La MDMA, un traitement prometteur pour les femmes victimes de violences sexuelles

  • Un usage médical freiné par la prohibition
  • La MDMA, déjà utilisée à des fins thérapeutiques en Suisse
  • À exploiter avec la plus grande précaution

Et si certains psychédéliques pouvaient aider les femmes victimes de violences sexuelles à surmonter leur traumatisme ? Dans le monde, ils sont de plus en plus de spécialistes à défendre cette thèse. Après le LSD – dont les scientifiques ont su prouver l’efficacité en thérapie – les regards sont tournés vers une autre drogue, figure de la contre-culture dans les années 1970 : la MDMA.

Substance active des cachets d’ecstasy, elle pourrait « significativement » réduire les symptômes du trouble de stress post-traumatique dans le cadre d’une psychothérapie. Comment ? En facilitant « le rappel de souvenirs négatifs ou menaçants avec une plus grande auto-compassion et moins de honte et de colère », peut-on lire au travers de la plus grande étude menée à ce sujet, parue en mai 2021 dans Nature Medicine.

Les résultats sont si concluants et prometteurs que la MDMA devrait bientôt être prescrite comme médicament aux États-Unis, assure Zoé Dubus, docteure en histoire de la médecine et spécialiste des psychotropes, stupéfiants, psychédéliques et médicaments. « Les discussions sont intenses pour essayer d’étudier comment on peut utiliser la substance de façon thérapeutique pour les femmes victimes de violences sexuelles, sans outrepasser leur consentement », nous explique-t-elle. 

Un usage médical freiné par la prohibition

Créée en Allemagne en 1898, la MDMA ne commence à circuler que dans les années 1970. Très tôt, elle effraie le gouvernement américain, qui la relègue au seul rang de substance stupéfiante, sans fondement scientifique à l’appui.

C’est le chimiste Sasha Shulgin qui, en 1976, synthétisera sa forme actuelle afin de contourner cette politique. « Il va lui découvrir des effets thérapeutiques similaires au LSD. La MDMA faciliterait le souvenir des événements traumatiques et l’expression des émotions sur fond de réduction de l’anxiété », détaille le Dr Dubus. À cette époque, plusieurs centaines de thérapeutes commencent à employer la substance chez des patient.e.s sujet.te.s au stress.

Dans les années 1980, la MDMA sous forme d’ecstasy circule massivement, jusqu’à devenir la drogue de la fête par excellence. Convoitée pour ses effets dits « empathogènes » – qui génèrent l’empathie – et « entactogènes » – qui facilitent le contact, celle que l’on surnomme la « drogue de l’amour » fait toujours aussi peur au gouvernement américain. 

En pleine « guerre » contre la drogue, elle devient prohibée. Criminalisée au même titre que la cocaïne ou le crack, il est impossible de l’utiliser à des fins médicales. « Pourtant, à l’époque, personne n’est envoyé à l’hôpital à cause d’overdose ou d’effets secondaires de la MDMA. Elle ne pose aucun problème sanitaire ou social », assure l’historienne. 

La MDMA, déjà utilisée à des fins thérapeutiques en Suisse

Mis à l’arrêt à cause de son interdiction, les travaux de Sasha Shulgin mettent au moins en lumière les bénéfices incomparables et inédits de la MDMA pour traiter le trouble du stress post-traumatique. « La substance permet aux victimes de se confronter aux événements traumatisants avec une plus grande compassion envers soi-même, ou la personne qui leur a fait du mal », explique le Dr Dubus.

Incitant les patient.es – notamment les victimes d’abus sexuels ou les ancien.nes combattant.es – à dépasser leurs douloureux souvenirs, son action est bien différente des traitements classiques de l’anxiété, sans pour autant chercher à les remplacer. « L’idée de Shulgin n’est pas de demander à ce qu’on arrête d’utiliser les antidépresseurs et les anxiolytiques. C’est d’enrichir la palette de solutions », précise la docteure en médecine.

Au début des années 2000, sous l’impulsion de l‘Association multidisciplinaire pour les études psychédéliques (MAPS), la Food and Drug Administration (FDA) autorise la reprise des recherches. La psychothérapie assistée par MDMA commence à faire son chemin dans de rares pays, comme le Canada ou Israël. 

En Suisse, elle est utilisée dans certains hôpitaux et serait même plus efficace que l’Eye Movement Desensitization and Reprocessing (EMDR), assure le Dr Federico Seragnoli, psychologue et doctorant aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG), dans une interview. « En usage ‘récréatif’, la MDMA permet de vivre une expérience tournée vers les autres. Dans un cadre thérapeutique, elle tourne le patient vers lui-même », illustre le médecin. 

À exploiter avec la plus grande précaution

Souvent consommée dans des conditions inadéquates et mélangée à d’autres substances, comme les analgésiques, l’alcool ou la caféine, l’ecstasy n’est pas exempte d’effets indésirables.

Parmi les plus graves, sa surdose peut causer l’hyperthermie – aggravée lorsque l’ecstasy est ingérée dans un espace confiné -, une augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle, des atteintes rénales ou hépatiques ainsi que des troubles du comportement, prévient Drogues Info Service. Peu fréquente, l’intoxication mortelle à la MDMA existe.

D’où la nécessité de poursuivre la recherche, afin d’encadrer le plus rigoureusement possible son usage médical, plaide Zoé Dubus. Et d’autant plus lorsqu’il s’agit de femmes victimes de violences sexuelles, qui sont parmi les cibles prioritaires des études en cours « La MDMA provoque une envie de contact physique. Mais souvent, ces femmes victimes n’ont pas envie d’être touchées. Il faut donc mettre en place un cadre très strict de consentement autour de cette notion de toucher« , prévient-elle.

Aux États-Unis, l’étude de la MAPS vient tout juste d’achever sa dernière phase avant approbation par l’agence américaine du médicament. Si les spécialistes attendent une mise sur le marché sous peu outre-Atlantique, les Français.es devront sans doute attendre encore. « La France est en retard sur le sujet. On est encore très réticent à l’égard de tous les psychotropes. Il faut que les patients s’organisent et réclament que des études soient faites en montrant les bénéfices », enjoint l’historienne.

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