Juliette Willmann : "Face à la crise sanitaire, c'est aussi à nous, les skieurs, de nous réinventer"

Interview. – Remontées mécaniques à l’arrêt, voyages réduits, industrie du ski en difficulté… La jeune Française revient sur cette année si particulière. Avec une ligne directrice : se réinventer.

Entourée de deux amies, Juliette Willmann a enlevé ses chaussures de ski. Elle avance difficilement, sur un pied, essayant de garder sa jambe en l’air. Lors de la finale de l’Xtreme de Verbier, en Suisse, elle a fait une chute impressionnante et souffre au tibia et à la cheville. Un mardi matin de mars, les médicaments apaisent la douleur physique, mais pas vraiment la déception d’une skieuse qui a préféré prendre son élan, au lieu d’assurer une descente sans challenge. Une minute avant qu’elle tombe, l’ensemble du public crie de joie puis retient son souffle : «C’était tellement beau, elle a pris beaucoup vitesse pour faire un saut, puis elle a eu du mal à rester sur ses jambes. Mais elle peut être fière d’elle, techniquement, il n’y a rien à redire», explique une autre skieuse en compétition, Maude Besse.

Juliette Willmann a 24 ans, dont plus de vingt ans sur des skis. Originaire de Barcelonnette dans les Alpes-de-Haute-Provence, sa mère est monitrice de ski et son père entraîneur et coach à «la fédé»… de ski. Elle commence par un parcours académique, et réalise très vite qu’elle n’est pas faite pour la compétition : «Que je fasse des piquets ou du hors-piste, c’est pareil. Je ne suis pas quelqu’un de compétiteur dans l’âme, j’avais du mal avec cette mentalité.» Elle quitte une structure très encadrée, s’installe à Chamonix, mais conserve sa technique, qui est une de ses forces. Nicolas Hale-Woods, le CEO du Freeride World Tour, ne voit pas Juliette comme une surprise : «Il y a quatre ou cinq ans, j’avais remarqué l’excellence de son ski. On voit tout de suite qu’elle a un passé de coureuse alpine. Elle a fait de gros progrès ces derniers temps, en termes de sauts ou d’expérience en pente raide.» Entretien.

Avancer « avec les incertitudes »

Madame Figaro. – À quel moment est né votre grand amour avec la montagne ?
Juliette Willmann. –
Quelque chose m’a marquée quand j’avais 9 ans, lors d’une sortie en famille. Ils m’ont emmenée faire mon premier sommet à 3 000 mètres d’altitude. Mon grand-père, décédé en 2000, était auparavant gardien de refuge. Nous sommes partis faire ce sommet en son honneur. Il faisait très froid, la neige recouvrait tout, et pourtant, j’étais vraiment heureuse d’être là. C’est mon premier souvenir de la montagne. Depuis toujours, avec mes oncles et mes amis, nous nous y rendons souvent, pour grimper, skier, faire de la randonnée… Et ce, été comme hiver.

Comment s’est déroulée cette année si spéciale ?
En début d’hiver, j’avais très envie de skier. J’avais même travaillé avec un préparateur mental. Quand on nous a coupé l’herbe sous le pied, en nous laissant espérer l’ouverture des stations de sports d’hiver, j’ai essayé, chaque semaine, d’avancer avec ces incertitudes. En revanche, les conditions étaient excellentes à Chamonix, alors j’ai fait le maximum de randonnées à ski (pratique qui consiste à mettre des peaux de phoque sous ses skis pour monter uniquement à la force des jambes, NDLR). Jusqu’à mi-janvier, j’avais fait trente-et-une sorties, pour plus de 30 000 mètres de dénivelé. C’est à ce moment-là que je me suis dit : «Notre sport se passe quand même à la descente, il faut que je fasse quelque chose !» (Rires.)

À quoi servent ces kilomètres de randonnée, dans un sport difficilement accessible sans télésièges ou hélicoptères ?
La randonnée est utile pour être en forme mais, au bout de quatre heures de montée, nous ne faisons pas autant de descentes qu’en ski. Malgré cela, au début de la saison, j’ai choisi de rester en France. Non seulement je suis bien ici, mais pouvoir dormir tous les soirs chez moi, c’est quelque chose que je n’avais pas vécu depuis ces cinq dernières années.

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Avez-vous eu peur de perdre vos sponsors ?
On y pense forcément quand on réalise que l’industrie du ski va en prendre un sacré coup. Mais c’est aussi à nous, les skieurs, de nous réinventer, de jouer le jeu. Pendant le premier confinement, c’était vraiment difficile, je n’avais pas le droit d’aller à plus de 100 mètres d’altitude de chez moi. Heureusement, cet hiver, ils n’ont pas non plus fermé la montagne. J’ai joué la carte de la visibilité sur les réseaux sociaux, et cela a marché.

Que feriez-vous si vous deviez changer de vie ?
Du vélo ! J’ai toujours fait du VTT, mais ma passion a augmenté avec le temps. Depuis quatre ans, si l’on me demande ce qui me passionne le plus, je ne sais plus quoi répondre entre le ski et le vélo. J’aime beaucoup la carrière de Myriam Nicole. C’est l’une des athlètes que j’admire le plus.

En vidéo, sports d’hiver : les conseils d’une coach sportive pour bien se préparer au ski

« Nous sommes amies, avant d’être concurrentes »

Une carrière de haut niveau implique forcément des sacrifices. Quels sont les vôtres ?
Nous sommes peu de filles à avoir ce style de vie, à savoir, passer autant de temps dehors à faire du sport extrême. Cela m’a demandé de renoncer à certaines amitiés. Je ne suis pas rentrée chez moi depuis un mois, la vie se passe sans moi, je ne suis pas intégrée à certains groupes… L’expression «Loin des yeux, loin du cœur» prend tout son sens. Maintenant, je ne sacrifierais pas non plus ce que je suis en train de vivre pour une vie sociale plus riche. J’ai eu la chance d’avoir une vie étudiante, à Grenoble, Annecy et Genève, et je ne m’empêche pas d’aller faire la fête quand j’en ai envie avec mes amis.

Existe-t-il une forte sororité dans ce milieu ?
Je suis un mauvais exemple ! J’ai grandi avec des garçons, et les trois quart de ma vie se passent avec eux. Nous sommes très peu de filles dans cette discipline – nous sommes des amies avant d’être des concurrentes. Aujourd’hui, de nouvelles femmes arrivent dans ce sport, et j’espère que cela va continuer. Je ne me sens pas discriminée par rapport à mon genre. Quand quelqu’un ne veut pas partir en montagne avec moi, c’est parce que je n’ai pas le niveau, ou inversement.

Comment se prépare-t-on mentalement à un défi comme celui-ci ?
Je regarde ce que j’ai déjà fait de bien en vidéo, et j’essaie d’être le moins stressée possible. Je bois un grand café le matin, et je fais un échauffement musculaire juste avant le départ. J’aime bien avoir le temps de déjeuner et de regarder de nouveau la montagne. Je peux même écouter de la country, ça me change les idées, j’ai l’impression de voyager ! Je demande aussi l’avis des garçons sur le Tour qui me connaissent bien. Avant, j’avais un coach de ski, mais ces trois dernières années, j’ai eu l’impression de perdre le côté «free» du freeride. Cela n’était pas de sa faute, mais mon inconscient était devenu trop «professionnel». En revanche, j’ai gardé un coach physique et mental.

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Un « boulevard de progression »

Quels sont vos points faibles ?
Cet été, j’avais vraiment besoin de travailler sur mes sauts. Il y a un aspect freestyle dans la compétition du Freeride World Tour qui n’est pas si évident pour une skieuse venue de l’alpin comme moi. Je n’en ai pas fait jeune, mais j’adore ça, j’ai un boulevard de progression devant moi.

Arrivez-vous à vivre entièrement du ski aujourd’hui ?
Pas encore ! Je préfère travailler à côté, pour le moment, afin d’être à l’aise financièrement. J’ai été engagée dans un bar l’été dernier, puis embauchée dans une école de vélo pendant quatre mois cette année. Mais bon, si je faisais plus de podium, je vivrais mieux. Il serait peut-être temps de gagner !

Comment gère-t-on ses réseaux sociaux quand on est athlète ?
Au début, même si je suis d’une génération qui est née avec les réseaux sociaux, cela me gênait. Je n’ai pas ouvert Snapchat depuis quatre ans et Tiktok, c’est hors de question ! J’étais aussi déçue de voir que certaines marques étaient plus intéressées par les influenceurs qui ne savaient pas faire un virage que par les sportifs. Mais, depuis quelques années, ils en reviennent et privilégient la qualité – en tous cas, c’est ce que je ressens. C’est encore marqué dans nos contrats, mais aucun de mes sponsors ne m’a mis la pression sur mes publications. Chez Rossignol, ils essaient de créer une famille, donc ce n’est pas du tout l’esprit. J’essaie de ne poster que ce qui a un rapport avec l’aspect professionnel, pas personnel.

Les surfeurs et les skieurs ont reçu beaucoup de critiques pour leur ambivalence au sujet de l’environnement. Quelle est votre position sur le sujet ?
On ne protège pas vraiment notre planète, et je me garde bien de donner des leçons ! Nous faisons partie de l’industrie qui n’est pas la moins polluante… Nous souffrons clairement d’un manque de crédibilité à ce sujet. J’ai trouvé cela très sain de ne pas prendre l’avion cette année. Cela m’a permis de découvrir de nombreux endroits en van, en France comme en Europe.

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