La masterclass de Youssef Gastli : le lablabi
Commençons par un aveu dont on espère qu’il ne stoppera pas tout net la lecture de ce qui suit : le lablabi ne se prépare pas à la maison. Enfin, pas en Tunisie, dont il est originaire et où il est une balise de la cuisine de rue. De Bizerte à Sfax en passant par Tunis, il est partout. À toute heure du jour et de la nuit. C’est un en-cas, un déjeuner, un snack post-fiesta.
« Dans les gargotes, tu fais la queue avec un bol rempli de pain de la veille et quand c’est ton tour, on te le garnit d’une soupe épicée, dans laquelle ont cuit des pois chiches, nous explique Youssef Gastli, brillant jeune chef installé chez Plume*, dans le 7e arrondissement de Paris. Ensuite, on ajoute à sa guise du thon à l’huile, un œuf, des piments, de la harissa, du cumin. Ça, c’est pour la version simple. Car on peut l’agrémenter de pied d’agneau. »
Avis aux amateurs. Au restaurant, Youssef en propose, lui, une acception plus sophistiquée. Pour nous, il a joué le jeu de la tradition, mais sans pied d’agneau. Une tradition dont l’origine est obscure. Il y a bien une grande famille de soupes dans le Maghreb, les chorbas et autres hariras, mais là, il s’agit d’autre chose.
Bouillon et pain rassis
Une base de bouillon, mais versée sur du pain rassis. La consistance s’approche donc plus de la bouillie, vocable mal aimé, à tort : l’art de la bouillie devra un jour être réhabilité tant il convoque de recettes magiques, réconfortantes, parfumées, dans le monde entier. Le lablabi, s’il est fondamentalement tunisien – le Maroc et l’Algérie ne le pratiquent pas – tiendrait son nom du turc « leblebi », qui signifie pois chiches grillés.
Pourtant les pois chiches utilisés dans cette recette ne sont pas grillés. On en cuisine de préférence des secs, que l’on met à tremper dans l’eau la veille. Si on manque de temps, des bios en conserve, bien rincés, font l’affaire. Ils cuisent dans un bouillon épicé. Car l’assaisonnement est l’un des secrets de cette recette : épices du bouillon – cumin, paprika, coriandre –, chaleur de la harissa ajoutée au mélange, cruciale (elle chauffe sans brûler le palais et ajoute de la profondeur au plat). On ajoute également des épices au moment du dressage.
Et comme si ce n’était pas assez, ce plat se déguste avec des pickles de toutes sortes : carottes, navets, piments doux, préparés selon une méthode appelée « torchi », qui combine vinaigre, sel, harissa et coriandre en grains.
L’oeuf « parfait » pour couronner le plat
Quant à l’oeuf que l’on dépose sur le bol fumant, il est un agent modeste mais indispensable à la liaison de la préparation. On le prépare comme un œuf « parfait » : cassé dans un bol, recouvert d’eau bouillante. Recette chaleureuse, populaire, certes, mais précise aussi. Le pain qui tapisse le fond du bol doit être, selon Youssef Gastli, « rassis mais pas trop, en morceaux, pas trop grands ni trop petits, et idéalement ce serait du pain rond blanc que l’on trouve dans les boulangeries arabes ».
À la fin des fins, on ajoute l’œuf, le thon, les épices. Et on mélange intimement. Mieux vaut avoir pris la photo avant. Mais quel régal que cette bouillie, où chaque saveur reste intacte et distincte : l’œuf vient arrondir le piment, le thon, donner son caractère et les pickles, piquer le palais.
À la première cuillère plongée dans le lablabi, on a su qu’on ne s’arrêterait pas. Et que le rêve de faire la queue dans les rues de Tunis avec un bol garni de pain rassis nous poursuivrait tant qu’on ne l’aurait pas réalisé.
Les ingrédients
Pour 6 personnes
Pour le bouillon
- 600 g de pois chiches secs à tremper la veille
- 5 l d’eau
- 1 oignon
- 1 carotte
- 1 branche de céleri
- 6 gousses d’ail
- 3 c. à c. de cumin
- 2 c. à c. de paprika
- 2 c. à c. de bicarbonate de sodium
- 1 c. à c. de sel
- 60 g (un peu moins de 4 c. à s.) d’huile d’olive
- 6 œufs
- 100 g de harissa
Pour les condiments, par bol
- 1 œuf
- 50 g de thon à l’huile d’olive
- 1 c. à c. de câpres
- 1 c. à c. de cumin
- quelques olives
- harissa
- 2 c. à c. d’huile d’olive
- pain blanc (type campagne) rassis de la veille ou avant-veille, en morceaux pas trop petits.
La recette ultime
Dans un faitout, à feu doux, faire suer dans un fond d’huile d’olive l’oignon ciselé, la carotte et le céleri détaillés en brunoise ainsi que l’ail épluché, ajouter les pois chiches et les épices. Mouiller à l’eau. Il faut que les pois chiches soient bien immergés. Ajouter ensuite le bicarbonate. Faire bouillir à feu vif la soupe.
Cuire ensuite à feu moyen pendant 1 h de temps. Pensez à écumer de temps en temps. Ajouter le sel 5 min avant la fin de cuisson. Il faut que les pois chiches soient bien tendres. Diluer 100 g de harissa dans 30 g d’eau et 30 g d’huile d’olive. Réserver. Dans un saladier, déposer 6 œufs les plus frais possible. Faire bouillir une casserole d’eau. Verser l’eau chaude par-dessus, couvrir et laisser reposer 50 min. Dans un grand bol, émietter le pain jusqu’au 3/4.
Verser une grande louche de la soupe bien chaude. Déposer l’œuf, le thon, la harissa, le cumin et le reste des condiments. Bien mélanger le tout.
Plume, 24, rue Pierre-Leroux, Paris 7e.
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