La crise de la démocratie frappe aussi la « Star Academy »

  • L’émergence des réseaux sociaux, des sondages et des indications de vote d’autrui poussent les spectateurs de téléréalité dans la logique du vote utile, au détriment de la passion et de la spontanéité.
  • Le public est également plus averti et dispose de recul qu’il y a 20 ans, limitant les enflammades et les votes dans le vent.
  • Les fans redoublent d’ingéniosité et de stratégie afin de rendre leur vote le plus pertinent possible et de le maximiser au mieux.

La semaine dernière, à la Star Academy, Tiana, Anisha, Julien et Stan étaient nommés. Julie, 25 ans et grande fan de Tiana, a voté pour… Anisha afin de sauver sa petite protégée. Un coup de billard à trois bandes machiavélique qu’elle explique avec plus ou moins de clarté : « Un nommé est sauvé par le public, un autre par les candidats restants. Les sondages et estimations montraient qu’Anisha et Julien étaient en tête des votes du public, Tiana étant largement distancé. La différence entre Anisha et Julien, c’est qu’on se doutait tous que jamais Julien ne serait sauvé par les autres candidats. Anisha, plus populaire au château, pouvait l’être. Il fallait donc mieux voter pour Anisha, afin qu’elle soit rescapée par le public, laissant le champ libre à Tiana d’être sauvé par les autres candidats. » Simple comme bonjour non ?

Le vote utile, si cher à la vie politique du pays, se serait immiscé dans les télécrochets ? Avec l’émergence des réseaux sociaux, absent lors des débuts de la téléréalité en France, il est bien plus facile d’estimer la cote de popularité de tel ou tel candidat, et ses chances de survie. Un savoir qui génère des calculs d’apothicaire et des débats sur la pertinence de tel ou tel vote.

La fin de l’innocence, le début de l’utilitaire

« Aux premières éditions de la Star Ac et autres, le vote pour un candidat était quelque chose de nouveau, c’était donc plus spontané, plus personnel, plus affectif également », note Nathalie Nadaud-Albertini, docteure en sociologie de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste de la téléréalité. Les premières éditions de téléréalité avec vote du public, que ce soit Loft Story ou Star Academy, remontent à 2001, soit avant l’explosion du vote utile dans le débat politique. « Le concept existait déjà, mais il a été bien plus évoqué après le premier tour de 2022 et l’élimination de Lionel Jospin, alors que le total des votes de gauche pesait plus de 40 % », contextualise Rachel Garrat-Valcarcel, journaliste politique à 20 Minutes qu’on s’est permis de déranger pour l’occasion.

Les gars il faut jouer stratégie au vue des sondages, tiana ne sera pas sauvée. On sauve anisha et les élèves sauveront tiana.

Séparer les voix entre tiana et anisha c’est faire revenir julien. #staracademy2022 #StarAcademy #StarAcademyLive #StarAcademyleLive pic.twitter.com/1WIKzXq1mX

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20 ans plus tard, fin de l’innocence et du cœur. La semaine dernière, voyant son Stan favori amplement distancé, Marine, 30 ans, a voté pour Julien : « Je me suis dit que j’allais voter pour le candidat le moins pire et qui avait des chances de passer quand même. Voter Stan n’aurait rien changé au jeu, il était foutu, alors qu’un vote pour Julien pouvait avoir plus d’influence ». Comme un parfum de premier tour de la présidentielle 2022.

En plus de donner les estimations, les réseaux sociaux permettent d’organiser les campagnes de vote. Sur Twitter notamment, en suivant le hashtag #StarAc, vous tomberez sur de nombreuses indications du vote le plus stratégique à faire selon vos appétences et vos candidats favoris. « L’effet réseaux sociaux, notamment avec les sondages, permet de briser un peu la bulle du  »Chacun vote dans son coin », et d’organiser des raids de soutien sûrement plus efficaces », estime Justine, 27 ans et fan assidue.

Un public avec plus de recul

Le vote utile suppose son opposé : le vote jugé « inutile ». Voyant son autre chouchou, Chris, largement distancé dans les sondages, Marine avait décidé de ne pas utiliser son téléphone : « Ça ne sert à rien, et je passerais pour une débile à perdre mes sous pour quelqu’un qui est foutu ». Un pragmatisme et un côté rationnel que constate Nathalie Nadaud-Albertini : « Par rapport aux premières éditions, le public a plus de recul, de mesure, de retenu sur ses candidats favoris. Il les aime bien, mais est moins dans la pure émotion, car 21 ans sont passés et le phénomène s’est normalisé. J’ai des témoignages des premières éditions où les gens votaient frénétiquement pour leur favori, sans se soucier de savoir s’il avait la moindre chance de l’emporter. Avant, on votait avec le cœur, maintenant avec la tête. » Sans compter que la période économique a bien changé, poursuit notre experte : « Le début des années 2000 était plus serein économiquement. Aujourd’hui, tout comme on consomme utile, on vote utile. »

Le vote utile n’a même pas besoin de sondage pour exister. « Même sans estimation, une habitante du 16e arrondissement de Paris peut deviner que son ou sa maire ne sera pas de gauche », illustre Rachel Garrat-Valcarcel. Lors de la dernière saison de Danse avec les stars, le candidat Thomas Da Costa, rapidement le moins bon danseur parmi les participants, a été sauvé de multiples fois par le public, bien aidé par son duo avec Elsa, à la grosse popularité. Un choix qui rendait fou une bonne partie des fans, au point parfois d’imaginer des plans carrément retors.  « On aurait dû cesser d’éparpiller nos votes, tous choisir le même candidat et le mettre numéro 1 des votes du public afin que Thomas ne soit pas encore sauvé et soit éliminé par le jury », visualise Julie.

Pas le monopole du coeur

Reste que plus les semaines passent, plus le public s’attache et plus le vote utile cède face à la déraison et la passion. « La grosse différence cette saison, poussant l’engagement des votants et notamment dans la communication sur les réseaux sociaux, c’est la mise en place du live. La perception des candidats diffère tellement si vous suivez les quotidiennes ou le live… Ça donne l’impression que le public du live, moi la première, se sent investi d’une mission, de restaurer l’image  »réelle » des candidats », estime Justine. Elle prend l’exemple du candidat Julien : « Pendant un moment, on l’a vu travailler très tard sur le live, être celui qui allait se coucher le plus tard, mais pendant la quotidienne on ne voyait que son côté  »Je ne vais pas en cours » ».

« On retrouve aussi un vote plus intime, notamment autour de la candidate Anisha au passé difficile. Une partie des spectateurs vote pour elle dans le seul but de la soutenir après ses épreuves de l’enfance », note Nathalie Nadaud-Albertini. Elle tisse le parallèle avec Magalie Vaé, gagnante de la Star Academy 5 : « Le public avait constaté qu’elle n’était pas adaptée aux carcans du monde de la musique, et avait voté pour elle afin de la soutenir dans ce combat », loin de tout calcul, stratégie et autres utilités de vote. Les téléspectateurs votent désormais plus avec la tête, mais rassurez-vous, leur cœur bat toujours.

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