Judith Perrignon : un amour de Détroit
Après un premier roman remarqué, « Victor Hugo vient de mourir », la journaliste Judith Perrignon confirme son talent pour la fiction avec « Là où nous dansions ».
Êtes-vous déjà tombée amoureuse d’une ville ? Le coup de foudre, c’est ce qui lie manifestement Judith Perrignon à Détroit, la mythique « Motor Town » du Michigan, berceau de la soul, symbole de la révolution industrielle et de la crise économique de 2008. Quand on aime, on peut écrire des articles, on peut prêter sa plume (Perrignon l’a fait magnifiquement au fil des ans, pour Sonia Rykiel ou Marceline Loridan-Ivens, entre autres), mais rien ne vaut le roman pour faire valser les fantômes du passé. « Là où nous dansions » s’ouvre en 2013, à l’aube de la destruction des Brewster Projects, un « grand ensemble » (un HLM dirait-on en France) inauguré en 1935 par Eleanor Roosevelt, qui « contenait dès le départ un immense espoir et un chagrin tout aussi grand ».
Pour animer la grande histoire qu’elle veut rembobiner, Judith Perrignon opte pour la ballade chronologique et fait avancer dans les rues de sa cité pas du tout imaginaire des personnages qui en symbolisent les forces et les failles. En 2013, Sarah, flic « dans les ténèbres de l’Amérique », est obsédée par les corps non réclamés ou non identifiés, ces morts sans histoire auxquels elle cherche obstinément une mémoire. Son collègue Ira, né dans les Projects, est noir comme 80 % des habitants de la ville, et dans les années 1950 et 1960, sa grand-mère Geraldine a vu fleurir (et partir) les héroïnes de la Motown. Les Supremes de Diana Ross sont nées à Détroit, à la grande époque où la ville pleine de promesses n’était en fait rien d’autre qu’un « énorme circuit de production ». En allers-retours et superpositions, Perrignon fait coexister le rêve et son revers. Déjà en germe au commencement, les deux s’entrelacent dans un ballet qui raconte l’histoire contemporaine de l’Amérique noire, invaincue, vaillante, vacillante. Un conte de fées et une tragédie.
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« Là où nous dansions », de Judith Perrignon (Rivages, 343 p.).
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