Kamala Harris : “Je m'élançais à toutes jambes, le vent sur mon visage, avec le sentiment d’être capable de tout”
Première femme noire vice-présidente, et, peut-être un jour, première présidente… Elle raconte dans un livre sa mère indienne et ses combats à la tête de la Justice californienne. Morceaux choisis en exclusivité.
Sa mère indienne : une pionnière hors norme
Mon père, Donald Harris, est né à la Jamaïque en 1938. Étudiant brillant, il émigra aux États-Unis lorsqu’il fut admis à l’université de Californie, à Berkeley. Après des études d’économie, il entama une carrière de professeur d’économie à Stanford, où il est encore professeur émérite. La vie de ma mère commença à des milliers de kilomètres, à l’est de la Californie : dans le sud de l’Inde. Shyamala Gopalan était l’aînée d’une famille de quatre enfants, trois filles et un garçon. Comme mon père, elle se révéla douée pour les études, et lorsqu’elle se découvrit une passion pour la science, ses parents l’encouragèrent dans cette voie. Elle sortit diplômée de l’université de Delhi à 19 ans. Et ne s’arrêta pas là. Elle postula à un programme de cycle supérieur à Berkeley, une université dont elle ignorait tout dans un pays où elle ne s’était encore jamais rendue. J’imagine comme il a dû être difficile pour ses parents de la laisser partir.
À l’époque, les lignes aériennes internationales commençaient tout juste à se développer. Il n’était pas simple de se donner des nouvelles d’un continent à l’autre. Pourtant, quand ma mère leur demanda la permission d’étudier en Amérique, mes grands-parents ne s’y opposèrent pas. Elle était encore adolescente lorsqu’elle quitta le foyer familial, en 1958, pour entamer en Californie un doctorat en nutrition et endocrinologie qui la conduirait ensuite à devenir chercheuse et spécialiste du cancer du sein. Ma mère était censée rentrer en Inde à la fin de ses études. Le mariage de ses parents avait été arrangé par leurs familles. Il allait de soi, a priori, qu’elle serait mariée sur le même principe. Mais le destin avait d’autres projets pour elle.
Kamala Harris, enfant, et sa mère
Mon père et ma mère se rencontrèrent à Berkeley pendant qu’ils prenaient part au mouvement des droits civiques. Ils tombèrent amoureux. Le mariage de ma mère et sa décision de rester aux États-Unis pour y faire sa vie furent des gages suprêmes d’autodétermination et d’amour. Mes parents eurent ensemble deux filles. Ma mère termina son doctorat à l’âge de vingt-cinq ans – l’année de ma naissance. Ma sœur adorée Maya vint au monde deux ans plus tard. Ces premières années de ma vie furent heureuses et insouciantes. J’adorais le grand air et je me souviens que mon père voulait que je gambade sans frein. Il disait à ma mère : «Laisse-la donc courir, Shyamala.» Puis il se tournait vers moi et m’encourageait : «Cours, Kamala. Aussi vite que tu peux. Cours !» Je m’élançais à toutes jambes, le vent sur mon visage, avec le sentiment d’être capable de tout (pas étonnant que je garde bien des souvenirs de ma mère décorant de pansements mes genoux écorchés).
La quête de justice
J’étais tellement fière et honorée le jour où je prêtai enfin serment comme fonctionnaire judiciaire ! Aussitôt après, je me rendis au tribunal, prête à me mettre au travail. Sauf que ni la fac de droit ni l’examen du barreau ne préparent réellement à travailler en salle d’audience, bien sûr, et pendant les premiers temps j’eus le sentiment étrange d’avoir débarqué sur une planète inconnue où tout le monde parlait une langue dont je ne savais rien. En tant qu’assistante, j’avais parfois suppléé le procureur, sous sa supervision. Mais voilà que tout à coup, je devais assurer toute seule mon premier procès. Je me préparai à fond, revoyant dix fois au moins tous les détails de l’affaire. J’établis la liste des questions que je voulais poser, formulai précisément mes requêtes. J’étudiai aussi toutes les pratiques et les coutumes du prétoire – jusqu’au port du tailleur-jupe longtemps de rigueur pour les femmes, avant qu’elles ne soient autorisées à porter le pantalon en salle d’audience. Je fis tout ce que je pouvais imaginer. Mais l’enjeu était tel que j’avais le sentiment de ne pas en faire assez.
Kamala Harris : « Novembre 1982, première année à l’université Howard, à Washington. Je manifestais presque tous les week-ends sur le National Mall contre l’apartheid et pour le désinvestissement des États-Unis en Afrique du Sud. Ici, je suis avec Gwen Whitfield »
Le jour J, enfin, j’entrai dans la salle d’audience, m’avançai entre les rangées de bancs jusqu’à la rambarde séparant les prévenus en attente, leurs familles, les témoins et les spectateurs des membres du tribunal. Des chaises étaient disposées devant la rambarde pour les avocats attendant que leurs dossiers soient appelés, et je pris place parmi eux. L’anxiété et l’excitation provoquaient en moi une poussée d’adrénaline qui me donnait la chair de poule. Mais j’étais par-dessus tout très consciente, et honorée, de l’immense responsabilité qui m’était accordée : le devoir de protéger ceux qui comptaient parmi les membres les plus vulnérables et silencieux de notre société.
Lorsque vint mon tour, je quittai ma chaise à la table du procureur et m’avançai vers l’estrade pour prononcer ces mots que tout procureur doit dire : «Kamala Harris, pour le peuple.» Si nous avons, aux États-Unis, un corps de procureurs de district chargé des poursuites judiciaires, c’est parce que dans notre pays, un crime commis contre l’un de ses citoyens est un crime commis contre tous. Par définition, pour ainsi dire, notre système pénal juge des affaires dans lesquelles des individus ou des groupes puissants ont infligé un tort à moins puissant qu’eux. Or il nous semble inconcevable que la quête de justice de la partie la plus faible puisse être envisagée autrement que comme un effort collectif. Voilà pourquoi les procureurs ne représentent pas «la victime». Ils sont là «pour le peuple» – la société dans son ensemble. J’ai gardé ce principe à l’esprit lorsque je travaillais avec des victimes, dont la dignité et la sécurité étaient toujours primordiales à mes yeux […].
Son investiture à San Francisco: une fête multiculturelle
Ma cérémonie d’investiture de procureure de district eut lieu au Herbst Theatre, l’une des salles du San Francisco War Memorial and Performing Arts Center, sur la scène où la Charte des Nations Unies fut signée en 1945. Nous écrivions ce jour-là une histoire d’un genre différent, mais avec le même message d’unité. Ma mère se tenait entre moi et Ronald George, le président républicain de la Cour suprême de Californie, que j’avais choisi pour me faire prêter serment. Mon souvenir le plus fort de cette journée est celui de la fierté immense qui se lisait sur le visage de maman.
La salle était comble – il y avait des centaines de personnes venues de tous les quartiers de la ville. Des joueurs de tambour tambourinèrent. Un chœur d’enfants chanta. L’un de mes pasteurs prononça une magnifique oraison. Des dragons chinois dansèrent entre les rangées de sièges. Le San Francisco Gay Men’s Chorus nous donna la sérénade. Ce fut une fête multiculturelle, multiraciale et un peu folle de la plus belle façon possible. […] Je progressai à travers la foule en serrant des mains, en étreignant et en me laissant étreindre, et savourai la joie profonde que me procurait ce moment. Comme les festivités touchaient à leur fin, un homme noir s’approcha de moi avec ses deux fillettes. «Je les ai amenées, dit-il, parce que je voulais qu’elles voient ce que quelqu’un qui leur ressemble peut devenir.»
Kamala Harris : « Victoire au deuxième tour cinq semaines plus tard – je deviens la première procureure de district de l’histoire de San Francisco. Ici, à notre QG de la campagne, devant le mot Justice taggé sur le mur par des graffeurs. Derrière moi, on aperçoit ma mère et, derrière elle, le directeur des Affaires juridiques de San Francisco, Dennis Herrera, et Chris Cunnie qui prendra plus tard la tête de mon service des enquêtes. »
Après l’inauguration, je m’éclipsai pour découvrir mon nouveau bureau. Maintenant que j’étais procureure du district de San Francisco, je voulais savoir ce que cela faisait de s’asseoir entre ces quatre murs. Accompagnée de ma directrice de la communication, Debbie Mesloh, je pris une voiture pour gagner le palais de justice. Bordé par une autoroute, le «850», comme on l’appelait (parce qu’il était au 850, Bryant Street), était un bâtiment gris, imposant et sérieux. Je disais souvent pour rire que c’était un endroit «affreusement merveilleux» où travailler. Outre le bureau du procureur de district, le complexe abritait le siège de la police de San Francisco, les tribunaux pénaux, la fourrière, la prison de comté et le bureau du coroner. Il était indéniable que c’était un endroit qui avait le pouvoir de changer la vie des gens, parfois pour toujours.
«Oh, waouh», fis-je en embrassant mon bureau du regard. Ou pour être plus précise, en découvrant la pièce vide qui m’attendait. En vue de la passation des pouvoirs, elle avait été presque complètement débarrassée. Il restait un meuble métallique, contre un mur, sur lequel était posé un ordinateur des années 1980 (et nous étions en janvier 2004…). Je comprenais mieux pourquoi le procureur de district n’avait pas encore d’adresse e-mail. Dans un angle, il y avait une corbeille à papier en plastique. Quelques câbles sortaient du sol. Par la fenêtre, je voyais la rue et une rangée de boutiques de prêteurs de caution – un rappel, que j’allais avoir sous les yeux tous les jours, que le système judiciaire est plus punitif pour les pauvres que pour les gens aisés. La table avait disparu et une simple chaise trônait à l’endroit où le bureau de mon prédécesseur s’était trouvé. Mais cela n’avait pas d’importance. J’étais venue voir ce que cela faisait d’être assise entre ces quatre murs, n’est-ce pas ? Alors je fermai la porte et m’assis sur la chaise. Pour la première fois depuis le début de la journée, j’étais au calme, seule avec mes pensées, pour réfléchir, pour examiner cette situation nouvelle et encore un peu irréelle.
« Peindre les murs »
Je m’étais présentée parce que je savais que je pouvais faire du bon travail en tant que procureure de district – et j’estimais aussi que je pouvais faire mieux que ce qui avait été effectué auparavant. En même temps, je savais que je représentais quelque chose de beaucoup plus vaste que ma propre expérience. À l’époque, on ne trouvait pas beaucoup de procureurs de district qui avaient ma couleur de peau ou mes origines sociales. La situation n’a toujours pas beaucoup évolué. Dans un rapport de 2015, on pouvait encore lire que 95 % des procureurs élus de notre pays étaient blancs, et 79 % étaient des hommes blancs. […]
Kamala Harris : « Après l’investiture, je suis allée découvrir mon nouveau bureau. Il était vide, à l’exception de cette chaise abandonnée au milieu de la pièce. Tant pis, j’étais heureuse de prendre mon poste de procureure de district. J’adorais avoir la compagnie de ma mère aux événements communautaires. Nous voilà au défilé du Nouvel An chinois de 2007 »
Le jour où, après ma prestation de serment comme procureure de district, je pris mon bloc-notes à feuillets jaunes pour dresser une liste de choses à faire, il y avait de nombreux problèmes, grands et petits, auxquels je voulais m’attaquer – de nombreux problèmes qu’il fallait à mon avis régler. Et je voulais être sûre de n’en négliger aucun. J’écrivis même «peindre les murs» sur ma liste. Sérieusement. J’ai toujours pensé qu’il n’y a pas de problème trop petit pour être pris en compte. Je sais que cela peut paraître trivial, mais le personnel du bureau dont j’étais désormais la dirigeante travaillait dans des locaux qui n’avaient pas été repeints depuis des années. Cela n’était pas seulement emblématique de l’apathie qui s’était répandue dans le service au fil du temps : c’était tout simplement déprimant.
Mes collaborateurs étaient démoralisés. Ils se sentaient déconsidérés, démunis, vaincus. Peindre les murs, c’était une façon tangible de signaler que j’avais pris note du problème. Et que l’ambiance allait changer. Pour commencer, je leur adressai à tous un questionnaire pour demander de quoi ils avaient le plus besoin pour mieux travailler. L’une des réponses qui revint le plus souvent fut : de nouvelles photocopieuses. Il s’avérait que tout le monde perdait un temps fou, chaque jour, à tenter de cajoler une machine antique pour qu’elle veuille bien fonctionner – et à se battre avec les bourrages papier. J’ai commandé sur-le-champ des photocopieuses. Quand elles sont arrivées, nous avons fêté l’événement. C’étaient là des choses simples. Mais l’objectif, bien sûr, était de réinstaurer le professionnalisme comme vertu cardinale.
Je savais qu’il y avait un lien direct entre la professionnalisation de nos opérations et notre capacité à servir correctement la justice. Il fallait que chaque employé donne le meilleur de lui-même. […] Lorsque je formais de jeunes juristes, je leur disais : «Soyons bien clairs. Vous représentez le peuple. Les gens de cet État. Donc je compte sur vous pour apprendre à très bien les connaître, tous ces gens.» J’ai toujours incité mes collaborateurs à se renseigner sur les quartiers où ils ne vivaient pas, à consulter les sources d’information des différentes communautés, à assister à des petits festivals locaux et à des forums communautaires. «Pour le peuple», ce n’était pas qu’une belle formule de salle d’audience. Cela voulait bien dire pour le peuple – pour les gens. Tous les gens.
Doug, l’homme de sa vie
Six mois plus tôt, moi non plus je ne savais pas qui était Doug. Je savais seulement que ma meilleure amie, Chrisette, me bombardait d’appels. Mon téléphone n’arrêtait pas de vibrer alors que j’étais en plein milieu d’une réunion. Je l’ignorai les premières fois, mais au bout d’un moment je commençai à m’inquiéter. Je suis marraine des enfants de Chrisette. Était-il arrivé quelque chose ? Finalement je sortis de la pièce pour la joindre. «Qu’est-ce qui se passe ? Tout va bien ?
— Oui, tout va bien. Tu as un rencard, dit-elle. Avec un type.
— Ah bon ?
— Mais oui, dit-elle avec la plus grande conviction. Je viens de faire connaissance avec lui. Il est mignon, il est associé de son cabinet d’avocats et je crois qu’il va vraiment te plaire. Il est installé à Los Angeles, mais tu vas tout le temps là-bas pour le boulot de toute façon. Chrisette est comme une sœur pour moi. Et je savais qu’il était inutile de discuter avec elle.
— Comment s’appelle-t-il ? demandai-je.
— Doug Emhoff, répondit-elle. Mais promets-moi de ne pas le googler ! Ne cogite pas trop. Rencontre-le, c’est tout. Je lui ai déjà donné ton numéro. Il va te contacter.»
Kamala Harris et son époux, Doug Emhoff lors de la convention nationale des démocrates à Wilmington en 2020
Quelque part j’avais envie de rouspéter, mais, en même temps, j’appréciais l’approche volontariste de Chrisette. Elle comptait parmi les rares personnes à qui je pouvais m’ouvrir en toute franchise sur ma vie privée. En tant que femme active dans la quarantaine et très exposée aux médias, il ne m’était pas facile de faire des rencontres. Je savais que si j’apparaissais en public accompagnée par un homme, les spéculations iraient aussitôt bon train. Je savais aussi que les femmes célibataires en politique ne sont pas perçues comme les hommes célibataires. Il ne nous est pas accordé la même latitude pour ce qui est de notre vie sociale. Je n’avais aucune envie d’attirer ce genre d’attention sur moi tant que je ne serais pas à peu près certaine d’avoir trouvé «le bon» – et depuis des années, donc, je compartimentais ma vie privée et ma carrière. Quelques jours plus tard, j’étais en route pour un événement lorsque je reçus un texto d’un numéro qui m’était inconnu. Doug assistait à un match de basket avec un ami. Il avait rassemblé son courage pour m’envoyer ce message un peu maladroit : «Salut. C’est Doug. Juste pour dire bonjour ! Je suis au match des Lakers.» Je le saluai à mon tour, et nous convînmes de nous parler le lendemain. Puis je conclus notre échange avec une petite maladresse de mon cru : «Allez les Lakers !» – alors qu’en réalité je suis fan des Warriors.
Le lendemain matin, je venais de terminer ma séance de gym avant le boulot lorsque je découvris que j’avais un appel manqué de Doug. Si j’avais moi-même proposé que nous nous parlions dans la journée, je ne m’étais pas attendue à ce que ce soit de si bonne heure. Mais je trouvais cela assez charmant, je dois dire. Pour écrire ce chapitre, j’ai demandé à Doug ce qu’il avait dans la tête au moment où il avait composé mon numéro. Voici sa réponse : «Ce jour-là je m’étais levé très tôt. J’avais un rendez-vous de bonne heure. Et en voiture, en allant au travail, je n’arrêtais pas de penser à toi. Je me disais : “Il est huit heures et demie, c’est carrément trop tôt pour l’appeler. Ce serait ridicule. Ne sois pas ce genre de bonhomme. Mais non. Tu ne l’appelles pas. Fais pas ça.” Et puis… “Oh, bon sang, je viens de faire son numéro.” Et ensuite… “Oh non, maintenant ça sonne…”» Le message qu’il laissa sur ma boîte vocale – et que j’ai conservé jusqu’à aujourd’hui – était long et un peu décousu. Doug avait l’air sympa, n’empêche, et j’étais curieuse d’en apprendre davantage à son sujet. De son côté, en revanche, il était à peu près convaincu d’avoir tout gâché. Dans le souvenir qu’il en garde, il pensait que son message était catastrophique et qu’il n’allait sans doute plus jamais avoir de mes nouvelles. Il dut s’interdire de me rappeler et de me laisser un autre message alambiqué pour essayer d’expliciter et de faire oublier le premier.
Comprendre la vie des gens
En politique, les grandes déclarations prennent souvent le pas sur le travail minutieux et l’attention aux détails qui permettent de concrétiser tout projet de quelque importance. Il ne s’agit pas de dire que les grandes déclarations sont fondamentalement mauvaises. Pour bien diriger, il faut avoir une vision et des aspirations. Il faut mettre des mots sur des idées courageuses qui poussent les gens à agir. Mais c’est souvent la maîtrise de détails en apparence accessoires, l’exécution précise de tâches fastidieuses, et le dévouement au labeur exécuté dans le calme, loin des caméras, qui rendent possibles les changements que nous souhaitons voir advenir. Entrer dans les détails, cela signifie aussi prendre soin de vérifier que les solutions apportées fonctionnent bel et bien pour les gens qui en ont besoin.
En vidéo, un extrait du premier discours de Kamala Harris en tant que vice-présidente des Etats-Unis
Lorsque j’étais procureure générale, par exemple, et que je me suis attaquée à Corinthian Colleges Inc., je m’inquiétais pour l’avenir des étudiants qui avaient été escroqués. Ils avaient le droit, selon les cas, d’être transférés vers une autre école, d’obtenir une annulation de leur emprunt ou de récupérer les sommes qu’ils avaient versées, mais les procédures étaient assez compliquées et nécessitaient beaucoup de paperasse. La plupart des étudiants ne savaient pas par où commencer – voire ignoraient même qu’ils avaient ces diverses possibilités. Nous avions remporté le procès, mais les étudiants ne verraient pas les bénéfices de cette victoire, ou ne seraient pas soulagés sur le plan financier s’ils n’arrivaient pas à trouver leur chemin dans le dédale administratif. Aussi, mon bureau a-t-il créé un site Web qui les guidait pas à pas jusqu’au bout de cette procédure complexe. Et je l’ai voulu aussi simple que possible pour que chaque personne concernée soit réellement en mesure d’exercer ses droits et de recevoir de l’aide.
Pendant le développement du site, j’ai demandé plusieurs fois à mon équipe de me le présenter, et j’ai pris la souris en main pour tester moi-même la procédure. Plus d’une fois je suis tombée sur un os. Je leur disais : «Si moi je ne comprends pas, comment les étudiants vont-ils faire ?» Cela signifiait que l’équipe devait replancher sur l’interface et les textes explicatifs. […] Ce que je veux dire, c’est qu’il faut relever ses manches pour les petites choses, parce qu’il s’avère parfois que ces petites choses sont en fait de grandes choses. J’ai lu un article, un jour, sur la directrice d’une école primaire de Saint-Louis qui voulait s’attaquer à l’absentéisme galopant de ses élèves. En interrogeant les parents, elle se rendit compte que beaucoup d’enfants n’avaient pas de vêtements propres. Soit ils n’avaient pas accès à une machine à laver, soit les familles n’avaient pas les moyens de payer la lessive, soit le courant leur avait été coupé. Les enfants avaient honte de se présenter à l’école dans des vêtements sales. «Je crois que les gens, ils ne parlent pas de leurs vêtements sales, parce que s’ils le font, ils vont avoir envie de pleurer, ou de rentrer chez eux, ou de disparaître, lui expliqua un élève. On ne se sent pas bien, quoi.» Alors la directrice fit installer une machine à laver et un sèche-linge à l’école, et elle invita les élèves qui manquaient la classe plus de dix jours à faire leur lessive sur place. Durant la première année de l’expérience, d’après le magazine en ligne CityLab, l’absentéisme chuta de façon spectaculaire pour plus de 90 % des élèves suivis.
Nos vérités. Mon rêve américain, de Kamala Harris, Éditions Robert Laffont, 352 pages, 21,50 €. Date de parution : le 20 mai.
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