en inquiéter à mon âge”, débute Émilie, 29 ans. À l’aube de la trentaine, la jeune femme avoue penser “impossible de bosser jusqu’à plus de 60 ans”.
“Je sors d’un burn out alors que je suis salariée depuis même pas 10 ans. S’épuiser pour un SMIC si jeune ça prouve bien que je ne ferai pas aussi long feu que mes parents et on est beaucoup dans mon entourage à penser comme ça”, partage-t-elle.
Comme elle, Martin* et Léa, respectivement 21 et 24 ans, ne sont qu’aux prémices de leur vie professionnelle. Pourtant, ils sont tous les trois formels : ils ne se voient pas tenir jusqu’à la retraite.
“Après un burn out jeune, je ne me vois pas trimer encore plus de 40 ans”
Après des débuts compliqués en journalisme, puis une reconversion dans la communication, Émilie a connu beaucoup d’entreprises et de “moments professionnels difficiles”.
“Je suis souvent tombée dans des boîtes à turn overs importants, où on cherche clairement la performance et les résultats sans prêter attention aux petites mains”, explicite-t-elle.
Pour la jeune femme, « travail » a régulièrement rimé avec “souffrance”. Après une expérience particulièrement bouleversante où Émilie a été “poussée à bout”, elle est aujourd’hui dans l’impasse et vit de petits boulots (aide ménagère et garde d’enfants).
“Après mon burn out, je ne peux pas imaginer la suite. Je suis traumatisée de la vie en entreprise, mais c’est le seul modèle qui me rassure quant à la possibilité d’avoir un minimum de retraite. J’ai envie de me lancer en solo pour vivre de ma passion [la vidéo, ndlr], mais c’est trop casse-gueule sur le moment, et c’est très risqué niveau retraite. Sauf que pour l’instant, je ne peux pas mettre de côté”, avoue-t-elle.
Entre traumatisme de l’épuisement professionnel et appréhension de l’auto-entreprenariat, Émilie assure ne pas s’imaginer “heureuse et retraitée”. “Je me vois plutôt le dos cassé, à trimer jusqu’au jour où je ne pourrai plus avancer ou où je serai mentalement grillée”.
“Je ne veux pas que mes enfants s’inquiètent pour ma retraite”
Le dos cassé, c’est aussi une image qui hante Martin et qui lui fait redouter sa fin de carrière.
“À quoi bon arrêter de travailler si on ne peut pas en profiter ? Si notre bonne santé nous est volée par toutes ces années de charbon et qu’en plus, on n’a pas les moyens de vivre correctement ?”, interroge-t-il.
Car le jeune homme, fonctionnaire depuis moins d’un an, a vu sa mère vieillir “plus vite” que les parents de ses amis. “Elle a toujours beaucoup travaillé aux services des autres, souvent pour des patrons qui l’obligeaient à ne pas compter ses heures pour quasiment rien à la fin du mois. Mais quand t’as une famille, tu n’as pas le choix”, poursuit-il.
Alors qu’elle n’a pas 60 ans, celle qui l’a élevé ne pourra partir à taux plein que dans plusieurs années, et pour “une pension de misère”. “Elle est très fatiguée et a plusieurs soucis de santé directement liés à son métier, notamment au niveau des articulations”, précise le jeune homme.
Une peur de voir sa mère “ne pas tenir” qui se reflète dans ses projections personnelles. “Quand on a des exemples de proches qui se tuent à la tâche pour un salaire, puis une retraite de misère, ça révolte et ça angoisse. Pour elle, puis pour moi plus tard. Mon boulot est plutôt physique, est-ce que mes enfants devront aussi s’inquiéter pour moi ? Ça ne donne pas envie de commencer sa vie pro si on ne sait pas comment elle va se terminer”, appuie-t-il.
« Baigner dans cette angoisse jusqu’à la fin de ses jours, c’est quel genre de vie ? »
Une peur qui s’est également emparée de Léa, 24 ans. « Avant qu’on parle haut et fort des retraites pendant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, la question ne s’était jamais posée de mon côté”, se remémore-t-elle.
La jeune femme, aujourd’hui à la recherche d’un emploi, après des études de rédaction web et traduction, puis une première expérience dans l’audiovisuel, elle se retrouve en proie à un doute angoissé.
“De base, j’ai peur de l’avenir. Mon éco-anxiété est déjà impressionnante, donc y rajouter la couche retraite ça n’a pas aidé. Même si je ne sais pas si la Terre nous portera encore quand j’aurais 70 ans”, ironise-t-elle.
Léa explique être d’autant plus anxieuse depuis la fin de sa mission d’intermittence, parce que le débat autour des retraites lui a fait réaliser « tout ce qu’elle perdait pour plus tard en ne travaillant pas ». “Déjà, je bosse dans un secteur qui rémunère mal et qui est très instable. Mais aujourd’hui on nous culpabilise presque de reprendre notre souffle, de s’arrêter quelques mois pour prendre soin de soi, parce que les cotisations de retraite n’attendent pas. Donc si je dois baigner dans cette angoisse jusqu’à mes derniers jours, c’est quel genre de vie ?”, poursuit-elle.
Parce que c’est aussi le discours ambiant qui, selon elle, rend ardu le fait de s’imaginer tenir sur la longueur. “Tout le monde nous répète qu’on fait partie de la génération qui ne veut pas travailler, qui râle pour tout et rien. Sauf qu’à côté, on nous lance aussi des ‘bonne chance, à ce train-là vous y serez encore à 80 piges’”.
Alors, pour éviter de trop s’angoisser, Léa se force désormais à éviter les infos et autres posts anxiogènes sur les réseaux sociaux. “Clairement, je vis avec des œillères. Je sais que ce n’est pas bien, que ce n’est pas ‘adulte’, mais tout ce qui est simulateur de retraite, je passe à côté pour éviter une montée de stress. Je préfère protéger ma santé mentale tant que je le peux, parce que si je dois travailler jusqu’à la soixantaine bien passée, je vais avoir besoin de toute ma tête”, soupire-t-elle.
*Le prénom a été modifié
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